Accéder au contenu principal

Le réalisme, ça commence à bien faire

J'étais dans mon bureau à bosser (à tenter de bosser, en fait, les jours fériés, le corps SAIT qu'on n'est pas censé bosser, et il se rebelle contre les tentatives de le cornaquer pour lui faire faire des trucs constructifs comme mettre des notes en ordre, vérifier des dates pour un scénar, fouiller des archives, etc. et la journée du coup se déroule dans une espèce d'état de tension étrange entre l'apathie et la deadline de l'éditeur. bref) quand mon oreille a été attirée par un son de voix étrange dans la pièce d'à-côté.

"Aaaah, en voilà un qui a du souci à se faire au retour au vestiaire. Marquer contre son propre camp, c'est le cauchemar de tout joueur."

Le tout sur fond de sifflets et de cris de foule en délire.

Je vais voir le fiston en lui demandant : "Tiens, y a match à cette heure ? Je croyais que tu déballais le bazar que tu avais rapporté de la brocante."

De fait, à l'issue de je ne sais quelles tractations qui ne regardent que lui, il était revenu de la brocante du quartier avec la vieille console de jeu de son meilleur copain.

"Ben ouais, elle marche bien, regarde."

Et de fait, le match en question, c'était un équipe nationale de Croatie / équipe locale d'East London dans un quelconque jeu de foot. Le temps de m'étrangler en constatant les fautes improbables aux noms de tous les joueurs croates (il y en a même un où visiblement, le programmateur avait tapé le truc sans se rendre compte qu'il lisait une feuille de stat rédigée en cyrillique, d'où collision linguistique goûtue mais qui écorche les yeux quand même, sans parler d'inversions de consonnes qui rendraient les noms slaves imprononçables même à une bétonneuse normalement constituée), je comprenais que la voix du commentateur venait du jeu.

"Oh, ils n'ont pas mal joués, ils ne méritaient quand même pas un score aussi écrasant." (3 à zéro pour East London, le fiston jouant les Croates ayant réussi à encaisser trois buts, dont deux marqués par ses propres joueurs. Il était en phase de prise en main du jeu.) "Ah, c'est une humiliation qui pèsera très lourd pour la suite, on peut s'attendre à de sérieux changements d'organigramme."

C'est qu'ils étaient deux, ces cons de présentateurs virtuels. Deux à se renvoyer la balle et à commenter le match exactement comme des vrais, à coups de lieux communs aussi plats qu'un tweet de Kim Kardashian ou de Nadine Morano. Merde, pour que le joueur aie vraiment toutes les sensations du match vu en soirée pizza bière (bon, le fiston n'en est pas encore au cocktail pizza bière, mais vous saisissez l'idée), on lui a collé un tandem de baveux collant des mots et des exclamations forcées sur le moindre looping de la balle. "Ah, quelle belle action !" "Eh non, c'est pas passé loin !" "Magnifique ! Tout simplement magnifique, oh la la !" "Grossière erreur de la défense ! Il était pourtant bien placé pour l'intercepter." Et ainsi de suite.

Cette volonté de "faire vrai", dans les jeux, c'est un peu fatigant. Mais ça a un mérite : quand on compare ces commentaires balancés au petit bonheur la chance par un programme informatique dans le jeu aux vrais commentaire de matchs faits par des journalistes grassement payés, on se rend compte qu'il y a encore de vrais gisements de productivité à trouver dans ce pays : le logiciel permet de faire exactement le même boulot, avec la même qualité et le même esprit pour trois francs six sous. Il manque encore les calembours à deux balles, la langue qui fourche et les vannes un peu racistes sur les bords, et ce sera parfait. Mais ça, c'est pour la version 2.01, je pense.

Commentaires

abelthorne a dit…
Quand on parle de "programmateur", on évite de pointer du doigt les gens qui font des fautes dans les noms croates, m'sieur Lavitch.
Alex Nikolavitch a dit…
bon, le "pisseur de saisie", quoi.
Ub. a dit…
Un groupe d'universitaire américain a lancé depuis peu un logiciel de commentaire sportif. Destiné à la presse, il permet de rédiger automatiquement des comptes rendus de matchs en fonction d'une grille d'info remplie par le journaliste. Il contient un répertoire d'expression "toute faite" qu'il sait utiliser à bon escient.
Alex Nikolavitch a dit…
oui, j'ai vu ça. le truc bouffe les stats des matches de baseball et de foot américain et pond des machins en mode automatique tellement bien qu'on dirait l'Equipe.

(c'est un truc qui m'a toujours traumatisé, ça, bosser avec des gens dont le premier réflexe le matin, dès qu'ils ont une minute, c'est de lire l'Equipe)

Posts les plus consultés de ce blog

Pourtant, que la montagne est belle

 Très vite fait, je signale en passant que je devrais passer demain, lundi, dans le Book Club de France Culture avec Christophe Thill. On y causera de l'édition du manuscrit des Montagnes Hallucinées chez les Saints Pères.   (Edit : ça demeure conditionnel, je suis là en remplacement de David Camus, au cas où son état ne lui permettrait pas d'assurer l'émission) Toujours fascinant de voir ce genre d'objet, surtout quand on connaît les pattes de mouches de Lovecraft (qui détestait cordialement taper à la machine). Mais, très souvent dans ce genre de cas, ce sont les ratures et les repentirs qui sont parlants : ils nous donnent accès aux processus de pensée d'un auteur. Bref, faut que je révise un peu. Fun fact, le texte a été publié à l'époque grâce à l'entregent de Julius Schwartz, qui était agent littéraire et qui a représenté les intérêts de Lovecraft pendant quelques mois. Ce même Julius Schwart qui, vingt ans plus tard, présidait en temps qu'éditeur

Back to back

 Et je sors d'une nouvelle panne de réseau, plus de 15 jours cette fois-ci. Il y a un moment où ça finit par torpiller le travail, l'écriture d'articles demandant à vérifier des référence, certaines traductions où il faut vérifier des citations, etc. Dans ce cas, plutôt que de glander, j'en profite pour avancer sur des projets moins dépendants de ma connexion, comme Mitan n°3, pour écrire une nouvelle à la volée, ou pour mettre de l'ordre dans de vieux trucs. Là, par exemple, j'ai ressorti tout plein de vieux scénarios de BD inédits. Certains demandaient à être complétés, c'est comme ça que j'ai fait un choix radical et terminé un script sur François Villon que je me traîne depuis des années parce que je ne parvenais pas à débusquer un élément précis dans la documentation, et du coup je l'ai bouclé en quelques jours. D'autres demandaient un coup de dépoussiérage, mais sont terminés depuis un bail et n'ont jamais trouvé de dessinateur ou d

L'Empereur-Dieu de Dune saga l'autre

Hop, suite et fin des redifs à propos de Dune. Si jamais je me fends d'un "les hérétiques", ce sera de l'inédit. Le précédent épisode de notre grande série sur la série de Frank Herbert avait évoqué l'aspect manipulatoire de la narration dans  Dune , cette façon d'arriver à créer dans l'esprit du lecteur des motifs qui ne sont pas dans le texte initial. La manipulation est patente dans le domaine du mysticisme. Demandez à dix lecteurs de  Dune  si  Dune  est une série mystique, au moins neuf vous répondront "oui" sans ambage, considérant que ça va de soi. Il y a même des bonnes sœurs. C'est à s'y tromper, forcément. Et, un fois encore, le vieil Herbert (on oubliera charitablement le jeune Herbert et son sbire Kevin J. en personne) les aura roulés dans la farine. Dune  est une série dont l'aspect mystique est une illusion habile, un savant effet de manche. Certains personnages de la série sont mystiques. Certaines

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Défense d'afficher

 J'ai jamais été tellement lecteur des Defenders de Marvel. Je ne sais pas trop pourquoi, d'ailleurs. J'aime bien une partie des personnages, au premier chef Hulk, dont je cause souvent ici, ou Doctor Strange, mais... mais ça s'est pas trouvé comme ça. On peut pas tout lire non plus. Et puis le concept, plus jeune, m'avait semblé assez fumeux. De fait, j'ai toujours plus apprécié les Fantastic Four ou les X-Men, la réunion des personnages ayant quelque chose de moins artificiel que des groupes fourre-tout comme les Avengers, la JLA ou surtout les Defenders.   Pourtant, divers potes lecteurs de comics m'avaient dit aimer le côté foutraque du titre, à sa grande époque.   Pourtant, ces derniers temps, je me suis aperçu que j'avais quelques trucs dans mes étagères, et puis j'ai pris un album plus récent, et je m'aperçois que tout ça se lit ou se relit sans déplaisir, que c'est quand même assez sympa et bourré d'idées.   Last Defenders , de J

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin,

Edward Alexander Crowley, dit Aleister Crowley, dit Maître Thérion, dit Lord Boleskine, dit La Bête 666, dit Chioa Khan

" Le client a généralement tort, mais les statistiques démontrent qu'il n'est pas rentable d'aller le lui dire. " (Aleister Crowley, 1875-1947) S'il y a un exemple qui démontre le côté contre productif du bachotage religieux dans l'éducation des enfants, c'est bien Aleister Crowley. Bible en main, son père était un de ces protestants fanatiques que seul le monde anglo-saxon semble pouvoir produire, qui tentait d'endoctriner son entourage. Il est d'ailleurs à noter que papa Crowley ne commença à prêcher qu'après avoir pris sa retraite, alors qu'il avait fait une magnifique et lucrative carrière de brasseur. Comme quoi il n'y a rien de pire que les gens qui font leur retour à Dieu sur le tard, après une vie vouée à l'extension du péché. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la greffe n'a pas pris. Même en laissant de côté l'autobiographie de Crowley, largement sujette à caution (comme toute autobiographie,

Fais-le, ou ne le fais pas, mais il n'y a pas d'essai

 Retravailler un essai vieux de dix ans, c'est un exercice pas simple. Ça m'était déjà arrivé pour la réédition de Mythe & super-héros , et là c'est reparti pour un tour, sur un autre bouquin. Alors, ça fait toujours plaisir d'être réédité, mais ça implique aussi d'éplucher sa propre prose et avec le recul, ben... Bon, c'est l'occasion de juger des progrès qu'on a fait dans certains domaines. Bref, j'ai fait une repasse de réécriture de pas mal de passages. Ça, c'est pas si compliqué, c'est grosso modo ce que je fais une fois que j'ai bouclé un premier jet. J'ai aussi viré des trucs qui ne me semblaient plus aussi pertinents qu'à l'époque. Après, le sujet a pas mal évolué en dix ans. Solution simple : rajouter un chapitre correspondant à la période. En plus, elle se prête à pas mal d'analyses nouvelles. C'est toujours intéressant. La moitié du chapitre a été simple à écrire, l'autre a pris plus de temps parce q

Messieurs, la cour !

Bon, le temps est venu d'en parler plus avant. En Mars prochain, pour le mois Lovecraft, sort La Cour des Abysses , un roman coécrit avec Camille Salomon ( Maman n'est pas une étoile , Symbiose ou le récent Valembrume ), parce qu'on avait envie de s'amuser à écrire un bouquin ensemble, en jouant sur nos forces respectives (et ça nous obligeait à nous confronter à nos faiblesses, c'était passionnant). Le résultat est une romance lovecraftienne, cocktail forcément étrange, et justement c'est ça qui nous intéressait. Donc, ça sort en Mars chez les éditions Leha. Bien entendu, on en reparle plus avant d'ici là.     Extrait de la couve, par Gwen, alias Cheapo Et un petit extrait en passant : "Poussé par une force irrésistible contrariant ma volonté, j’y ai pénétré à contrecœur. Tout y était éclairé à la torche, jetant aux murs des ombres qui dansaient un sabbat frénétique. Et vous étiez là, à genoux devant l’autel, nue, la peau luisante sous la lumière mouv