Hop, encore une redif (en consultant les stats du blog, je me suis aperçu que des gens étaient arrivés ici en cherchant cet article de l'ancien superpouvoir. Je le remets donc en ligne, et je diffuserai sa deuxième partie la semaine prochaine).
En fait, cet article mériterait d'être profondément remanié (D'autant qu'on pourrait évoquer d'autres travaux spatiaux d'Ellis, comme Switchblade Honey ou Ignition City), sauf que je n'ai pas trop le temps en ce moment. Ce sera pour une autre fois, je le balance tel quel.
Pourquoi tenter une analyse comparative de la trilogie spatiale (Orbiter, Ministry of Space, Ocean) et de la trilogie Ultimate Galactus (Nightmare, Secret, Extinction) qui n'ont en commun, a priori, que le scénariste ? Il faut dire que le scénariste en question s'appelle Warren Ellis, et que ce triste sire ne laisse personne de marbre. Il y a ceux qui détestent le bonhomme, surtout quand il travaille sur des univers partagés type Marvel et DC, et ceux qui vénèrent jusqu'au sol qui a porté ses pas (je me rapproche de cette seconde catégorie, mes obsessions se rapprochant souvent de celles de ce dangereux psychopathe du traitement de texte). Mais commençons par un état des lieux.
Ce qu'on appelle parfois Trilogie Spatiale est un ensemble hétéroclite (par le format, le dessin et les éditeurs) d'histoires publiées au début des années 2000. Ces trois histoires avaient pour cadre commun la conquête de l'espace, envisagée sous divers angles.
Dans Ministry of Space (Image Comics, dessins de Chris Weston, VF chez Delcourt), Ellis imagine une version alternative et uchronique des débuts de l'astronautique. Von Braun (qui n'est pas nommé, mais reste tout à fait reconnaissable) a été récupéré non pas par les Américains, mais par l'Angleterre, qui a une vision peut-être plus romantique des choses. Le prix éthique et humain reste néanmoins colossal. Autant qu'un réquisitoire contre certaines façons de mener la "realpolitik", la mini-série peut aussi se lire comme une sorte de Spécial Origines du monde de Dan Dare.
Orbiter (Vertigo, dessins de Coleen Doran, hélas inédit en VF) est une histoire de Premier Contact. L'espace, passé l'élan initial, est redevenu innaccessible. Pourtant, une navette perdue revient, étrangement transformée, tout comme le dernier survivant de son équipage, par une rencontre dans l'ailleurs (qui n'est pas sans évoquer celle des Four, dans Planetary). L'ambiance est aigre-douce, mais le récit délivre un espoir final accompagné d'une leçon : si l'humanité veut atteindre les étoiles, elle devra se transformer.
Ocean (Wildstorm, dessins de Chris Sprouse, VF chez Panini) est un peu le mal aimé de la trilogie. Une structure de récit qui semble taillée pour Hollywood et une fin un peu rapide ont déstabilisé les lecteurs. Pourtant, c'est paradoxalement ce volet qui reste le plus accessible, le moins marqué par les obsessions métaphysiques et politiques d'Ellis, qui sont renvoyées à l'arrière-plan (sans disparaître toutefois) pour creuser une veine thriller techologique qu'il a développée par ailleurs (certains passages de Transmetropolitan, Reload, Mek, City of Silence). Pourtant, c'est aussi là que le Warren Ellis "space geek" est le plus visible. Les tirades du héros concernant le programme Apollo, par exemple, sentent le vécu, le petit Warren collectionnant tout ce qu'il pouvait trouver sur le sujet à une époque où il y avait encore des hommes sur la Lune. Les personnages sont des bargeots rentre-dedans comme Ellis les aime. Et la maîtrise des aspects hard science impliqués par l'histoire, ainsi que la démesure des enjeux (contrastant efficacement avec la petitesse des ambitions humaines) font de cette mini-série un grand moment de SF.
Cet étrange ensemble offre un panorama assez complet de ce qu'est intérieurement Warren Ellis : un auteur qui, s'il a caché ses rêves sous une couche épaisse de cynisme, ne les a pas reniés pour autant. Si "le cynique est celui qui connait le prix de toute chose sans en connaître la valeur", Ellis n'est pas encore totalement cynique, puisqu'il exalte la valeur du rêve spatial sans pour autant en nier le prix.
Dans sa structure, la Trilogie Ultimate Galactus (VF chez Panini) est un récit unique, qui plus est une réécriture démesurée d'un moment mythique de l'histoire des Marvel Comics (FF 48-50, The Galactus Trilogy) : l'arrivée sur Terre d'un dévoreur cosmique. Nous ne sommes plus à l'époque où Lee et Kirby traitaient en une soixantaine de pages un conflit monstrueux menaçant d'éradiquer toute vie sur la planète. L'époque n'est plus non plus à des entités humanoïdes de plusieurs dizaines de mètres de haut. Quand Warren Ellis réécrit un mythe, il le repense fondamentalement. Son Galactus est un essaim haineux qui vole de mondes en mondes pour effacer la conscience. Face aux avertissements, la résistance s'organise. Mais quel sera le prix à payer pour le repousser, alors que d'autres races extraterrestres viennent assister à l'annihilation de l'humanité comme on va au spectacle ?
Il est à noter qu'Ellis fait de réels efforts pour intégrer la continuité Ultimate, pour gérer ce qui a été fait précédemment. Parfois, on se dit qu'il est bien le seul : Millar, sur Ultimates, contredit le Bendis de U-Team-Up. Card, sur U-Iron-Man, contredit Millar ET Bendis. Carey, sur U-FF, ne tient aucun compte de ce qu'a fait Ellis sur U-Galactus. Et sur Vision, j'ai pas tout compris non plus. Il n'aura pas fallu dix ans pour faire de cette remise en ordre des concepts marvéliens un gros gloubi-boulga (c'est à peu près le temps qu'avait mis l'univers Wildstorm pour être à peu près irréparable lui aussi, ceci dit). Seul DC parvient à faire pire. Mais ce n'est pas le propos du jour. Et le sujet de la Trilogie U-Galactus non plus, d'ailleurs, tant il semble anecdotique pour des lecteur qui ont quelques années de recul sur les menaces cosmiques qu'affrontent nos héros préférés. L'intérêt de l'univers Ultimate tient surtout à son côté "jusqu'où s'arrêteront-ils" et "comment vont-ils reformater untel ou untel ?"
Quel est, donc, l'intérêt de cette trilogie, peut-être un peu longue, de toute façon piétinée par ses suiveurs ? Il tient au traitement, parfaitement ellisien, de son sujet plus qu'au sujet lui-même. Les obsessions de l'auteur s'y déploient tranquillement. On pourrait en faire un checklist.
Recréation et "amélioration" (plus ou moins foireuse, plutôt plus que moins d'ailleurs) de l'homme par la science ? Check.
Culte du secret au niveau gouvernemental conduisant à accaparer et pervertir le savoir ? Check.
Interraction entre niveaux de réalité ? Check.
Démesure des enjeux et des solutions (désespérées) ? Check.
Le tout servi par une narration solide (parfois polluée par des erreurs de lettrage, hélas), une bonne compréhension des personnages tels qu'ils ont été définis dans l'univers Ultimate (Cap est un sale con, Fury aussi, mais différent, Stark pareil, mais à sa façon, etc...) et des ultimatisations de personnages parfois habiles (Falcon, Carole Danvers), intéressantes (Mar-Vell) ou plus discutables (le Surfer). Comme souvent chez Ellis, on peut passer brutalement de l'humour au drame, avec un rythme mieux géré que chez Bendis, par exemple. Et surtout, quand Reed Richards parle, ça fait sens. On sent que le scénariste comprend de quoi parle son personnage, même quand il part dans des envolées quantiques. Et on sent bien que Reed, cet intellectuel froid, voit se reveiller en lui quelque chose de très puissant quand il part pour l'inconnu, quand il se fait découvreur, aventurier de la science. Et qu'en même temps, ce nerd qui restait dans son coin quand il était au lycée et que les autres jouaient au football est désormais capable de remettre à sa place cette grande gueule de Fury et de faire des choix éthiquement discutables, mais hélas nécessaires, même s'il n'est pas, selon Hawkeye, un tueur.
Alors, pourquoi tenter une analyse comparative de la trilogie Spatiale et de la trilogie Ultimate Galactus ? Parce que toutes deux sont placées sous le signe de ce qui fut une grande aventure, la course à l'espace, une grande aventure qui peine à se ranimer. Parce que, chacune à sa manière, elles sont révélatrices de ce qui fait la "patte", de Warren Ellis, même si elles sont moins emblématiques que Authority et Transmetropolitan (et pourtant, l'univers Ultimate doit énormément au Warren Ellis de Stormwatch et d'Authority). Parce que, à sa curieuse façon, Ellis continue à mettre de pleine pelletées de Sense of Wonder dans ses comics. Et que c'est devenu assez rare, de nos jours, pour être signalé.
En fait, cet article mériterait d'être profondément remanié (D'autant qu'on pourrait évoquer d'autres travaux spatiaux d'Ellis, comme Switchblade Honey ou Ignition City), sauf que je n'ai pas trop le temps en ce moment. Ce sera pour une autre fois, je le balance tel quel.
Pourquoi tenter une analyse comparative de la trilogie spatiale (Orbiter, Ministry of Space, Ocean) et de la trilogie Ultimate Galactus (Nightmare, Secret, Extinction) qui n'ont en commun, a priori, que le scénariste ? Il faut dire que le scénariste en question s'appelle Warren Ellis, et que ce triste sire ne laisse personne de marbre. Il y a ceux qui détestent le bonhomme, surtout quand il travaille sur des univers partagés type Marvel et DC, et ceux qui vénèrent jusqu'au sol qui a porté ses pas (je me rapproche de cette seconde catégorie, mes obsessions se rapprochant souvent de celles de ce dangereux psychopathe du traitement de texte). Mais commençons par un état des lieux.
Ce qu'on appelle parfois Trilogie Spatiale est un ensemble hétéroclite (par le format, le dessin et les éditeurs) d'histoires publiées au début des années 2000. Ces trois histoires avaient pour cadre commun la conquête de l'espace, envisagée sous divers angles.
Ocean (Wildstorm, dessins de Chris Sprouse, VF chez Panini) est un peu le mal aimé de la trilogie. Une structure de récit qui semble taillée pour Hollywood et une fin un peu rapide ont déstabilisé les lecteurs. Pourtant, c'est paradoxalement ce volet qui reste le plus accessible, le moins marqué par les obsessions métaphysiques et politiques d'Ellis, qui sont renvoyées à l'arrière-plan (sans disparaître toutefois) pour creuser une veine thriller techologique qu'il a développée par ailleurs (certains passages de Transmetropolitan, Reload, Mek, City of Silence). Pourtant, c'est aussi là que le Warren Ellis "space geek" est le plus visible. Les tirades du héros concernant le programme Apollo, par exemple, sentent le vécu, le petit Warren collectionnant tout ce qu'il pouvait trouver sur le sujet à une époque où il y avait encore des hommes sur la Lune. Les personnages sont des bargeots rentre-dedans comme Ellis les aime. Et la maîtrise des aspects hard science impliqués par l'histoire, ainsi que la démesure des enjeux (contrastant efficacement avec la petitesse des ambitions humaines) font de cette mini-série un grand moment de SF.
Dans sa structure, la Trilogie Ultimate Galactus (VF chez Panini) est un récit unique, qui plus est une réécriture démesurée d'un moment mythique de l'histoire des Marvel Comics (FF 48-50, The Galactus Trilogy) : l'arrivée sur Terre d'un dévoreur cosmique. Nous ne sommes plus à l'époque où Lee et Kirby traitaient en une soixantaine de pages un conflit monstrueux menaçant d'éradiquer toute vie sur la planète. L'époque n'est plus non plus à des entités humanoïdes de plusieurs dizaines de mètres de haut. Quand Warren Ellis réécrit un mythe, il le repense fondamentalement. Son Galactus est un essaim haineux qui vole de mondes en mondes pour effacer la conscience. Face aux avertissements, la résistance s'organise. Mais quel sera le prix à payer pour le repousser, alors que d'autres races extraterrestres viennent assister à l'annihilation de l'humanité comme on va au spectacle ?
Il est à noter qu'Ellis fait de réels efforts pour intégrer la continuité Ultimate, pour gérer ce qui a été fait précédemment. Parfois, on se dit qu'il est bien le seul : Millar, sur Ultimates, contredit le Bendis de U-Team-Up. Card, sur U-Iron-Man, contredit Millar ET Bendis. Carey, sur U-FF, ne tient aucun compte de ce qu'a fait Ellis sur U-Galactus. Et sur Vision, j'ai pas tout compris non plus. Il n'aura pas fallu dix ans pour faire de cette remise en ordre des concepts marvéliens un gros gloubi-boulga (c'est à peu près le temps qu'avait mis l'univers Wildstorm pour être à peu près irréparable lui aussi, ceci dit). Seul DC parvient à faire pire. Mais ce n'est pas le propos du jour. Et le sujet de la Trilogie U-Galactus non plus, d'ailleurs, tant il semble anecdotique pour des lecteur qui ont quelques années de recul sur les menaces cosmiques qu'affrontent nos héros préférés. L'intérêt de l'univers Ultimate tient surtout à son côté "jusqu'où s'arrêteront-ils" et "comment vont-ils reformater untel ou untel ?"
Quel est, donc, l'intérêt de cette trilogie, peut-être un peu longue, de toute façon piétinée par ses suiveurs ? Il tient au traitement, parfaitement ellisien, de son sujet plus qu'au sujet lui-même. Les obsessions de l'auteur s'y déploient tranquillement. On pourrait en faire un checklist.
Recréation et "amélioration" (plus ou moins foireuse, plutôt plus que moins d'ailleurs) de l'homme par la science ? Check.
Culte du secret au niveau gouvernemental conduisant à accaparer et pervertir le savoir ? Check.
Interraction entre niveaux de réalité ? Check.
Démesure des enjeux et des solutions (désespérées) ? Check.
Le tout servi par une narration solide (parfois polluée par des erreurs de lettrage, hélas), une bonne compréhension des personnages tels qu'ils ont été définis dans l'univers Ultimate (Cap est un sale con, Fury aussi, mais différent, Stark pareil, mais à sa façon, etc...) et des ultimatisations de personnages parfois habiles (Falcon, Carole Danvers), intéressantes (Mar-Vell) ou plus discutables (le Surfer). Comme souvent chez Ellis, on peut passer brutalement de l'humour au drame, avec un rythme mieux géré que chez Bendis, par exemple. Et surtout, quand Reed Richards parle, ça fait sens. On sent que le scénariste comprend de quoi parle son personnage, même quand il part dans des envolées quantiques. Et on sent bien que Reed, cet intellectuel froid, voit se reveiller en lui quelque chose de très puissant quand il part pour l'inconnu, quand il se fait découvreur, aventurier de la science. Et qu'en même temps, ce nerd qui restait dans son coin quand il était au lycée et que les autres jouaient au football est désormais capable de remettre à sa place cette grande gueule de Fury et de faire des choix éthiquement discutables, mais hélas nécessaires, même s'il n'est pas, selon Hawkeye, un tueur.
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