Accéder au contenu principal

Le châtiment, "gong", le châtiment, ha ha ha !

Vous l'aurez remarqué, je suis moins loquace que d'habitude dans ce blog qui est pourtant censé être le réceptacle quotidien de mes humeurs, vaticinations et autres homélies déglinguées. Le fait est, j'ai mis un gros coup de turbo sur la rédaction d'Apocalypses, une brève histoire de la fin des temps, fracassant ouvrage à sortir d'ici la fin de l'année chez les Moutons Electriques, excellent éditeur au demeurant.

Du coup, autant que vous sachiez précisément pourquoi vous êtes privé de votre ration régulière de débilités nikolavitchesques...

Hop, un extrait :





Le Bug de l'An Mille

C'est une image d'Epinal : à l'approche de l'An Mille, le bon peuple d'Europe sentit venir sa fin. En effet, l'Apocalypse de Saint Jean évoquait un millénaire à l'issue duquel le Diable serait lâché, et où la Colère de Dieu s'abattrait une bonne fois sur les méchants. Les mille ans depuis l'Incarnation semblaient donc, en toute logique, marquer cette époque finale. La peur s'empara des cœurs et des esprits et, à l'approche de la fin de 999, les campagnes sont  en proie à la panique. Les gens vont se confesser en masse et regardent le ciel avec anxiété.

Bien entendu, cette jolie représentation n'a pas grand-chose à voir avec la réalité de l'époque. Au tournant du millénaire, l'Europe de l'Ouest est en proie à diverses crises, notamment démographiques, et les campagnes sont largement dépeuplées. L'Empire Carolingien n'est plus qu'un souvenir lointain, celui d'une trop brève résurgence de l'Âge d'Or de l'Empire Romain. Ces campagnes ne sont même pas complètement christianisées, et l'usage d'un calendrier assez savant pour gérer des durées dépassant le siècle n'est de toute façon pas à la portée de populations majoritairement illettrées. Les villages ont tendance à l'autarcie, les nouvelles et les idées circulent à peine. La panique de masse n'a nulle part où s'incarner.

Par contre, chez les élites ecclésiastiques, c'est une autre histoire. Non que les prêtres aient particulièrement peur du retour de Dieu : ils sont ses représentants sur terre, après tout, et le rempart contre un paganisme encore solidement implanté dans les campagnes. Mais l'arrivée prochaine du millénaire est une opportunité de choix. Si la conversion des paysans pouvait être un bonus, l'idée est avant tout d'instiller la peur dans les cœurs des nobles, et de rendre à l'église une place centrale au cœur du jeu politique. Mais pour y arriver, il faut d'abord reprendre en main la vie sociale. Tout ce qui est mariage, transmission du pouvoir séculier ou circulation de l'argent est régi par un droit coutumier mixant l'ancien droit romain et les lois barbares et, si des ecclésiastiques, notamment les évêques, tiennent des fiefs et font de la politique, c'est généralement en leur nom personnel et pas en celui de l'église.

Brandir le Millénaire et le Retour du Christ permet d'exiger peu à peu, dès 930 alors que l'ordre carolingien est en train de s'effriter, une moralisation de la vie publique via une sacralisation de certains actes de la vie quotidienne (mariage, mais aussi serment d'allégeance). Le mariage n'est ainsi plus le simple accord à visée économique qu'il était jusqu'alors : l'église insiste sur le fait qu'il a été institué par Dieu à l'aube des temps et commence à jeter l'anathème sur certaines pratiques traditionnelles comme le rapt matrimonial. Puis, pour donner à l'ensemble une validation incontestable, elle lui invente au dixième siècle une liturgie. Ceux qui ne se marient pas dans les règles sont voués à l'enfer.

Dès lors, ne serait-ce que pour s'assurer une certaine tranquillité d'esprit, mieux vaut passer devant le prêtre pour contracter une alliance. Sauf qu'ainsi, on lui donne un énorme pouvoir : c'est lui qui dit la licité de l'union, et donc qui peut au contraire proclamer  qu'elle est illicite. C'est loin d'être anodin, surtout quand les motifs de refus sont liés à des critères de consanguinité restrictifs mais suffisamment flous pour permettre un peu d'interprétation. Le mariage des seigneurs étant au cœur du jeu politique, l'église le reprend en main sous couvert de rituel, et acquiert bien vite un pouvoir que d'aucuns jugeront exorbitant (l'histoire d'Henri VIII, quelques siècles plus tard, en porte témoignage).

C'est une version médiévale du pari de Pascal qui est à l'œuvre, face au risque du Jugement dernier. Et c'est comme ça qu'en deux générations, une nouvelle tradition remplace l'ancienne.

L'Apocalypse s'éloigne alors clairement alors de son aspect contestataire. Elle est une menace brandie pour reprendre en main le monde séculier, un outil de contrôle politique. Les prophètes de l'Ancien Testament ne s'y prenaient pas autrement quand ils menaçaient de la colère divine les rois qu'ils jugeaient impies. L'originalité des penseurs ecclésiastiques du dixième siècle, c'est d'avoir joué sur l'aspect terrifiant des visions de Saint Jean en en gommant tout l'aspect désirable, en faisant de chaque homme potentiellement l'impie jeté dans le lac de feu, plutôt que l'élu promis au ciel. La fin du monde décrite dans l'Apocalypse était le prélude à la libération des opprimés et des faibles. A l'approche de l'An Mille, elle devient un moyen de mettre au pas les puissants, en un de ces curieux retournements dont l'Histoire semble friande.

Commentaires

Geoffrey a dit…
Passionnant. Vivement le bouquin entier.

Posts les plus consultés de ce blog

My mama said to get things done...

Je suis passé à Aurore Système, petit salon de SF organisé à Ground Control, à Paris, par la librairie Charybde. Je ne connaissais pas le lieu, que j'ai découvert et qui est très chouette. Je venais surtout pour une table ronde sur l'IA, qui est un des sujet importants de nos jours et déchaîne les passions, surtout sous sa forme "générative", les chat GPT, Midjourney et autres. Je me suis tenu un peu à l'écart de ces trucs-là, pour ma part. Je suis très méfiant (même s'il m'est arrivé d'employer Deep-L professionnellement pour dégrossir des traductions du français vers l'anglais, que je retravaillais en profondeur ensuite), parce que l'ai bien conscience du processus et des arrières pensées derrière. J'en ai déjà causé sur ce blog, ici et ici .  La table ronde réunissait trois pointures, Olivier Paquet, Catherine Dufour et Saul Pandelakis, qui ont écrit sur le sujet, et pas mal réfléchi. Lors des questions qui ont suivi, on a eu aussi une...

Un bouquin pour les gouverner tous

  Tiens, j'en avais pas encore causé parce que j'attendais que ce soit officialisé, mais le prochain Pop Icons portera ma signature et sur J.R.R. Tolkien (oui, je tente le zeugme acrobatique, je suis comme ça). Comme pour mon précédent, consacré à H.P. Lovecraft, il y aura une campagne de financement participatif , mais  on pourra aussi le trouver en kiosque et en librairie d'ici la fin du mois prochain. Je suis un peu moins pointu à la base en Tolkien qu'en Lovecraft, mais j'ai fait mes devoirs pour l'occasion, découvrant pas mal de trucs que je n'avais pas lus jusqu'alors, notamment ses correspondances. Voilà, foncez, pour Eorlingas, la Comté et tout le reste !    

De géants guerriers celtes

Avec la fin des Moutons, je m'aperçois que certains textes publiés en anthologies deviennent indisponibles. J'aimais bien celui-ci, que j'ai sérieusement galéré à écrire à l'époque. Le sujet, c'est notre vision de l'héroïsme à l'aune de l'histoire de Cúchulainn, le "chien du forgeron". J'avais par ailleurs parlé du personnage ici, à l'occasion du roman que Camille Leboulanger avait consacré au personnage . C'est une lecture hautement recommandable.     Cúchulainn, modèle de héros ? Guerrier mythique ayant vécu, selon la légende, aux premiers temps de l’Empire Romain et du Christianisme, mais aux franges du monde connu de l’époque, Cúchulainn a, à nos yeux, quelque chose de profondément exotique. En effet, le « Chien du forgeron » ne semble ni lancé dans une quête initiatique, ni porteur des valeurs que nous associons désormais à l’héroïsme. Et pourtant, sa nature de grand héros épique demeure indiscutable, ou en tout cas...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Sweet sixteen

Bon, ayé, nous voilà en 2016, donc tous mes vœux à tous. Et comme bonne résolution de nouvel an, et comme les années précédente, j'ai pris la résolution de ne pas prendre de bonnes résolutions. Parce que primo on ne les tient pas, et secundo on a mauvaise conscience de ne pas les tenir, donc c'est doublement contre-productif. Hier soir, pour le réveillon, il a fallu que je me démerde pour servir un truc sympa un peu au débotté, à l'arrache, avec ce que j'ai pu dénicher à la supérette du coin, préalablement pillée par d'autres retardataires juste un peu moins retardataires que moi. Déjà qu'ils n'ont pas des masses de choix en temps normal, là c'était un peu le Sud Soudan. Donc outre les entrées basiques, petits canapés agrémentés de garnitures sympas, j'ai préparé un truc un peu nouvelle cuisine, dont l'idée mes venue en furetant dans le rayon (bon, si ça se trouve, ça existe déjà, mais j'ai trouvé le truc, de mon côté, en faisant un jeu...

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

Le diable dans les détails

 La nouvelle série Daredevil, Born Again vient de commencer chez Disney, reprenant les mêmes acteurs que l'ancienne et développant des choses intéressantes, pour ce qu'on en voit jusqu'ici, faisant évoluer la relation entre Fisk et Murdock, le Kingpin étant désormais traité sous un angle plus politique, avec quelques coups de pieds de l'âne envers Trump et ses thuriféraires, ce qui après tout est de bonne guerre. J'étais un peu passé à côté de la vieille série, dont je n'avais pas vu grand-chose, mais je j'ai tranquillement rattrapé ces derniers temps, la réévaluant à la hausse.   Du coup, ça m'a surtout donné envie de me remettre aux comics. Daredevil, c'est un personnage que j'ai toujours bien aimé. Je me suis donc refait tous les Miller en une petite semaine. Hormis quelques épisodes, je n'avais pas relu ça d'un bloc depuis une bonne dizaine d'années. Ça reste un des runs fondamentaux sur le personnage, et tout ce qui vient après...

We have ignition !

Ayé, je viens de recevoir au courrier un exemplaire de Cosmonautes ! les Conquerants de l'Espace , mon dernier bouquin en date. L'on y explore deux mille ans et plus de projections vers le firmament, et c'est chez les Moutons électriques, excellent éditeur chez qui j'avais déjà commis Mythe & Super-Héros , Apocalypses ! une brève histoire de la fin des temps ainsi que diverses petites choses dans la revue Fiction .    Le mois prochain, vous pourrez aussi me retrouver dans le Dico des Créatures Oubliées , aux côtés de gens fort estimables comme Patrick Marcel, André-François Ruaud, Xavier Mauméjean ou Richard D. Nolane, et j'en passe. Ça sortira le 2 octobre, toujours chez les Moutons électriques.

Numérologie

Tous les auteurs, je crois, ont leur petites coquetteries et afféteries d'écriture, des trucs auxquels ils tiennent et qui ne fascinent généralement qu'eux, et que personne ne remarque vraiment.   Bon, tout le monde a remarqué mes titres alambiquées sur la trilogie du Chien Noir , en allitération, reprenant la première phrase de chaque roman. C'était pour moi un moyen de me glisser dans des formes très anciennes, des codes de l'épopée, même si, fondamentalement, je ne sais pas si ces textes constituent en soi des épopées. Ils ont quelques moments épiques, je crois, mais ce n'en est pas la clé principale. Plus discret, il y a un jeu numérologique qui a émergé en cours de route. Mais reprenons : Trois Coracles, au départ, était conçu comme un one shot . Ce qui m'avait motivé, je l'ai déjà raconté, c'était l'histoire d'Uther, j'avais l'idée de transformer cette note en bas de page du récit arthurien en intrigue principale. Une fois le roman...