Le tabou alimentaire est un marqueur identitaire fort. Les archéologues le savent bien, qui au Proche-Orient arrivent à repérer des mouvements de population rien qu'en étudient leurs déchets enfouis depuis des millénaires, et peuvent en extrapoler des données sur leur religion, leurs dieux. Des conflits de culture durables ont été liés à des interdits alimentaires.
Et puis le temps a passé. Nos sociétés se sont tant bien que mal sécularisées. Encore dernièrement, les questions de prescriptions religieuses quant à la boustifaille ont été au centre de pataudes polémiques. Certains ont tenté, ici et là, de glisser la notion de bon sens selon laquelle ces restrictions relevaient d'un autre âge, moins éclairé. La mainmise de Dieu sur nos assiettes n'étaient qu'une relique, un legs d'ères plus ténébreuses.
Il faut dire que (au grand dam de Ben Sixtine, qui a plus de dam que de dames chez lui, faut croire) Dieu a perdu du poids dans le monde d'aujourd'hui. Le désir de Le voir tout régenter d'un bout à l'autre de nos vies semble n'être présent que chez les franges les plus rétrogrades des coteries et cliques religieuses. L'immense majorité de nos sociétés n'en veulent pas. D'ailleurs, on peut commander un steak tartare le vendredi sans plus s'attirer les gros yeux des mamies (ça tombe bien, le monsieur qui fait un excellent tartare de cheval* sur le marché d'à côté, c'est le vendredi qu'il vient, c'est probablement encore un de ces libre-penseurs athées). Mais même des musulmans complètement sécularisés, qui ne croient en rien, ont du mal à manger du cochon : à partir du moment où, dès l'enfance, on vous parle d'un aliment comme étant "impur", il est très difficile de surmonter un dégoût devenu instinctif, même quand on a complètement rationalisé son rapport à l'assiette.
Il est intéressant de noter que, depuis l'aube des temps, ces interdits sont une prérogative exclusive des grands barbus célestes ou autres manitous cosmiques. On note très souvent que les sectes New Age actuelles n'ont rien de plus pressé, dès leurs commencements, de mettre en place un dogme dans ce domaine, qu'il soit d'inspiration végétarienne, macrobiotique, instinctiviste ou purement fantaisiste, selon le goût du jour et du gourou. Le rigorisme de ce dogme étant évidemment le garant du sérieux de l'entreprise.
Pour les non religieux, donc, il est de bon ton de moquer gentiment les anathèmes alimentaires lancés au nom(s) d'une quelconque déité. Curieusement, ce sont les mêmes qui vont prendre comme parole d'évangile les prescriptions alimentaires autrement plus rigoureuses des Montignac, Dukan ou tout autre ayatollah de la diététique, détenteur autoproclamé d'une vérité boustifesque quelconque se retrouvant à la mode à un moment quelconque.
Vous noterez que, dès que vous critiquez quelque part une de ces "méthodes" présentées comme d'un parfait rationalisme empirique, il y a toujours de bonnes âmes pour venir les défendre, au motif que "je l'ai fait, et ça marche". à peu près de la même façon que revendiquer un athéisme quelconque à Brooklyn ou Nashville est un bon moyen de se faire sortir par des gens dont "Jésus a changé la vie". Suivre la "méthode", en épluchant de près la notice des aliments, leurs taux en ceci ou cela, est devenu une part importante de leur vie. Le plaisir de l'assiette n'est plus lié à la satisfaction des papilles, mais à celle qui accompagne la certitude du devoir accompli. Toute incartade gourmande est vécue avec les affres qu'on associait jadis au péché, le pain au chocolat furtif acheté loin du domicile s'accompagne de ce frisson d'interdit, de cette rage intérieure contre sa propre faiblesse.
En fait, ces diététiciens sont tout simplement des gens qui jouent à Dieu. Dans un monde désenchanté, avec cet orgueil tout ce qu'il y a de plus satanique qu'on ne retrouvait jadis que chez les inquisiteurs généraux ou de grade supérieur (inquisiteurs généraux quatre étoile, inquisiteurs maréchaux d'empire, inquisiteurs chefs d'état major, etc.), ils se mettent à la place de Dieu, jouissant sans entrave de ce pouvoir exorbitant que de pauvres âmes leur laissent exercer sur leurs vies, jusqu'aux portes du frigo et au-delà. Comme tous les magazines santé/féminins/art de vivre leur laissent des pages et des pages de tribunes où étaler leurs fatwas, ce mal se répand insidieusement dans tous les esprits, contamine comme un cancer* toutes les strates de la société.
Si vous avez la chance d'avoir un médecin de famille qui n'a pas encore été contaminé, qui sait apprécier à sa juste valeur le bon vin ou la bonne entrecôte avec une sauce au roquefort qui va bien, chérissez-le et soyez-lui fidèle. Il en existe encore, des comme ça, j'en connais quelques uns. Il existe encore des toubibs qui ne sont pas des nazis de la bouffe. Qui savent qu'on peut manger relativement sainement sans simagrées démesurées, sans pointer du doigt tel aliment devenu d'un coup diabolique, ni diviniser telle molécule quelconque promue au rang de panacée universelle.
Merde, j'ai envie d'un sandwich rillettes-échalotes, tout d'un coup.
*chose amusante, la détestation nette et franche, le dégoût outré que les Anglais et Scandinaves portent à la viande de cheval vient d'une double prescription religieuse : au départ, la viande de cheval était énormément consommée dans ces pays-là, les pays de forte pénétration norroise, dans le cadre du culte ancestral d'Odin. On sacrifiait des chevaux au vieux barbu borgne et on les consommait rituellement à l'occasion de grands banquets. Bien entendu, au moment de la christianisation de ces régions, les curés ont vite compris que la viande de cheval était un marqueur du paganisme. Ils ont donc instauré un tabou local chez leurs ouailles, ce qui permettait d'identifier facilement ceux qui n'avaient pas renoncé à leurs anciennes coutumes. Deux siècles plus tard, le tabou n'avait plus de sens, puisqu'il n'y avait plus de païens, mais il était tellement inséré dans la société que même après la conversion au protestantisme, il est resté en vigueur de fait, au point que n'importe quel biflandais se sent défaillir à la simple lecture d'une carte de brasserie proposant le steak haché avec oeuf à cheval, quand bien même il serait fait d'honnête boeuf charolais. On a beau être le premier avril, je vous jure que cette histoire est rigoureusement authentique.
**ayons une pensée pour David Servan-Schreiber, qui après avoir écrit un joli livre expliquant comment un régime entre autres sans viande (sur la foi de statistiques dont il avait une lecture assez personnelle, pour ce que j'en ai vu) pouvait prévenir et guérir du cancer, est mort de vous savez quoi. D'ailleurs, on en revient, ces temps-ci, des oméga-3 à toutes les sauces.
Et puis le temps a passé. Nos sociétés se sont tant bien que mal sécularisées. Encore dernièrement, les questions de prescriptions religieuses quant à la boustifaille ont été au centre de pataudes polémiques. Certains ont tenté, ici et là, de glisser la notion de bon sens selon laquelle ces restrictions relevaient d'un autre âge, moins éclairé. La mainmise de Dieu sur nos assiettes n'étaient qu'une relique, un legs d'ères plus ténébreuses.
Il faut dire que (au grand dam de Ben Sixtine, qui a plus de dam que de dames chez lui, faut croire) Dieu a perdu du poids dans le monde d'aujourd'hui. Le désir de Le voir tout régenter d'un bout à l'autre de nos vies semble n'être présent que chez les franges les plus rétrogrades des coteries et cliques religieuses. L'immense majorité de nos sociétés n'en veulent pas. D'ailleurs, on peut commander un steak tartare le vendredi sans plus s'attirer les gros yeux des mamies (ça tombe bien, le monsieur qui fait un excellent tartare de cheval* sur le marché d'à côté, c'est le vendredi qu'il vient, c'est probablement encore un de ces libre-penseurs athées). Mais même des musulmans complètement sécularisés, qui ne croient en rien, ont du mal à manger du cochon : à partir du moment où, dès l'enfance, on vous parle d'un aliment comme étant "impur", il est très difficile de surmonter un dégoût devenu instinctif, même quand on a complètement rationalisé son rapport à l'assiette.
Il est intéressant de noter que, depuis l'aube des temps, ces interdits sont une prérogative exclusive des grands barbus célestes ou autres manitous cosmiques. On note très souvent que les sectes New Age actuelles n'ont rien de plus pressé, dès leurs commencements, de mettre en place un dogme dans ce domaine, qu'il soit d'inspiration végétarienne, macrobiotique, instinctiviste ou purement fantaisiste, selon le goût du jour et du gourou. Le rigorisme de ce dogme étant évidemment le garant du sérieux de l'entreprise.
Pour les non religieux, donc, il est de bon ton de moquer gentiment les anathèmes alimentaires lancés au nom(s) d'une quelconque déité. Curieusement, ce sont les mêmes qui vont prendre comme parole d'évangile les prescriptions alimentaires autrement plus rigoureuses des Montignac, Dukan ou tout autre ayatollah de la diététique, détenteur autoproclamé d'une vérité boustifesque quelconque se retrouvant à la mode à un moment quelconque.
Vous noterez que, dès que vous critiquez quelque part une de ces "méthodes" présentées comme d'un parfait rationalisme empirique, il y a toujours de bonnes âmes pour venir les défendre, au motif que "je l'ai fait, et ça marche". à peu près de la même façon que revendiquer un athéisme quelconque à Brooklyn ou Nashville est un bon moyen de se faire sortir par des gens dont "Jésus a changé la vie". Suivre la "méthode", en épluchant de près la notice des aliments, leurs taux en ceci ou cela, est devenu une part importante de leur vie. Le plaisir de l'assiette n'est plus lié à la satisfaction des papilles, mais à celle qui accompagne la certitude du devoir accompli. Toute incartade gourmande est vécue avec les affres qu'on associait jadis au péché, le pain au chocolat furtif acheté loin du domicile s'accompagne de ce frisson d'interdit, de cette rage intérieure contre sa propre faiblesse.
En fait, ces diététiciens sont tout simplement des gens qui jouent à Dieu. Dans un monde désenchanté, avec cet orgueil tout ce qu'il y a de plus satanique qu'on ne retrouvait jadis que chez les inquisiteurs généraux ou de grade supérieur (inquisiteurs généraux quatre étoile, inquisiteurs maréchaux d'empire, inquisiteurs chefs d'état major, etc.), ils se mettent à la place de Dieu, jouissant sans entrave de ce pouvoir exorbitant que de pauvres âmes leur laissent exercer sur leurs vies, jusqu'aux portes du frigo et au-delà. Comme tous les magazines santé/féminins/art de vivre leur laissent des pages et des pages de tribunes où étaler leurs fatwas, ce mal se répand insidieusement dans tous les esprits, contamine comme un cancer* toutes les strates de la société.
Si vous avez la chance d'avoir un médecin de famille qui n'a pas encore été contaminé, qui sait apprécier à sa juste valeur le bon vin ou la bonne entrecôte avec une sauce au roquefort qui va bien, chérissez-le et soyez-lui fidèle. Il en existe encore, des comme ça, j'en connais quelques uns. Il existe encore des toubibs qui ne sont pas des nazis de la bouffe. Qui savent qu'on peut manger relativement sainement sans simagrées démesurées, sans pointer du doigt tel aliment devenu d'un coup diabolique, ni diviniser telle molécule quelconque promue au rang de panacée universelle.
Merde, j'ai envie d'un sandwich rillettes-échalotes, tout d'un coup.
*chose amusante, la détestation nette et franche, le dégoût outré que les Anglais et Scandinaves portent à la viande de cheval vient d'une double prescription religieuse : au départ, la viande de cheval était énormément consommée dans ces pays-là, les pays de forte pénétration norroise, dans le cadre du culte ancestral d'Odin. On sacrifiait des chevaux au vieux barbu borgne et on les consommait rituellement à l'occasion de grands banquets. Bien entendu, au moment de la christianisation de ces régions, les curés ont vite compris que la viande de cheval était un marqueur du paganisme. Ils ont donc instauré un tabou local chez leurs ouailles, ce qui permettait d'identifier facilement ceux qui n'avaient pas renoncé à leurs anciennes coutumes. Deux siècles plus tard, le tabou n'avait plus de sens, puisqu'il n'y avait plus de païens, mais il était tellement inséré dans la société que même après la conversion au protestantisme, il est resté en vigueur de fait, au point que n'importe quel biflandais se sent défaillir à la simple lecture d'une carte de brasserie proposant le steak haché avec oeuf à cheval, quand bien même il serait fait d'honnête boeuf charolais. On a beau être le premier avril, je vous jure que cette histoire est rigoureusement authentique.
**ayons une pensée pour David Servan-Schreiber, qui après avoir écrit un joli livre expliquant comment un régime entre autres sans viande (sur la foi de statistiques dont il avait une lecture assez personnelle, pour ce que j'en ai vu) pouvait prévenir et guérir du cancer, est mort de vous savez quoi. D'ailleurs, on en revient, ces temps-ci, des oméga-3 à toutes les sauces.
Commentaires
Mais je pense aussi qu'on parle plus des gens que tu critiques (à juste titre selon moi), alors qu'ils ne sont pas aussi nombreux (à mon avis) qu'on peut le craindre (hormis les poissonniers du vendredi, encore que dans les écoles catholiques, ils le respectent à peine ! Tout se perd !)
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/06/le-beaujolais-champion-de-la-supraconductivite_1681241_1650684.html#xtor=RSS-3208
Je me demande ce qu'aurait pu donner la Rakija !