Encore une rediffusion d'un vieil article (2005, déjà !), mais passablement remanié.
Les esprits chagrins regrettent souvent l'absence de logique propre au rêve. Et en effet, si l'on s'en tient à l'étymologie, le rêve n'a aucune logique, puisqu'il émane de l'inconscient, qui fonctionne par nature à un niveau non verbal. Dans le rêve, on est dans le symbole et pas dans sa formulation, dans la vision plus que dans le logos. Mais si l'on considère que le rêve est un discours que nous tient l'inconscient, alors il devient logique en soi, même s'il relève d'une logique qu'on qualifiera de différente.
Le rêve est une mise en scène symbolique par l'inconscient de notre perception intime du monde dans lequel nous nous débattons, sans s'embarrasser de la plupart des filtres sociaux et culturels que nous portons tels une armure à l'état de veille, ces filtres qui nous permettent d'adopter une personna sociale et de maintenir une barrière entre le moi et le monde. Le rêve est une représentation de la façon dont notre inconscient perçoit le monde, et le moi s'y mélange au monde, il met en exergue les lieux qui ont contribué à forger notre personnalité, ces endroits extérieurs en apparence au moi, mais qui y sont intégrés à leur manière. Dès lors, comparer les lieux que l'on fréquente à l'état de veille et ceux qu'on arpente en rêve peut ouvrir certaines portes.
Quels sont les lieux que je visite, au coeur de la nuit ? La maison de mon enfance, par exemple. C'était un lieu étrange, biscornu, très ancien, que j'adorais et que je regrette encore (elle a été abattue il y a près d'une trentaine d'années) et le quartier qui l'entourait. Ce sont des lieux qui ont compté pour moi, et la mémoire onirique les restitue tels quels, y compris dans des détails que je croyais avoir oubliés. J'ai rêvé il y a peu du plancher vermoulu du petit grenier, par exemple. Ce petit grenier, je n'y mettais jamais les pieds, je n'y ai pénétré que trois ou quatre fois dans ma vie tout au plus, et je n'y repense jamais. Et là, d'un coup, des détails très nets me sont revenus, détails que je sais vrais, comme ces lattes du plancher, un peu disjointe, qui permettaient de voir le sol du porche, six mètres plus bas. Je rêve souvent de la terrasse, du toit de l'atelier, du terrain vague d'à côté, qui avait été un dépôt de charbon, puis un dépôt de matériel, puis un endroit informe, retourné à l'état sauvage. Divers éléments du quartier sont des passages obligés, et sont dans mes rêves tels que s'en souvient le petit garçon que j'étais (l'adulte est allé les voir, mais le changement d'échelle survenu avec la croissance les rendait méconnaissables et sans intérêt, alors qu'en rêve ils gardent leur échelle énorme).
Je rêve fréquemment de la ville où j'habite depuis quelques années. Curieusement, je ne rêve quasiment jamais de la ville où j'ai habité les dix ans qui ont précédés. Tout au plus certains de ses éléments se retrouvent, épars, dans d'autres endroits visités en songe, une ou deux rues que j'aime bien. Faut-il préciser que je ne me suis jamais senti chez moi dans cette ville-là ? Alors que je me suis totalement intégré à mon nouvel environnement.
Les rêves m'emmènent dans des lieux que j'aime, et dans des lieux que je déteste ou que je crains, mais pas dans des lieux qui, quand on y réfléchit, m'indiffèrent assez. Sauf dans un cas, une rue où je suis allé me promener deux fois il y a très longtemps, sur ma pause de midi, dans une ville où je travaillais, une rue trop longue et sans agrément, dépourvue du moindre intérêt, et dont je rêve pourtant assez régulièrement. Pourquoi ? Mystère. Il faudra que j'aille y voir à l'occasion si un détail important ne m'y a pas échappé. Ou alors, elle est devenue le symbole, pour mon esprit, d'une forme de désert urbain, la quintessence de ce genre de lieux interchangeables et moroses où l'on ne s'attarde pas.
Plus curieux, et bien plus fréquents, il y a les lieux composites, ou déformés. Le virage serré, au bout de la rue qui menait à la bibliothèque municipale (à celle de la ville d'à côté, en tout cas) a été modifié il y a une éternité. Mais en rêve, je le vois tel qu'il était quand je le prenais à vélo. Par contre, les immeubles de cette rue sont différents de la réalité, pris dans une résidence qui n'a rien à voir, à l'autre bout de la région. Telle ville côtière qui revient très régulièrement dans mes rêves mélange les caractéristiques de plusieurs endroits où j'ai pu passer, parfois très brièvement, de Dinard à Barcelone en passant par Sibenik et Venise. Fluctuante au début, sa géographie a fini par se stabiliser, et je m'y sens chez moi, connaissant à peu près à présent la façon dont ses artères principales s'articulent entre elles, et la façon dont elles descendent doucement vers la mer. Et quand, éveillé, je repense à cet endroit, je peux localiser précisément dans le monde réel chaque bâtiment, chaque rue. Cette ville côtière n'a pas de nom, en tout cas. Elle a ses vieux quartiers aux maisons hors d'âge, sa zone industrielle de l'époque de la révolution industrielle, toute en brique rouge et en ferrures rivetées (c'est là que, dans un rêve ancien, j'ai été récupérer le Nautilus, avant d'en refiler avec réticences les clés à Kirk Douglas et depuis, chaque fois qu'en rêve je repasse devant le bassin, il est désespérément vide). Cette ville a même ses traditions, comme les mystérieux bateaux-carnaval et, si le temps semble s'y être arrêté, elle a un passé très dense, qui me revient parfois par bribes. C'est un endroit où j'aimerais bien aller couler mes vieux jours, mais j'ai dans l'idée que c'est mal barré.
à l'autre bout du spectre urbanistique, il y a New York. Pas le vrai New York, bien sûr. Mais un endroit démesuré qui s'appelle New York, dans lequel l'aéroport est en centre ville, dont les rues forment un étrange labyrinthe rectiligne où l'on se perd facilement sans avoir jamais tourné, et dont les ruelles donnent parfois sur de petits quartiers préservés, un peu mystérieux, presque bucoliques. Curieusement, ce New York onirique semble intégrer le centre commercial de la Plazza de Catalunia, à Barcelone, et l'intégrait même à un moment où je n'avais encore jamais mis les pieds à Barcelone et jamais entendu parlé de la Plazza de Catalunia. Me retrouver un jour confronté au lieu réel que je ne connaissais pas alors que je l'avais visité à deux ou trois reprises en rêve m'a un peu estomaqué, m'a mis profondément mal à l'aise.
La gare générique de mes rêves est pour partie celle de mon enfance, pour partie celle à côté de laquelle je me suis installé à l'adolescence (à une station d'écart, d'ailleurs, dans les faits). À présent, elle intègre d'ailleurs quelques éléments d'autres stations que je me suis trouvé fréquenter ces dernières années. Le trajet des trains qui y passent est pour sa part totalement aberrant, mélangeant les caractéristiques de pas moins d'une dizaine de lignes de banlieue que j'ai prises à un moment où à un autre. Et ces trains sont toujours en retard. Alors que je ne voyage quasiment qu'en train, et que c'est un moyen de transport qui me convient tout à fait, quand je le prends en rêve, le train devient quelque chose de menaçant, plongeant dans l'inconnu, traversant des friches industrielles colossales.
Curieusement, les différences entre lieu réel et lieu rêvé, quand elles sont criantes, ne me choquent pas. C'est quand elles sont infimes qu'elles m'inquiètent plus et me réveillent. C'est ainsi qu'une nuit je me suis réveillé. Je suis allé aux toilettes, et au moment de faire mon affaire, j'ai réalisé que l'emplacement de la cuvette et celui du lavabo avaient été inversés. Ce qui était normalement à gauche (les toilettes) était maintenant à droite, à la place du lavabo, et inversement. Ça m'a réveillé en sursaut, trempé de sueur. Un rêve trop réel, où le moindre décalage faisait peur. Il m'a fallu faire un terrible effort de volonté pour me lever, et aller vérifier que les choses étaient rentrées dans l'ordre. Le constatant, j'ai d'ailleurs enfin pu enfin aller pisser, mais ce n'est pas le propos du jour.
Il y a une certaine logique dans cette géographie des rêves (et parfois des cauchemars). Mais cette logique m'échappe encore pour partie. Un jour je dresserai une carte du monde de mes rêves, avec sa cité côtière si pitoresque, ce quartier de mon enfance préservé au moins certaines nuits des outrages des promoteurs, ce New York délirant et kafkaïen, ce Paris de carte postale démente, à la Seine plus étroite, aux façades pimpantes, aux habitants aimables, ces lignes de train allant nulle part ou vers des endroits que je préfèrerais éviter, et aussi ces trous sur la carte, ces endroits que j'évite effectivement, dans le secret de mon sommeil, sans que je sache exactement pourquoi...
Les esprits chagrins regrettent souvent l'absence de logique propre au rêve. Et en effet, si l'on s'en tient à l'étymologie, le rêve n'a aucune logique, puisqu'il émane de l'inconscient, qui fonctionne par nature à un niveau non verbal. Dans le rêve, on est dans le symbole et pas dans sa formulation, dans la vision plus que dans le logos. Mais si l'on considère que le rêve est un discours que nous tient l'inconscient, alors il devient logique en soi, même s'il relève d'une logique qu'on qualifiera de différente.
Le rêve est une mise en scène symbolique par l'inconscient de notre perception intime du monde dans lequel nous nous débattons, sans s'embarrasser de la plupart des filtres sociaux et culturels que nous portons tels une armure à l'état de veille, ces filtres qui nous permettent d'adopter une personna sociale et de maintenir une barrière entre le moi et le monde. Le rêve est une représentation de la façon dont notre inconscient perçoit le monde, et le moi s'y mélange au monde, il met en exergue les lieux qui ont contribué à forger notre personnalité, ces endroits extérieurs en apparence au moi, mais qui y sont intégrés à leur manière. Dès lors, comparer les lieux que l'on fréquente à l'état de veille et ceux qu'on arpente en rêve peut ouvrir certaines portes.
Je rêve fréquemment de la ville où j'habite depuis quelques années. Curieusement, je ne rêve quasiment jamais de la ville où j'ai habité les dix ans qui ont précédés. Tout au plus certains de ses éléments se retrouvent, épars, dans d'autres endroits visités en songe, une ou deux rues que j'aime bien. Faut-il préciser que je ne me suis jamais senti chez moi dans cette ville-là ? Alors que je me suis totalement intégré à mon nouvel environnement.
Les rêves m'emmènent dans des lieux que j'aime, et dans des lieux que je déteste ou que je crains, mais pas dans des lieux qui, quand on y réfléchit, m'indiffèrent assez. Sauf dans un cas, une rue où je suis allé me promener deux fois il y a très longtemps, sur ma pause de midi, dans une ville où je travaillais, une rue trop longue et sans agrément, dépourvue du moindre intérêt, et dont je rêve pourtant assez régulièrement. Pourquoi ? Mystère. Il faudra que j'aille y voir à l'occasion si un détail important ne m'y a pas échappé. Ou alors, elle est devenue le symbole, pour mon esprit, d'une forme de désert urbain, la quintessence de ce genre de lieux interchangeables et moroses où l'on ne s'attarde pas.
Plus curieux, et bien plus fréquents, il y a les lieux composites, ou déformés. Le virage serré, au bout de la rue qui menait à la bibliothèque municipale (à celle de la ville d'à côté, en tout cas) a été modifié il y a une éternité. Mais en rêve, je le vois tel qu'il était quand je le prenais à vélo. Par contre, les immeubles de cette rue sont différents de la réalité, pris dans une résidence qui n'a rien à voir, à l'autre bout de la région. Telle ville côtière qui revient très régulièrement dans mes rêves mélange les caractéristiques de plusieurs endroits où j'ai pu passer, parfois très brièvement, de Dinard à Barcelone en passant par Sibenik et Venise. Fluctuante au début, sa géographie a fini par se stabiliser, et je m'y sens chez moi, connaissant à peu près à présent la façon dont ses artères principales s'articulent entre elles, et la façon dont elles descendent doucement vers la mer. Et quand, éveillé, je repense à cet endroit, je peux localiser précisément dans le monde réel chaque bâtiment, chaque rue. Cette ville côtière n'a pas de nom, en tout cas. Elle a ses vieux quartiers aux maisons hors d'âge, sa zone industrielle de l'époque de la révolution industrielle, toute en brique rouge et en ferrures rivetées (c'est là que, dans un rêve ancien, j'ai été récupérer le Nautilus, avant d'en refiler avec réticences les clés à Kirk Douglas et depuis, chaque fois qu'en rêve je repasse devant le bassin, il est désespérément vide). Cette ville a même ses traditions, comme les mystérieux bateaux-carnaval et, si le temps semble s'y être arrêté, elle a un passé très dense, qui me revient parfois par bribes. C'est un endroit où j'aimerais bien aller couler mes vieux jours, mais j'ai dans l'idée que c'est mal barré.
La gare générique de mes rêves est pour partie celle de mon enfance, pour partie celle à côté de laquelle je me suis installé à l'adolescence (à une station d'écart, d'ailleurs, dans les faits). À présent, elle intègre d'ailleurs quelques éléments d'autres stations que je me suis trouvé fréquenter ces dernières années. Le trajet des trains qui y passent est pour sa part totalement aberrant, mélangeant les caractéristiques de pas moins d'une dizaine de lignes de banlieue que j'ai prises à un moment où à un autre. Et ces trains sont toujours en retard. Alors que je ne voyage quasiment qu'en train, et que c'est un moyen de transport qui me convient tout à fait, quand je le prends en rêve, le train devient quelque chose de menaçant, plongeant dans l'inconnu, traversant des friches industrielles colossales.
Curieusement, les différences entre lieu réel et lieu rêvé, quand elles sont criantes, ne me choquent pas. C'est quand elles sont infimes qu'elles m'inquiètent plus et me réveillent. C'est ainsi qu'une nuit je me suis réveillé. Je suis allé aux toilettes, et au moment de faire mon affaire, j'ai réalisé que l'emplacement de la cuvette et celui du lavabo avaient été inversés. Ce qui était normalement à gauche (les toilettes) était maintenant à droite, à la place du lavabo, et inversement. Ça m'a réveillé en sursaut, trempé de sueur. Un rêve trop réel, où le moindre décalage faisait peur. Il m'a fallu faire un terrible effort de volonté pour me lever, et aller vérifier que les choses étaient rentrées dans l'ordre. Le constatant, j'ai d'ailleurs enfin pu enfin aller pisser, mais ce n'est pas le propos du jour.
Il y a une certaine logique dans cette géographie des rêves (et parfois des cauchemars). Mais cette logique m'échappe encore pour partie. Un jour je dresserai une carte du monde de mes rêves, avec sa cité côtière si pitoresque, ce quartier de mon enfance préservé au moins certaines nuits des outrages des promoteurs, ce New York délirant et kafkaïen, ce Paris de carte postale démente, à la Seine plus étroite, aux façades pimpantes, aux habitants aimables, ces lignes de train allant nulle part ou vers des endroits que je préfèrerais éviter, et aussi ces trous sur la carte, ces endroits que j'évite effectivement, dans le secret de mon sommeil, sans que je sache exactement pourquoi...
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