La phase finale d'écriture sur Les exilés de la plaine avance encore plus vite que prévu, ce qui constitue une surprise d'autant plus agréable qu'il s'agit une fois encore d'un de ces bouquins où il y a eu de grosses phases de panne, après un démarrage en trombe où le premier quart du bouquin est tombé en un mois et demi à peine.
J'y repensais ce soir suite à une conversation approfondie avec mon très estimable confrère David Camus (qui se lance ces temps-ci dans un projet dingue de traduction de la correspondance entre R.E. Howard et H.P. Lovecraft, en tandem avec Patrice Louinet) où, après avoir discuté HPL, traduction, rapport à l'oeuvre, projets en cours dans ce domaine, l'on s'est confiés nos angoisses respectives quant à ce genre de passages à vide. Je connais peu d'auteurs qui ne rencontrent pas ce problème un jour ou l'autre, mais en parler n'est pas toujours évident.
En ce qui me concerne, les causes peuvent être de plusieurs natures. La première, c'est lorsque l'écriture passe au second plan derrière des boulots plus alimentaires, comme la traduction, et que je me laisse déborder. Ça a par exemple été le cas cet hiver, où mon rythme de production de trad a été positivement infernal, ne me laissant plus d'énergie ni de répondant pour tomber du texte. Il y a eu des moments de ma vie où j'ai pu plus facilement trouver ce genre d'équilibre, mais là, y a eu un emballement : des boulots plus longs que prévus, d'autres arrivant au dépourvu mais que je ne pouvais pas décemment refuser (notamment sur des auteurs que j'aime et sur lesquels j'ose croire être pertinent), et à l'arrivée il y a eu un effet d'accordéon pendant plusieurs mois.
J'en suis sorti il y a un mois et demi, et l'équilibre a été retrouvé.
Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive, et à d'autres moments de ce genre, j'arrivais toujours à ménager quelques heures par semaine pour avancer, par exemple lors de déplacements. Je l'ai déjà dit, j'aime bien écrire dans le train, ça raccourcit étonnamment le voyage. Eschatôn ou les Canaux du Mitan doivent beaucoup à mes transports (c'est plus facile quand je suis sur mes propres univers, d'ailleurs, quand je n'ai pas besoin de trois tonnes de doc à portée de la main, je pense à des choses comme les Coracles).
Là, ça s'est combiné à l'autre souci possible, quand je tombe sur une impasse dans mon propre récit, que je dois déblayer avant de pouvoir avancer. Sur certains bouquins, je passe outre, je travaille dans le désordre et j'écris des scènes se situant nettement après le point problématique, elle me permettent de faire émerger des solutions. Ce fut le cas sur Eschatôn, sur l'île de Peter, et dans une moindre mesure sur le Dossier Arkham, dont le caractère composite permettait une grande liberté dans ce domaine. Ça m'arrive fréquemment sur du scénar de BD, mais le travail à l'aide d'un séquencier permet aussi une certaine liberté.
Là, quand le surmenage et les problèmes de construction s'additionnent, ça devient très compliqué. Et c'est aggravé par le fait que, sur Les exilés comme sur L'Ancelot, la manière dont j'ai pensé le récit me conduit à écrire dans l'ordre autant que possible. L'Ancelot était sur-structuré par un système initiatique et mythique, j'aurais pu travailler séparément sur les trois parties, mais je tenais à développer l'évolution intérieure du protagoniste de la façon la plus organique possible. Il fallait donc la suivre au plus près. La difficulté à trouver le ton juste pour la deuxième partie (la rencontre avec Guenièvre) et le fait que le premier confinement me soit tombé dessus (comme sur nous tous) à ce moment-là ont fait le reste. Huit mois de panne sèche. Je les ai employés à La cour des abysses, travailler sur cette idée de façon ludique en étant stimulé par ma co-autrice, Camille Salomon, m'a remis le pied à l'étrier. Jusqu'à ce que je me retrouve en panne sur ce projet-là aussi (et je rends hommage à la patience de Camille, qui a accepté que j'attende le bon moment pour m'y remettre).
Sur Les exilés, le problème est d'une autre nature. Alors que j'ai tendance à planifier pas mal mes bouquins à l'avance (pas en mode full "architecte", je me laisse toujours du mou), l'expérience plus freestyle de La cour m'a poussé à sauter le pas et à partir sur une approche plus "jardinier" en avançant sans avoir d'idée préconçue sur le bouquin (hormis quelques balises fortes du récit donnant sa direction globale à chaque partie). Histoire de compliquer les choses, sortant de L'Ancelot et de son personnage assez solitaire, j'ai voulu mettre en scène un groupe assez important (il y a peut-être à la clé une part de jalousie professionnelle envers Thibaud Latil-Nicolas, qui excelle dans l'exercice). Et là ça implique de multiplier les notes pour se rappeler qui est qui, de hiérarchiser un peu entre les personnages principaux, secondaires importants, plus secondaires, tertiaires et d'arrière-plan. En écrivant dans le désordre, dans ces conditions-là, c'est la cata assurée.
Bref, la panne d'écriture, ça nous arrive à tous. Mais comme je suis un idiot, je multiplie les handicaps. C'est l'histoire du type qui court avec une enclume sur le dos...
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