Accéder au contenu principal

Et c'est parti !

 Et voilà, Les exilés de la plaine se trouve désormais entre les mains d'un pouvoir supérieur au mien : mon éditeur. Après un gros passage à vide de plusieurs mois, j'ai pris le taureau par les cornes et dépoté le troisième tiers d'un bloc, en mode rafale. Ça impliquait des changements de méthode de travail, d'ailleurs. C'est ça que je tenais à vous causer ce matin...

Je causais dernièrement de mes pannes d'écriture, mais ça valait le coup de revenir là-dessus plus en détail, pour évoquer plus précisément les évolutions dans ma façon de bosser.

Pendant des années, j'ai travaillé dans un savant désordre, à partir d'un plan du roman pas forcément ultra détaillé, mais dans lequel figuraient toutes les grandes étapes du récit, la façon dont devaient évoluer certains personnages et certaines situations, des éléments d'univers à placer, etc. Ce n'était pas forcément différent, sur le fond, de ma méthode de travail pour le scénario BD, qui implique un séquencier assez précis, page par page, ou bloc de pages par bloc de page. Un des avantages de la méthode, à mon sens, c'est qu'elle me permet de travailler des scènes en aval, à mesure que l'inspiration me vient, ou que je dois traiter des effets de mise en place et de résolution des intrigues secondaires. Ça permet d'avoir une vision globale du truc. Souvent, d'ailleurs, j'écris la dernière scène assez tôt dans le processus.

Par ailleurs, cela permet de contourner des blocages : en déblayant des événements se situant après le point difficile, cela permet de traiter ensuite la chose en posant des passerelles. Ça m'a tiré d'affaire à plusieurs reprises, notamment sur Eschatôn et L'île de Peter.

Le problème, c'est qu'on a vite fait d'insérer des incohérences si l'on n'y prend pas garde, de perturber certaines des évolutions. Ça demande toujours un travail de relecture assez pointu.

Notons que ces plans détaillés ne sont jamais gravés dans le marbre. Si des choses émergent lors de la rédaction, si de nouvelles idées arrivent, je me réserve le droit de changer en profondeur ce que j'avais prévu. Ça a été le cas sur Eschatôn, j'avais préparé au départ un destin très différent pour le personnage de Wangen, dans une moindre mesure sur Peter, une idée qui me plaisait bien s'étant avérée malvenue en cours de route (je m'étais avisé qu'elle avait été employée par un autre auteur, plus considérable que moi, quelques années auparavant), ou dans Trois Coracles, toute la partie se déroulant en Irlande étant devenue absurde, dans sa première version, du fait de l'évolution des personnages.

Ces dernières années, j'ai évolué dans ma méthode à ce niveau. Ça a commencé, je pense, avec L'ancelot. J'avais une structure assez verrouillée, en trois parties correspondant à trois épreuves subies par le héros sur son chemin initiatique (contrainte supplémentaire, je tenais à lui faire suivre ce chemin sans recourir au schéma de Campbell, le voyage du héros vu et revu jusqu'à plus soif).


 

Pour autant, comme il s'agissait aussi d'un récit d'errance chevaleresque, j'ai essayé de l'écrire dans l'ordre autant que possible. Il m'arrivait de noter dans le détail mes effets de mise en place/résolution, et les dernières phrases ont été écrites dans les premiers jours de travail, mais pour le reste, je tenais à avoir fini chaque scène avant de me lancer dans la suivante. Arrivé au milieu du bouquin, je suis tombé sur un écueil, et je suis rentré dans ma pire phase de panne d'écriture, d'autant que le Premier Confinement m'est tombé dessus sur ces entrefaites.

 



C'est à ce moment là qu'avec Camille Salomon, on s'est lancés dans la Cour des Abysses. Dans la première phase, comme on avançait un peu à l'aveuglette, par jeu, avec un ping-pong de scènes et d'idées qu'on s'envoyait par mail, le bouquin s'est écrit dans l'ordre d'un bout à l'autre. C'est en cours de route que le truc s'est structuré et qu'on a pu amender des choses a posteriori pour que ça devienne publiable.

Dans le cas des Exilés, je m'étais lancé sans plan précis. Je savais uniquement que j'allais multiplier les personnages et les points de vue, et qu'un groupe se lancerait dans telle chose, et qu'il y aurait tel très gros événement à la fin. Je voulais y aller en relatif freestyle avant de me lancer dans le troisième tome de ma trilogie arthurienne, qu'on me réclame à droite et à gauche, et qui demandera une approche beaucoup plus cadrée.

C'est une forme de liberté, qui m'a beaucoup plu. Je voulais avoir un côté grande aventure, à la fois dans un esprit Dernier des Mohicans ou L'homme qui voulut être roi, tout en développant des aspects du monde du Mitan que j'avais laissés dans l'ombre dans Les canaux. À l'arrivée, je vous émerger des aspects tolkienniens, ce qui est toujours amusant dans un bouquin qui cherche à sa façon à renouveler certains codes de la fantasy.

Pendant l'écriture frénétique du dernier tiers, je prenais à côté toutes sortes de notes. Plus j'avançais, plus je notais que j'aurais à préciser des éléments, plus tôt dans le récit, à camper un peu mieux certains personnages et certaines situations, à retendre mes mises en place/résolutions secondaires. J'avais lancé tellement de pistes en cours de route que les traiter toutes a pris un peu de temps et de sueur : des incohérences inévitables étaient apparu, soit dans le récit lui-même, soit par rapport à des choses construites dans Les canaux. Repérer tout ça et le corriger a quelque chose d'angoissant. On a toujours peur d'oublier un truc. Précédemment, tout doute était traité au moment où il survenait, je repartais en arrière et je remaniais, et ça représentait des dizaines d'allers et retours par bouquin.

Bref, maintenant c'est à l'éditeur de se débrouiller du truc. J'ai quelques semaines de répit, que je consacrerai à avancer sur d'autres choses, avant de recevoir toutes ses annotations circonstanciées, qui donneront lieu à une autre phase de relectures, de sueurs froides et de grincements de dents.

Lorsqu'il partira chez l'imprimeur, je ne pourrai plus voir ce bouquin en peinture, c'est toujours comme ça.

En attendant, j'espère que vous aimerez suivre les péripéties que j'aurai infligé à Richard Long-Bras, à Chante-à-la-Forêt, à Raoul le lanceur de couteaux du Bateau-Carnaval, au jeune Ocho-Nak, à ces ordures de Troche et Picard et à tous les autres.

En tout cas, ça me fait du bien de me remettre à l'écriture de façon suivie. Quoiqu'un peu éreinté physiquement, je suis plus vif, plus alerte, j'ai le poil plus soyeux et la truffe humide (sur ce dernier point, c'est peut-être seulement l'effet du printemps et des pollens, maintenant que j'y réfléchis).

Bref, prenez soin de vous, faites pas trop attention à mes vaticinations, et si tout va bien, Les exilés sort fin août.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Défense d'afficher

 J'ai jamais été tellement lecteur des Defenders de Marvel. Je ne sais pas trop pourquoi, d'ailleurs. J'aime bien une partie des personnages, au premier chef Hulk, dont je cause souvent ici, ou Doctor Strange, mais... mais ça s'est pas trouvé comme ça. On peut pas tout lire non plus. Et puis le concept, plus jeune, m'avait semblé assez fumeux. De fait, j'ai toujours plus apprécié les Fantastic Four ou les X-Men, la réunion des personnages ayant quelque chose de moins artificiel que des groupes fourre-tout comme les Avengers, la JLA ou surtout les Defenders.   Pourtant, divers potes lecteurs de comics m'avaient dit aimer le côté foutraque du titre, à sa grande époque.   Pourtant, ces derniers temps, je me suis aperçu que j'avais quelques trucs dans mes étagères, et puis j'ai pris un album plus récent, et je m'aperçois que tout ça se lit ou se relit sans déplaisir, que c'est quand même assez sympa et bourré d'idées.   Last Defenders , de J

Nettoyage de printemps

 Il y a plein de moyens de buter sur un obstacle lorsqu'on écrit. Parfois, on ne sait pas comment continuer, on a l'impression de s'être foutu dans une impasse. C'est à cause de problèmes du genre qu'il m'arrive d'écrire dans le désordre : si je cale à un endroit, je reprends le récit plus tard, sur un événement dont je sais qu'il doit arriver, ce qui me permet de solidifier la suite, puis de revenir en arrière et de corriger les passages problématiques jusqu'à créer le pont manquant.  D'autres tiennent à des mauvais choix antérieurs. Là, il faut aussi repartir en arrière, virer ce qui cloche, replâtrer puis repartir de l'avant. Souvent, ça ne tient qu'à quelques paragraphes. Il s'agit de supprimer l'élément litigieux et de trouver par quoi le remplacer qui ne représente pas une contrainte pour le reste du récit. Pas praticable tout le temps, ceci dit : j'en parlais dernièrement, mais dès lors qu'on est dans le cadre d'

Perceval sort du bois

 C'est fin mai que sortira Le garçon avait grandi en un gast pays , mon prochain roman aux Moutons électriques . Les plus attentifs d'entre vous, en voyant ce titre alittérant et à rallonge, se doutent qu'il fait suite à Trois coracles cinglaient vers le couchant et à L'ancelot avançait en armes . Le premier tome était sorti il y a cinq ans, quand même, ça ne nous rajeunit pas. Cette sortie ira de pair avec une réimpression des deux autres. L'ancelot bénéficiera d'une nouvelle couverture, toujours par l'excellent Melchior Ascaride, qui s'y entend à emballer mes bouquins comme ceux des collègues. Comme vous vous en doutez aussi, je termine avec Perceval, personnage fascinant (je lui avais déjà consacré un petit récit dans un pocket de chez Semic, y a plus de vingt ans) mais sans doute le plus difficile à manier de tout le bestiaire arthurien. Le résumé : Élevé à l’abri des tourments et d’un monde violent, le jeune Perceval tient pourtant à le découvr

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Pourri Road

Un peu hypé par le prequel à venir de Mad Max : Fury Road, consacré à la jeunesse de Furiosa. Après avoir fait de son héros un spectateur des choses, presque un spectre de choeur grec, Miller poursuit la déconstruction de Max au point de le faire carrément disparaître de sa propre saga. C'est gonflé, mais pas complètement surprenant de sa part, quand on y réfléchit. Mad Max, à l'époque des débuts de la série, c'était un avenir crédible. Une société en décomposition qui finit par imploser, et un retour à la barbarie, celui que nous prédisait Robert E. Howard il y a un poil moins d'un siècle. Max, c'est un peu un Conan post-moderne, ou un Solomon Kane qui aurait fini par baisser les bras et sombrer dans la désillusion. Les années 70 étaient passé par là, et la trilogie initiale consacrée à Max le fou est devenue un élément culturel fort des années 80, à l'influence importante. Les tensions qu'on devinait étaient appelées à se résoudre. Le Dôme du Tonnerre, pui

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H

Serial writer

Parmi les râleries qui agitent parfois le petit (micro) milieu de l'imaginaire littéraire français, y a un truc dont je me suis pas mêlé, parce qu'une fois encore, je trouve le débat mal posé. Je suis capable d'être très casse-burette sur la manière de poser les débats. Mal poser un débat, c'est ravaler l'homme bien plus bas que la bête, au niveau d'un intervenant Céniouze. On n'en était certes pas là, et de loin, mais les esprits s'enflamment si vite, de nos jours.   Du coup, c'est ici que je vais développer mon point de vue. Déjà parce que c'est plus cosy, y a plus la place, déjà, que sur des posts de réseaux sociaux, je peux prendre le temps de peser le moindre bout de virgule, et puis peut-être aussi (c'est même la raison principale, en vrai) je suis d'une parfaite lâcheté et le potentiel de bagarre est moindre. Bref. Le sujet de fâcherie qui ressurgit avec régularité c'est (je synthétise, paraphrase et amalgame à donf) : "Po

Archie

 Retour à des rêves architecturaux, ces derniers temps. Universités monstrueuses au modernisme écrasant (une réminiscence, peut-être, de ma visite de celle de Bielefeld, il y a très longtemps et qui a l'air d'avoir pas mal changé depuis, si j'en crois les photos que j'ai été consulter pour vérifier si ça correspondait, peut-être était-ce le temps gris de ce jour-là mais cela m'avait semblé bien plus étouffants que ça ne l'est), centres commerciaux tentaculaires, aux escalators démesurés, arrière-lieux labyrinthiques, que ce soient caves, couloirs de service, galeries parcourues de tuyauteries et de câblages qu'on diraient conçues par un Ron Cobb sous amphétamines. J'erre là-dedans, en cherchant Dieu seul sait quoi. Ça m'a l'air important sur le moment, mais cet objectif de quête se dissipe avant même mon réveil. J'y croise des gens que je connais en vrai, d'autres que je ne connais qu'en rêve et qui me semblent des synthèses chimériqu

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr