Accéder au contenu principal

Agent très spécial

 Je m'étais revu ces dernières semaines Skyfall et Spectre avant de me faire No Time To Die. Et je me disais que, décidément, j'aimais bien les 007 version Daniel Craig.


 No Time To Die a des défauts. Mais en fin de compte, ce sont ceux de toute la saga Craig. Il en est donc une conclusion cohérente. Et couillue, à sa façon, vu la manière dont ça boucle la boucle. Il est sans doute un peu trop long pour ce qu'il est, filmé avec efficacité mais sans génie (certains plans manquent de la patte de Mendes, à l'évidence), mais il finit de regrouper les fils mis en place précédemment, avec la dose de spectacle qui va bien, et le traitement intéressant et marrant d'un Bond qui revient après avoir été remplacé par un nouveau 007. J'aime bien aussi le jeu de référence au passé avec la chanson We Have All The Time in the World, qui renvoie à un moment clé du mythe Bond, ainsi que le personnage joué par Ana de Armas. Bref, c'est peut-être pas le meilleur des Bond, mais ça fait le job.

Du coup, j'ai voulu confirmer cet effet de cycle, et je me suis revu coup sur coup Casino Royale, que j'avais beaucoup aimé, et Quantum of Solace, le gros mal aimé de la période Craig.

Ça a confirmé ma bonne opinion du premier, et ce que je pensais du deuxième. Quantum a été une déception à l'époque, mais j'ai pu affiner mon opinion dessus. Son problème n'est pas tant lié au scénario, pas foufou, mais manquant surtout, en fait, d'un méchant vraiment impressionnant (ce n'est pas la faute d'Amalric qui l'incarne, mais de la façon dont il est écrit, je pense), mais à la manière dont c'est filmé, lorgnant vraiment trop sur les Bourne de Paul Greengrass. Rien n'est vraiment iconisé, alors que les Bond tiennent énormément là-dessus, sur la mise en scène spectaculaire d'archétypes, ce que les deux suivants ont parfaitement compris (les plans introduisant Blofeld dans Spectre sont exemplaires à ce niveau).

Outre ce problème de définition, le gros défaut scénaristique du film est de se placer directement dans la foulée de Casino Royale. La séquence prégénérique fait directement suite au film précédent, et si on ne l'a pas en tête, on sera perdu face à pas mal de détails cruciaux. De même, cela induit un flottement de temporalité. Traditionnellement, les Bond enchaînent l'action en évitant de préciser sur combien de jours elle s'étale (et étireront au besoin pendant dix minutes les quinze dernières secondes du compte à rebours final). Là, tout le début du film est dans les quelques jours qui suivent le précédent, mais tout ce qui concerne Mathis et Leiter devient incohérent s'il ne se déroule pas plusieurs mois entre leur dernière rencontre avec Bond et les retrouvailles. Il y a donc un intervalle de temps vers le premier tiers ou la moitié du film qui n'est pas explicité, et du coup n'est pas clair. D'où un flottement étrange.

Mais c'est pourtant sur le plan du scénar que Quantum brille, et précisément dans sa façon de construire le rapport entre Bond et M, et de mettre en place des pistes (notamment sur Mr. White) qui seront exploitées par la suite. Là où, dans les périodes précédentes, chaque film était globalement indépendant des précédents (hormis, de loin en loin, des références au mariage tragique d'Au Service Secret de sa Majesté) la saga Craig est un récit avec un arc narratif global (même si on devine qu'il a été tissé pour partie à posteriori). Du coup, Quantum a son importance. Bond y est encore un "blunt tool", un outil contondant utilisé par M, un genre de pitbull ou de bulldozer qu'elle lâche sur l'adversaire, sans tout à fait le contrôler, laissant ses agents plus posés assurer la logistique et la gestion des dégâts. Un moment clé du film c'est, juste après la mort de Fields, lorsque M laisse croire à son agent qu'il aura ses collègues aux trousses. Elle se couvre ainsi, mais c'est en fait surtout un moyen de lui lâcher la bride, de jouer sur ses qualités brutales. Elle sait qu'il est plus malin qu'il n'en a l'air et, face à lui, elle joue un rôle. Bien qu'exaspérée par le manque de retenue de 007, elle sait aussi que c'est là son efficacité : secouer brutalement le panier de crabes pour voir ce qui en sort.

Le Bond plus usée et désabusé des films suivant verra ce rapport évoluer, jusqu'à changer avec le successeur de M, Mallory (les causes de frictions seront différentes, face à un ancien officier d'active qui doit apprendre à gérer un rapport à la chaîne de commandement très particulier).

Bref, c'était l'occasion de réévaluer peu ou prou un deuxième opus qui, s'il a de gros défauts, tient pas trop mal sa place dans un ensemble désormais achevé et plutôt intéressant, boxant souvent dans la même cour que Permis de Tuer, et ringardisant très fort la période Brosnan, tout comme Dalton avait instantanément ringardisé Moore.

La question, désormais, c'est de savoir ce qu'il adviendra de la licence...

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Romulus et Rémus sont dans un vaisseau

 Comme il y a des domaines sur lesquels je suis toujours un poil à la bourre, j'ai enfin vu Alien : Romulus . J'avais eu l'intention d'y aller en salle, mais pour des problèmes d'emploi du temps, ça ne s'était pas fait. Et de toute façon, vous le savez si vous me lisez depuis longtemps, j'avais signé l'avis de décès de la licence Alien il y a déjà quelques années. Bon, hier soir, après avoir passé quelques heures en recherches perso sur des sujets obscurs (le proto-canon paulinien de Marcion, ça vous parle ? Probablement pas), je me suis calé devant la télé, et en fouillant dans les menus des plateformes, je suis tombé sur Romulus et je me suis dit : allez. Y a quinze jours, en faisant la même démarche, j'étais tombé sur le documentaire de Werner Herzog sur Bokassa. Pas exactement le même délire. Je ne m'attendais pas à grand-chose. J'avais vu passer des critiques pas très sympa. Ceci dit, les bandes annonces m'avaient fait envie : décor...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...