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Ne pas perdre le nord




J'ai toujours adoré les cartes. Depuis petit. Depuis ces bandes dessinées sur les pirates, je crois, où elles permettaient de trouver le trésor. Et puis, il y avait, dans la cuisine d'une de mes tantes, une énorme carte de Mercator qui me fascinait, et qui a longtemps conditionné ma vision du monde.
Un truc de ce genre :

Bon, à l'époque, il y avait dessus l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, la Yougoslavie, la RDA et autres nations disparues, emportées par le vent de l'histoire. Mais ce qui m'a marqué (et dont je n'ai compris que plus tard les conséquences en termes de représentation) c'est la projection elle-même, qui rend le Groenland énorme et l'Amérique du Sud toute petite.

Cet effet de loupe dans l'Océan Arctique conduisait à mettre en avant des îles à la forme curieuse, l'archipel du Spitzberg, ou Svalbard, comme on dit désormais. Ça aussi, ça avait un côté fascinant, genre île sur le toit du monde (oui, un film de ce nom m'avait particulièrement marqué, vers cette même époque).


Je n'ai pu me documenter sérieusement au sujet de cet archipel que bien plus tard. Sans but précis, d'ailleurs, juste pour savoir. Pour imaginer à quoi ça peut ressembler. Pour corréler ma vision d'enfant de ce point mystérieux de la carte avec quelque chose de concret, de réel.

Bien évidemment, c'est beaucoup plus petit que ne le laisse croire la carte. 2000 habitants, un statut international très particulier, et le caveau conservatoire où l'on préserve des graines de toutes les plantes de culture, pour le cas de catastrophe globale. Et une université, quand même, où l'on vient apprendre la géologie de l'extrême.

Plus au nord, la Terre François-Joseph, couverte de glacier, dix-sept habitants, et plus à l'est, la Nouvelle Zemble, quasi déserte depuis que les Soviétiques l'ont ravagée à coups d'essais nucléaires, et plus à l'est encore, les Terres du Nord, où il n'y a… juste rien.

Des lieux extrêmes de l'occupation humaine, donc, plus étranges même à leur façon que l'Antarctique, entourés d'une banquise mourante, proches des côtes pour certains, mais éloignés de tout quand même. Même les Nénets n'y vont pas ou presque pas. La carte de Mercator souligne leur étrangeté foncière.

Il est intéressant, du coup, de changer de mode de projection. Avec une image centrée sur le Pôle Nord, le résultat est très différent. Tout cela se rapproche d'un coup du Groenland, et l'impression d'immensité isolée n'y est plus, ou moins.


Et d'un coup, on comprend aussi ce que pourra représenter la disparition de la banquise. Déjà, les Chinois voient un moyen d'expédier les marchandises beaucoup plus vite, en passant par Béring plutôt que par l'Océan Indien pour rallier l'Europe ou la Côte Est des Etats-Unis. Avec le réchauffement, toutes ces îles pourraient devenir des stations minières. Les Russes extraient du charbon à Svalbard, à perte pour l'instant, mais dans l'idée d'être les premiers sur place quand les conditions d'exploitation changeront.

Ces cartes imparfaites, distordues, obsolètes peut-être déjà, sont aussi celles de notre futur.



Commentaires

Anonyme a dit…
De mémoire, il n'y a pas la RDA sur cette carte de ton enfance. Je vérifierai à l'occasion.
Ce qui me fait dire que cette carte doit dater de 1945-1949.
Sidro
Alex Nikolavitch a dit…
ah, c'est possible. mon souvenir a peut-être plaqué des trucs sur la chose…

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