Accéder au contenu principal

La tête sur un Platon d'argent

Ça fait une paye que j'avais envie de vous expliquer dans les grandes lignes tout le mal que je pense de Platon et pourquoi. Alors, vous allez me dire "mais qu'est-ce que tu nous fais, Niko ? Platon est enseigné dans les écoles, c'est un des fondements de la pensée occidentale, quand même !"

 Platon — Wikipédia


Ben justement, et c'est bien le problème. On continue d'enseigner Platon comme l'un des fondements de la philo, et c'est un peu comme enseigner la guerre des Gaules en ne se fondant que sur les écrits de Jules César (ce qui est intéressant, sur César, c'est surtout de voir ce qu'en disent les contemporains, et c'est pas triste).

Donc, quelques notations en vrac. Ceci n'a pas vocation a être un traité de philo (je n'aurais pas la prétention de jouer les philosophes) (ou alors, quand je vois ce qui s'intitule "philosophe" de nos jours, peut-être que je me respecte trop pour ça, c'est possible aussi) mais quelques remarques, clés de lecture, agacements et râleries. Vous avez bien sûr le droit de ne pas être d'accord avec.


Le grand crime intellectuel de Platon, à mon sens, c'est, constatant que les Idées (et surtout les idées absolues) ne coïncidaient jamais pleinement avec les choses, d'avoir professé la supériorité des premières. Que ce soit en économie ou en politique (et même en stratégie militaire ou en sciences, quand on y pense), c'est un principe qui est à la clé de bien des catastrophes, c'est la négation du pragmatisme et le règne de la tour d'ivoire. Si les faits sont têtus, changez les faits, en somme.

Car les Idées sont le domaine des philosophes. Mais le philosophe, chez Platon, c'est un peu bonhomme à la BHL qui se mêle de gouverner en pratiquant le terrorisme intellectuel et en conseillant les pires crapules (le passage du bonhomme en Sicile, c'était ça, il est allé faire le kakou chez un dictateur, le tyran Denys, qui a fini par le virer d'ailleurs). Ou pire, c'est un technocrate déconnecté du réel et concentré sur les idées, ça c'est ce qu'on trouve dans la République.

La République, c'est comme le Manifeste du Parti Communiste, c'est un mode d'emploi, un but à atteindre. Et Platon est clair : pour lui, il faut une aristocratie qui tienne le peuple dans l'ignorance pour en assurer l'unité. c'est complètement effrayant. La société idéale de Platon est par nature inégalitaire, et cultive cette inégalité comme une vertu (et sa définition de la justice, qui sous-tend le système, est à l'avenant). Ce que propose Platon, c'est le contraire de la démocratie (en voyant nos politiciens qui se targuent de tradition républicaine en développant des discours autoritaires, on doit se souvenir que République et Démocratie ne sont accolées dans notre système que par un accident de l'Histoire). Quand notre démocratie s'appuie sur Platon, c'est pour se vider de son sens (et les anti-démocrates de nos sociétés carburent sur un logiciel qui est du Platon de troisième génération, voir les polémiques autour de l'école et de la perte des valeurs, par exemple).

La défense de Socrate est éclairante, par exemple : il le voit et le présente comme une victime de la démocratie. Rappelons que le procès de Socrate a lieu quand la démocratie est rétablie à Athènes, après une période de dictature sanglante. Dont une partie des animateurs étaient des disciples de Socrate. Alors oui, l'impiété n'était sans doute qu'un prétexte pour régler des comptes, mais il semblerait bien qu'on ait voulu faire un exemple d'un homme vu comme l'inspirateur idéologique de purges bien plus brutales que son exécution.

Il y a aussi le mythe de l'Atlantide, que Platon crée, popularise ou semble reprendre à son compte, on ne sait pas trop. Rapidement, il met de côté l'aspect destruction pour se concentrer sur autre chose. L'Atlantide de Platon est une utopie, éclairée par ses autres textes.

Par ailleurs, poser l'immortalité de l'âme comme régulateur ultime du truc, comme garde fou, c'est fort de café aussi. Ça se conçoit dans la pensée de l'époque, bien entendu, mais dès lors qu'on déconnecte cette notion, tout le système devient très, très inquiétant.

Le mépris des arts de création, vus comme nuisibles, et de l'artisanat, vu comme vil, me gêne terriblement. Parce que du coup, on voit bien que l'Enarque, sous une forme ou une autre, est la production logique du système.

Sur la création poétique et artistique, qu'il considère comme un travestissement du réel bon seulement à embrouiller notre compréhension, force est de reconnaitre qu'il n'en a pas saisi la dimension métaphorique puissante qui permet justement les pas de côté éclairant le réel. Ou qu'il feint de ne pas la comprendre. Des bouffées de son approche remontent avec régularité, et l'on voit des condamnations assénées d'un air compassé à l'encontre des littératures de l'imaginaire, notamment (je parle de ce que je connais le mieux) et on voit encore les dégâts sur la littérature "générale", la pulsion de réel qui la traverse, et on peut d'ailleurs parier que la prochaine rentrée littéraire nous gavera de "journaux de confinement" et autres macérations autocentrées. Curieusement, à l'époque, quelqu'un a eu un regard beaucoup plus intéressant sur le sujet. Si la Poétique d'Aristote n'est pas au-dessus de tout reproche (il suffit de lire ses pages les plus misogynes), elle met quand même le doigt sur pas mal de choses qui restent valides aujourd'hui. Inutile de dire que j'ai choisi mon camp…

Bref, ces petites notations en vrac, compilant des trucs que j'ai repéré au fil du temps (désolé pour l'aspect décousu du truc) me semblent vaguement salutaire. Les commentaires sont là pour qu'on en discute, au pire, si jamais mes agacements à l'emporte pièce s'avéraient à côté de la plaque.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...