L'autre soir, avant d'aller à Bookeen, j'ai traversé la Seine pour aller faire un tour vers St Mich'. Arrivant sur la célèbre place à la fontaine, je fus pris d'une pulsion irrépressible et assez irrationnelle : je suis passé sous l'arcade, côté VIe arrondissement, celle qui mène après une volée de marches et une venelle à la petite rue Gît-le-Cœur. Pourquoi, me demanderez-vous ? Une envie de petit pèlerinage personnel. J'ai voulu voir ce qu'il était advenu d'un lieu que j'aimais beaucoup, même si je n'y allais pas très souvent* : la librairie Regard Moderne, qui avait fermé il y a quelques temps de cela suite au décès de Jacques Noël, son très discret et très estimable tenancier.
Si le lieux était restés clos depuis lors, et identique à lui-même, je serais allé me recueillir devant la porte en souvenir du bon vieux temps. S'il avait été remplacé par une boutique affreuse de téléphonie, d'e-cigarette, une onglerie ou quoi que ce soit de ce genre, cela m'aurait donné une nouvelle occasion de râler comme je sais si bien le faire.
Mais à ma grande surprise, ce ne fut ni l'un, ni l'autre. Là où se trouvait jadis le plus magnifique des capharnaüms bouquinistiques, je découvris une librairie ouverte. Que ce lieu soit resté consacré au livres, cela me fit un plaisir phénoménal. Plein de joie, je passai la porte.
Là, seconde surprise. L'endroit m'a paru vide. Oh, il ne l'était point. Comme chez tout libraire qui se respecte, les rayonnages étaient chargés jusqu'au plafond d'ouvrages divers, et les tables étaient bien garnies. Mais pour qui a connu la librairie il y a quelques années, c'est très surprenant : au fil du temps, elle s'était remplie dans sa totalité de bouquin divers, ne laissant pour circuler que d'étroites allées entre les piles, évoquant la Documentation dans Gaston, un entassement spectaculaire, magnifique et effrayant de papier.
L'affaire a été reprise par Jean-Pierre Faur, un historique de la maison (il l'avait montée pour Jacques Noël il y a longtemps). Il m'a confié avoir sorti 700 cartons de bouquins pour pouvoir reprendre les choses en main. Mais si le stock a fondu, l'esprit reste le même. Le beau et le bizarre s'y mêlent intimement.
Fouinant dans cette boutique retrouvée, j'y saisis l'occasion de lever une très ancienne frustration : j'y avais il y a très longtemps convoité un bel artbook de Nicollet et Keleck**, que mes moyens ne m'avaient pas permis d'acquérir à l'époque. Par la suite, il était trop tard : les deux exemplaires avaient été vendus. Ce qui était magnifique, avec ce libraire, c'est que malgré la masse colossale que représentait son stock, il était toujours en mesure de dire s'il détenait encore un bouquin ou pas. Ses deux exemplaires de l'artbook en question étaient partis depuis longtemps. Mais là, le jeu de la circulation des livres a fait qu'il en était rentré un. J'avais déjà choisi deux livres dans les étagères, quand, pensant les régler pour aller à ma soirée, je musardai encore un instant. Et tombais sur Ersatz, ce bouquin que je regrettais encore de n'avoir pas pu prendre en… était-ce 92 ou 94 ? Je serais bien en peine de vous le dire, tenez. Bref, mon choix fut vite fait. Je reposai une de mes prises précédentes, et m'emparai du précieux ouvrage. Je ne sais pas pourquoi, j'y ai vu un bon présage. Le nouveau Regard Moderne est là pour rester. Je vous encourage tous à aller y faire un tour. Ce lieu est un défi à notre triste époque.
*Je n'y allais plus beaucoup pour deux raisons très distinctes. La première, c'était que ce lieu engendrait moult tentations qui s'achevaient par des frénésies d'achats fort dispendieux. Une des grandes hontes de ma vie reste à ce jour un chèque refusé par ma banque il y a un quart de siècle de ça, chèque qui couvrait l'achat d'une bonne pile de bouquins chez Regard Moderne, à un moment où je n'étais en fait guère en fond. Que, la même semaine, la banque m'ait refusé un chèque à destination des impôts, je m'en foutais allègrement. Mais me retrouver dans cette situation délicate face à un libraire, à un petit libraire passionné de surcroît, ça m'a rendu malade. J'ai couru ventre à terre m'excuser et promettre de régler la note en espèces sous dix jours (les impôts, si je me souviens bien, ont attendu quelques semaines de plus).
L'autre raison, c'est que mon format physique me handicapait terriblement dans ce lieu. Je suis très grand, pas forcément très adroit, et avec l'âge, je me suis épaissi. Sur la fin, accéder au fond de la librairie -et donc au libraire- supposait de se glisser dans les étroits espaces laissés entre d'immenses piles de bouquins entassées en rangs serrés. Pour une personne de mon gabarit, ça devenait tout simplement une expérience terrifiante et claustrophobique.
**Mon autre frustration dans ce domaine et dans cette librairie, c'était l'énorme livre consacré au mouvement slovène NSK, qu'il avait rentré vers la même époque, à un ou deux ans près. Si le petit artbook de Nicollet et Keleck était était hors de mes moyens, ce paveton qui valait trois ou quatre fois plus cher l'était plus encore. Je ne l'ai eu qu'une seule fois entre les mains, mais c'était quelque chose…
Si le lieux était restés clos depuis lors, et identique à lui-même, je serais allé me recueillir devant la porte en souvenir du bon vieux temps. S'il avait été remplacé par une boutique affreuse de téléphonie, d'e-cigarette, une onglerie ou quoi que ce soit de ce genre, cela m'aurait donné une nouvelle occasion de râler comme je sais si bien le faire.
Mais à ma grande surprise, ce ne fut ni l'un, ni l'autre. Là où se trouvait jadis le plus magnifique des capharnaüms bouquinistiques, je découvris une librairie ouverte. Que ce lieu soit resté consacré au livres, cela me fit un plaisir phénoménal. Plein de joie, je passai la porte.
Là, seconde surprise. L'endroit m'a paru vide. Oh, il ne l'était point. Comme chez tout libraire qui se respecte, les rayonnages étaient chargés jusqu'au plafond d'ouvrages divers, et les tables étaient bien garnies. Mais pour qui a connu la librairie il y a quelques années, c'est très surprenant : au fil du temps, elle s'était remplie dans sa totalité de bouquin divers, ne laissant pour circuler que d'étroites allées entre les piles, évoquant la Documentation dans Gaston, un entassement spectaculaire, magnifique et effrayant de papier.
L'affaire a été reprise par Jean-Pierre Faur, un historique de la maison (il l'avait montée pour Jacques Noël il y a longtemps). Il m'a confié avoir sorti 700 cartons de bouquins pour pouvoir reprendre les choses en main. Mais si le stock a fondu, l'esprit reste le même. Le beau et le bizarre s'y mêlent intimement.
Fouinant dans cette boutique retrouvée, j'y saisis l'occasion de lever une très ancienne frustration : j'y avais il y a très longtemps convoité un bel artbook de Nicollet et Keleck**, que mes moyens ne m'avaient pas permis d'acquérir à l'époque. Par la suite, il était trop tard : les deux exemplaires avaient été vendus. Ce qui était magnifique, avec ce libraire, c'est que malgré la masse colossale que représentait son stock, il était toujours en mesure de dire s'il détenait encore un bouquin ou pas. Ses deux exemplaires de l'artbook en question étaient partis depuis longtemps. Mais là, le jeu de la circulation des livres a fait qu'il en était rentré un. J'avais déjà choisi deux livres dans les étagères, quand, pensant les régler pour aller à ma soirée, je musardai encore un instant. Et tombais sur Ersatz, ce bouquin que je regrettais encore de n'avoir pas pu prendre en… était-ce 92 ou 94 ? Je serais bien en peine de vous le dire, tenez. Bref, mon choix fut vite fait. Je reposai une de mes prises précédentes, et m'emparai du précieux ouvrage. Je ne sais pas pourquoi, j'y ai vu un bon présage. Le nouveau Regard Moderne est là pour rester. Je vous encourage tous à aller y faire un tour. Ce lieu est un défi à notre triste époque.
*Je n'y allais plus beaucoup pour deux raisons très distinctes. La première, c'était que ce lieu engendrait moult tentations qui s'achevaient par des frénésies d'achats fort dispendieux. Une des grandes hontes de ma vie reste à ce jour un chèque refusé par ma banque il y a un quart de siècle de ça, chèque qui couvrait l'achat d'une bonne pile de bouquins chez Regard Moderne, à un moment où je n'étais en fait guère en fond. Que, la même semaine, la banque m'ait refusé un chèque à destination des impôts, je m'en foutais allègrement. Mais me retrouver dans cette situation délicate face à un libraire, à un petit libraire passionné de surcroît, ça m'a rendu malade. J'ai couru ventre à terre m'excuser et promettre de régler la note en espèces sous dix jours (les impôts, si je me souviens bien, ont attendu quelques semaines de plus).
L'autre raison, c'est que mon format physique me handicapait terriblement dans ce lieu. Je suis très grand, pas forcément très adroit, et avec l'âge, je me suis épaissi. Sur la fin, accéder au fond de la librairie -et donc au libraire- supposait de se glisser dans les étroits espaces laissés entre d'immenses piles de bouquins entassées en rangs serrés. Pour une personne de mon gabarit, ça devenait tout simplement une expérience terrifiante et claustrophobique.
**Mon autre frustration dans ce domaine et dans cette librairie, c'était l'énorme livre consacré au mouvement slovène NSK, qu'il avait rentré vers la même époque, à un ou deux ans près. Si le petit artbook de Nicollet et Keleck était était hors de mes moyens, ce paveton qui valait trois ou quatre fois plus cher l'était plus encore. Je ne l'ai eu qu'une seule fois entre les mains, mais c'était quelque chose…
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