"Aux États-Unis, où il y a plus de terre que de gens, rien n'est plus facile pour une personne qui a la santé que de faire de l'argent."
(Phineas T. Barnum, 1810-1891)
Nous avons coutume de penser, depuis Guy Debord, Andy Warhol et Benjamin Castaldi, que nous vivons dans la société du spectacle, une société vouée à l'instant, à l'assouvissement immédiat de la curiosité, un monde où l'image prends le pas sur le sens, un monde où le bonimenteur est roi (ou pire, président de la République). Parmi les grands précurseurs, à une époque où la télévision n'existait encore en germe que dans les romans de Jules Verne, et encore, un homme avait tout compris.
Journaliste à l'origine, Barnum devint homme de spectacle et monta une petite troupe comprenant entre autres la nourrice de Georges Washington, censée être âgée de 160 ans (en fait, c'était une actrice qui en avait tout au plus 70). Dès le rachat d'un musée des curiosités, le Scudder's American Museum, vite rebaptisé Barnum's American Museum, il se lança dans de clinquantes campagnes d'affichage abusant de superlatifs. Puis il embaucha un clochard chargé d'aller poser et déplacer des briques sur les trottoirs du quartier, dans un ordre précis et complexe, avant de revenir faire un tour dans le Musée, une fois par heure. Le manège attirant l'attention des passants, ils furent nombreux à suivre l'homme aux briques en essayant de comprendre à quoi tout cela rimait. Au bout de quelques jours, la police dut intervenir pour disperser la foule qui se massait devant le musée, qui avait dés lors acquis une notoriété considérable.
Cet homme aux multiples talents (il fut même brièvement chanteur noir dans son propre spectacle, en remplacement d'un artiste démissionnaire), savait rebondir de mille façons. Par exemple, quand un naturaliste prouva que le spécimen de "Sirène de Fidji" exposé dans les collections du musée était un faux grossier (un torse d'orang-outang attaché à une queue de poisson), Barnum communiqua sur le fait que le public devait s'en faire une idée de visu, attirant encore plus de monde à l'exposition. Notons qu'elle fut aussi exposée aux côtés d'un ornithorynque tout ce qu'il y a de plus réel, mais dont l'authenticité fut, du coup, elle aussi contestée. Si l'original a disparu dans un incendie, sept Sirènes de Fidji sont encore exposées aux États-Unis, qui sont donc des copies d'un faux notoire, mais dont la fausseté fait, justement, tout l'attrait.
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