"Vous allez vous manger entre vous. Ou bien partir lutter contre les Turcs."
(Dracula, 1430 -1476)
Dracula... Le surnom du prince des Valaques est devenu au fil du temps synonyme d'horreur et de canines pointues, principalement sous l'impulsion d'un écrivain irlandais, Bram Stoker, qui le dégrada d'ailleurs au point de le faire passer pour un comte, un bien triste destin pour un voïévode qui fit trembler l'empire qui faisait trembler l'Europe chrétienne.
Tout se serait pourtant bien passé s'il n'avait pas été élevé à la cour du Sultan, comme cela se pratiquait à l'époque. En effet, il fut avec son demi-frère Radu otage des Turcs, afin de garantir la coopération de la famille, son père Vlad Dracul étant devenu par la force des choses le fantoche de l'envahisseur (le père se révolta pourtant et y laissa la vie. Mircea, le grand-frère, tenta le coup à son tour avec le même résultat. il est intéressant de noter que les otages ne furent pourtant pas exécutés).
Dès qu'il fut en mesure de prendre le pouvoir en Valachie, Vlad se retourna contre les Turcs et leur mena une guerre impitoyable, faite de coups de mains audacieux, d'intimidations et de trahisons dans les deux sens. C'est son goût pour les exécutions spectaculaires au moyen du pal qui lui valut son surnom de Tepes, l'Empaleur.
Ce qui est très intéressant, quand on se plonge dans les chroniques de l'époque, c'est de voir la machine propagandiste se mettre en route. Vlad lui-même en usa et en abusa : son surnom de Dracula signifiait en Roumain le "petit dragon", ou bien le "petit diable". Partant de ce constat, il se para d'une aura de massacreur diabolique, estimant que les gens y regarderaient à deux fois avant d'aller affronter le diable en personne. Cette approche lui valu quelques retentissants succès (mais n'impressionna pas son petit frère Radu le Bel, passé dans le camp Turc, qui fut un de ses adversaires les plus redoutables).
Mais dans le genre propagande, les chroniques en langue allemande concernant notre voïévode sont tout à fait édifiantes. Diverses factions en Autriche et en Hongrie lorgnaient sur ses territoires, et afin de justifier son annexion, dressèrent un portrait au vitriol du personnage, alignant des pages et des pages de descriptions horrifiques des sévices qu'il faisait endurer à son peuple, à ses ennemis, aux ambassadeurs qui lui déplaisaient, faisant de lui un monstre maléfique qu'il devenait urgent de chasser du trône, tel le Saddam Hussein moyen.
Il est d'autant plus amusant de les comparer avec les chroniques en vieux Slavon, qui racontent les mêmes exactions, mais en font à chaque fois une illustration de la haute moralité de Vlad, et de la mise à l'épreuve de la moralité des autres qu'elle supposait, faisant du tout une variante des contes moraux folkloriques, et de leur héros une sorte de souverain retors mais plein d'un humour guilleret quoique un peu noir. La seule chose que les chroniqueurs russes reprochent sérieusement à Dracula, c'est de s'être converti au catholicisme sur la fin, défection papiste qui, pour eux, s'apparentait à de la trahison. Comme quoi tout est toujours relatif…
Commentaires
Sinon, c'est très intéressant de voir ce pan de l'histoire.
(une faute dans une encyclo, même inutile, ça fait tache !)