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Mitan, le retour

 Comme je le disais dernièrement, après avoir rendu le manuscrit de L'ancelot avançait en armes (Coracles 2, donc) à mon éditeur, j'ai attaqué un nouveau Mitan, une sorte de préquelle aux Canaux du même nom.


J'avance bien dessus, et je ne résiste donc pas à la tentation de vous en livrer les premières lignes, brutes de claviardage :


La hache s’abattit sur la bûche, la fendant de haut en bas avec un craquement réjouissant. Richard esquissa un sourire. Contre toute attente, il finissait par devenir bon à ce jeu-là. Il plaça le bois débité sur le tas, posa un autre rondin sur le billot, lui asséna un grand coup… et cette fois-ci, le fer se coinça profondément.

Il grimaça. Trop confiant, une fois encore. Les problèmes arrivaient lorsqu’il prenait trop confiance en lui-même. Il lutta un instant pour dégager son outil, frappa à nouveau, et le résultat fut le même. Il poussa un juron et laissa là son ouvrage. Il avait déjà de quoi se chauffer pour plusieurs semaines. Il emplit sa brouette, la seule de toute la région, qu’il avait dû construire de ses propres mains, et s’en alla disposer le fruit de son travail à côté de la petite maison en rondin.

« Je t’ai entendu grogner de tout là-bas. »

Chante-à-la-Forêt sortit, et le regarda. Elle éclata de rire.

« Et tu aurais pu ôter ta chemise. Regarde, elle est trempée de sueur. »

Il regarda son habit. Comme toujours, son épouse avait raison. La fine toile de lin mille fois ravaudée était maculée d’auréoles, auxquelles étaient venues se coller des éclats d’écorce. Il se dévêtit et alla se laver l’eau de pluie contenue dans un grand tonneau, devant la cahute. Chante-à-la-Forêt le regarda faire, puis lui tendit un torchon de mauvaise jute, avec lequel il s’essuya, rougissant sa peau au passage.

« Merci, dit-il. Que mange-t-on ce soir ?

J’ai mis un daim au fumoir, j’en ai gardé un peu pour nous.

Du daim ? Mais où… »

Elle ne le laissa pas finir et l’entraîna à l’intérieur. Question stupide, vraiment ; Richard savait bien que Chante-à-la-Forêt connaissait ces bois mieux que personne et savait en tirer leur pitance. Ils n’avaient jamais manqué de rien, même au plus fort des hivers. La viande cuisait doucement sur une grille, au-dessus du brasero.

« Ça sent bon.

Et comment voulais-tu que ça sente ? »

Toujours torse nu, il s’assit dans le fauteuil qu’il avait construit trois ans auparavant, peu après leur arrivée au bord de la rivière. Il tendit la main vers un des livres posés sur l’appui de la fenêtre et l’ouvrit à la page où un brin d’herbe sèche lui servait de signet. Pourquoi l’avait-il emporté, celui-ci ? Il ne remettrait plus jamais les pieds dans les Gaudres. La description méticuleuse de leurs provinces et de leurs cités ne pouvait que le plonger dans la mélancolie des choses enfuies. Il valait mieux oublier tout cela. Et pourtant, il s’y replongeait souvent. Trop.

Il tacha de sang l’une des pages et s’aperçut alors qu’il s’était blessé en travaillant. Il grogna à nouveau. Ses mains fines n’étaient décidément pas faites pour cela. Il reposa le livre pour ne pas le souiller davantage. Chante-à-la-Forêt le surveillait du coin de l’œil. Elle comprit et alla chercher un baume. À genoux devant lui, elle lui en enduit les mains.

« Ah, que ferais-je sans toi, ma belle ?

Sans moi, tu serais mort, observa-t-elle avec une sévérité feinte.

Oui, ça aussi. »

Commentaires

soyouz a dit…
diable, on t'arrête plus. Va me falloir une étagère Niko du côté des livres, à ce rythme !

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