Hop, deuxième article sur Ellis, légèrement mis à jour par rapport à la version publiée en 2008.
Alan Moore ne le savait probablement pas à l'époque, mais quand il créa John Constantine dans les pages de Swamp Thing, au milieu des années 80, il avait introduit dans la psyché collective plus que le simple irritant, l'aiguillon motivateur que ce personnage était à l'origine. John Constantine s'est rapidement imposé comme un nouvel archétype hantant nos illustrés favoris. Et cet archétype hante particulièrement, depuis, l'œuvre d'un certain Warren Ellis, mutant à mesure, s'amalgamant, évoluant et revenant sur lui-même au point de s'offrir brièvement à l'auteur dans sa propre série.
Alan Moore ne le savait probablement pas à l'époque, mais quand il créa John Constantine dans les pages de Swamp Thing, au milieu des années 80, il avait introduit dans la psyché collective plus que le simple irritant, l'aiguillon motivateur que ce personnage était à l'origine. John Constantine s'est rapidement imposé comme un nouvel archétype hantant nos illustrés favoris. Et cet archétype hante particulièrement, depuis, l'œuvre d'un certain Warren Ellis, mutant à mesure, s'amalgamant, évoluant et revenant sur lui-même au point de s'offrir brièvement à l'auteur dans sa propre série.
L'année suivante, grand choc. Si Spider Jerusalem a toutes les apparences d'un pur Constantinoïde (la clope, la grande gueule, le mauvais esprit, la puissance et les déboires) il relève en fait d'un tout autre archétype : Spider Jerusalem est l'avatar futuriste du journaliste "hors la loi" Hunter S. Thompson, qui n'a pas grand rapport avec le magicien en trench-coat. Quand Ellis reviendra dessus dans Planetary, en mettant en scène une passation de pouvoir entre Constantine et Jerusalem, ce sera en manière de grosse blague, pour en souligner toutes les différences (et la transformation physique du personnage, au début de Transmetropolitan, correspond physiquement à un passage d'Alan Moore à Grant Morrison, ce qui est peut-être signe d'émancipation d'Ellis par rapport à la figure tutélaire du wookie de Northampton et de ses créations).
L'ultime pseudo-Constantine avant JC, c'est bien sûr Elijah Snow. Relevant de la même mythologie que Jenny Sparks (les Enfants du Siècle), portant régulièrement un trech-coat, fumant à l'occasion, parfois balotté par les évènements, renfermé mais porté à l'ironie, porteur d'un passé plutôt lourd, soulevant les cailloux pour voir ce qui grouille en-dessous, il est encore porteur d'un héritage constantinien, mais qui semble nettement distant, ou pour le moins distancié. C'est un investigateur du paranormal, certes (ce que le vrai JC est parfois, mais pas toujours), mais il a aussi une mentalité de vieil homme, étrangère au vrai Constantine. Ellis joue là la carte des variations sur le thème, l'épuisant peu à peu.
Notons qu'à la même époque, Ellis a animé ou créé plusieurs personnages qui s'éloignent carrément du moule JC. Apollo et le Midnighter sont une variation modernisée et trashouille du World's Finest tandem Superman/Batman. Jackson King (pas une création d'Ellis, mais sa montée au grade de Weatherman vaut reformatage clair et net) semble avant tout inspiré par cet idéaliste de commandant Sisko de Star Trek DS9 (pourtant, Ellis n'est, de son propre aveu, pas un grand fan de la SF type Star Trek) (et notons que le Ultimate Nick Fury, s'il emprunte son minois à Samuel Jackson, doit beaucoup au Jackson King des derniers numéros de Stormwatch façon Ellis, le cynisme en plus). Quant au Docteur, malgré un decorum parfois Constantinien (les excès, la magie), il ressemble avant tout à une version shamanisée de Docteur Who. Car Constantine, pour sa part, n'a rien d'un shaman. Il a trop de recul par rapport à ce qu'il fait.
Et voilà qu'enfin, après avoir tourné autour du pot pendant des années, Ellis obtient enfin d'écrire directement ce personnage qui est, on le devine, une pièce maîtresse de sa mythologie personnelle. Mais entretemps, Ellis a commencé à s'en éloigner, à jouer avec l'archétype, et surtout à jouer avec d'autres archétypes. Peut-être l'a-t-il trop fait, et l'énergie initiale qu'il aurait pu déveloper a-t-elle été tarie avant. Ou peut-être est-il déjà trop tard, peut-être Ellis a-t-il déjà commencé à dépasser son obsession pour le personnage. Haunted, le long arc qui ouvre le run, est une histoire d'exorcisme. Et d'exorcisme d'un amour ancien. Ce n'est peut-être pas innocent. Et certains des récits qui suivront enfoncent le clou. Locked est une histoire de chambre devenue "malsaine" à force d'avoir été le théâtre de trop d'horreurs, pendant trop longtemps. The Crib est un conte manipulatoire traitant de la nature même de la magie. Où se situe, là-dedans, la part de réalité et la part de foi ? Et de la foi à la folie, la distance à franchir est peut-être très limitée. Souvent, avant Ellis, la série a tourné autour de ces questions. Mais jamais elle ne les a abordées aussi brutalement. Le coup de grâce vient avec Telling Tales, une véritable pochade, au cours de laquelle Constantine bourre le mou d'un fou de conspirations, lui faisant gober n'importe quoi. Ou bien ? Allez savoir, tiens, avec Constantine. Et tiens, "Telling Tales", raconter des histoires, c'est quand même le métier du scénariste lui-même, qui semble ne plus arriver à prendre tout ça bien au sérieux, un peu à la manière d'Alan Moore (le revoilà, il n'est jamais loin) quand il livrait une jolie préface à Whatever Happened to the Man of Tommorow ? Et suite à l'engueulade entre Ellis et son editor (concernant une histoire traitant des tueries dans les lycées), cet épisode sera le dernier d'Ellis sur la série, un curieux testament.
C'est curieux, mais par la suite, les personnages d'Ellis ne feront plus réellement référence à Constantine. Il est clair que l'auteur est tout simplement passé à autre chose. Les personnages d'Ocean (Nathan Kane pourrait évoquer une version futuriste de Jackson King), de Down, de Tokyo Storm Warning, de Global Frequency... Relèvent d'autres genres, d'autres univers, d'autres archétypes. Et il suffit de voir fonctionner l'inspecteur Richard Fell pour se dire que même les personnages qui pourraient prêter à comparaison ont pris une totale autonomie par rapport à leur encombrant grand frère. Fell, sous sa couche de mauvais caractère, est un authentique humaniste (ce en quoi il se rapproche plus de Jerusalem/Thompson). Gravel, anti-héros de Strange Kisses et de ses suites, n'est pas un Constantine, c'est un soldat, une brute, un autre genre de salopard. S'il est doté de pouvoirs magiques, il s'en sert sans la retenue de JC, il passe en force.
Commentaires
mais ces deux articles, sous cette forme-là, n'y avaient tout simplement pas leur place.
Court passage consacré à Ellis (je n'y dis pas grand chose) : http://constantinite.blogspot.fr/2009/05/hellblazer-les-scenaristes-hellblazer.html
Shoot, l'épisode jamais publié : http://constantinite.blogspot.fr/2009/03/shoot-lepisode-fantome.html
Signé : le Monsieur qui vous a appelé "Monsieur" l'autre fois.
Au sujet du passage de témoin entre Alan Moore et Grant Morrison que tu soulignes, je ne crois pas qu'il ait lieu.
Il s'agit bien de Hunter S. Thompson/Spider Jerusalem et pas Morrison/king Mob (je développe un peu l'idée ici notamment avec photo à l'appui : http://www.comics-sanctuary.com/forum/planetary-t-1-warren-ellis-john-cassaday-t84091-45.html
Le forum propose une plus grande "ergonomie" que les commentaires d'un blog. [-_ô]
Qu'il soit hirsute et une conséquence de son mode de vie.
Son attachement aux armes est d'ailleurs assez "parlant", jamais Moore n'utiliserait une arme, et un pastiche de ce type : un Moore armé je n'y crois pas une seconde.
Non du début à la fin c'est Thompson/Jerusalem.
Du moins selon ma lecture [-_ô]
Je suis en train de réfléchir à un article, et je me demande si l'idée qui veut que Warren Ellis ait utilisé dans de nombreuses séries une sorte d’avatar de John Constantine n'est pas erronée.
En effet tous les personnages dont j'ai lu qu'ils étaient des "clones" de John Constantine sont en fait l'incarnation d'un stéréotype assez commun.
Une sorte d'anti-héros hâbleur, donnant l'impression d'être le maître d'un jeu qui en fait le dépasse, nihiliste ou du moins désabusé, et ayant des connexions avec le Milieu, les services de renseignements ou l'occulte (selon les contextes).
Ce type de personnage devait tout simplement plaire à Ellis, et bien évidemment Constantine et Spider Jerusalem et bien d'autres, sortent de ce moule culturel.
(Sinon dans mon commentaire précédent il faut lire "...hirsute est une conséquence...") [-_ô]