Accéder au contenu principal

Serial writer

Parmi les râleries qui agitent parfois le petit (micro) milieu de l'imaginaire littéraire français, y a un truc dont je me suis pas mêlé, parce qu'une fois encore, je trouve le débat mal posé. Je suis capable d'être très casse-burette sur la manière de poser les débats. Mal poser un débat, c'est ravaler l'homme bien plus bas que la bête, au niveau d'un intervenant Céniouze. On n'en était certes pas là, et de loin, mais les esprits s'enflamment si vite, de nos jours.


 

Du coup, c'est ici que je vais développer mon point de vue. Déjà parce que c'est plus cosy, y a plus la place, déjà, que sur des posts de réseaux sociaux, je peux prendre le temps de peser le moindre bout de virgule, et puis peut-être aussi (c'est même la raison principale, en vrai) je suis d'une parfaite lâcheté et le potentiel de bagarre est moindre.

Bref. Le sujet de fâcherie qui ressurgit avec régularité c'est (je synthétise, paraphrase et amalgame à donf) : "Pourquoi y a si peu de grandes séries par des auteurs francophones ?" et une explication parmi d'autre tient dans la question "frilosité ou manque d'ambition ?"

Et là, tel que vous me voyez, je vais me resservir un café, faut au moins ça.

Bien.

Par où je commence ?

Alors oui, la série est pas forcément la règle par chez nous, ou plus. Disons qu'on n'est plus au temps des Chevaliers de Lumière, coucou la team Jimmy, ni de La Compagnie des Glaces. Le paysage éditorial a changé.

Mettons nous dans la peau d'un éditeur d'aujourd'hui qui voit arriver un jeune auteur avec des yeux plein d'étoiles et sous le bras un 800000 signes sur lequel il a passé quatre ans, premier tome d'une série de douze. Rien que l'arithmétique de la chose a de quoi le faire flipper.

En admettant que le jeune tienne la longueur, et même qu'il réduise le temps de prod, c'est un engagement sur longtemps, même si le bouquin est bon. Pour qu'un éditeur ayant les reins assez solides se lance dans un truc pareil, juste "bon" ne suffira pas. Il y a un moment où il faut équilibrer les comptes. Et plus le bouquin est épais, plus c'est dur.

Vous me direz, à raison, qu'un éditeur qui croit à un auteur va le soutenir (ces éditeurs existent, j'en ai rencontré, quand vous les trouvez, chérissez-les contre vent et marée) mais il y a des limites aussi à ce que la boîte peut encaisser (coïncidence amusante, ces éditeurs dont je parle rament parfois, et des fois, comme disait Tino il y a si longtemps "c'est un peu... à cause de moi").

Des résultats tangents peuvent être absorbés par un gros succès à côté. Les maisons d'édition rêvent toutes d'avoir des auteurs vedette qui leur permettent d'absorber les prises de risque de ce genre. Mais dans l'imaginaire français, un auteur vedette, ce n'est pas non plus les ventes de Marc Levy.

(dans un domaine voisin, celui de la BD que je connais bien, des séries comme XIII et Titeuf ont mis trois tomes avant de commencer à être rentables, mais ils étaient chez de très gros éditeurs, et les auteurs de XIII étaient déjà des briscards)

Privilégier les one-shots (ou les diptyques) pour les jeunes auteurs, c'est donc une sécurité pour l'éditeur. Et ça permet d'installer la carrière plus tranquillement, en essayant des choses.

Pour le jeune auteur lui-même, c'est aussi un moyen de se chauffer, d'affiner sa technique, avant de se lancer dans un truc très ambitieux qui lui restera sur les bras en cas d'échec commercial. Et il ne s'agit pas là de paternalisme, l'écriture, c'est typiquement un de ces métiers où l'on n'a jamais fini d'apprendre, de s'affiner, d'essayer de nouveaux trucs. Une série au long cours n'est pas forcément le meilleur endroit pour ça.

Ce qui m'amène à la partie plus personnelle de ce que j'avais à dire.

J'ai publié deux trilogies en BD, j'ai deux séries arrêtées au premier tome en BD, et ouais, j'ai réduit mes ambitions de ce point de vue. J'ai toujours aimé les formes assez courte et, en romans, ce qui ressemble le plus à des séries chez moi ce sont des histoires interconnectées, mais qui peuvent se lire indépendamment. Pourquoi ? Parce que d'une certaine façon, j'ai fini par faire mien l'adage de Papy Stan Lee sur chaque épisode qui est le premier épisode de quelqu'un. On peut prendre L'ancelot sans avoir lu les Coracles. La lecture en séquence enrichit la compréhension de l'ensemble, mais elle n'est aucunement nécessaire. Il en va de même pour Les Canaux et Les Exilés. Et ça me convient assez bien, en fait.

Donc mes séries n'en sont pas tout à fait. Je termine pas mes romans par de gros cliffhangers. Comme je ne sais pas quand mes lecteurs auront la suite, ça me semblerait peu approprié. Est-ce que j'ai été traumatisé par mes expériences passées en BD ? Disons qu'elles m'ont rendu prudent. Et que cette contrainte, faire un bouquin qui vienne à la suite de l'autre mais qui se tienne seul au besoin, ça m'oblige à être créatif dans ma manière d'exposer certaines choses, certains enjeux.

L'expérience en BD et celle en roman peuvent-elles être réductibles l'une à l'autre ? Peut-être pas, ou pas tout à fait. Mais je m'en fous, je procède par télescopages en toutes choses. Tout est dans tout et inversement.

Prenez soin de vous, faites vos bouquins comme vous l'entendez et surtout comme ça vous éclate de les faire, et n'ajoutez pas aux malheur du monde, il n'a pas besoin de vous pour ça.


10-clameurs

J'ai pondu ce texte il y a quelques mois en voyant des gens s'écharper. Puis j'ai hésité à le publier, me rendant compte que ça alimenterait peut-être des bagarres à la noix.

Commentaires

soyouz a dit…
J'ai pas trouvé les noix !

Posts les plus consultés de ce blog

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...