Un des débats qui agite le petit milieu de la SF, depuis quelques années, c'est la reconstruction de perspectives positives. En voulant avertir, souvent à juste titre, leurs lecteurs de périls imminents, les auteurs ont contribué à créer un avenir morose, développé à l'envi dans des genres comme le post-apocalyptique, la dystopie, le cyberpunk et j'en passe. Une partie de ces avenirs s'est d'ailleurs réalisée. Le réchauffement climatique, les sociétés de contrôle, la marchandisation absolue, on est en plein dedans.
dessin de Tom Gauld
De s'apercevoir que, malgré toutes ces mises en garde, l'espèce s'est vautrée dans ses pires travers a de quoi mener au découragement général. Le progrès est devenu une notion très ambivalente, détournée, parfois toxique, j'en causais dernièrement dans ma vidéo sur le Giscardpunk. Face aux enjeux du moyen terme, nombre d'entre nous sommes tentés de baisser les bras.
C'est pourquoi il est urgent de reconstruire des imaginaires positifs. Pas forcément des utopies (cette notion elle-même n'a pas bien survécu au passage du vingtième siècle), mais des motifs d'espoir, des directions. Ce que Leto II, dans le cycle de Dune, appellerait un Sentier d'Or.
Narrativement, dramatiquement, c'est sans doute moins facile à mettre en oeuvre qu'une bonne vieille dystopie à l'ancienne, mais ce genre de défi est toujours intéressant.
Un exemple qui me vient spontanément à l'esprit de démarche de ce genre plutôt réussie, et sur la longue durée, c'est la licence Star Trek (sur laquelle je suis enfin à jour ou à peu près, il me reste quelque Lower Decks à voir).
La note d'intention de Gene Roddenberry, créateur de la série, était simple : nous suivons des groupes d'explorateurs. Le conflit, s'il existe, n'est pas une fin en soi, au contraire. L'idée est de tendre la main, de comprendre. En ce sens, Starfleet est un peu un descendant du Salvor Hardin de Fondation (dans les romans, en tout cas) qui considérait la violence comme le dernier refuge de l'incompétence (maxime qu'on devrait afficher au fronton des ministères, en ce moment, je pense).
Star Trek part du principe que les humains (après des périodes difficiles, évoquées à mots couverts, comme les guerres eugéniques, l'effondrement global, etc. l'avenir est positif, mais pas bisounours pour autant) ont fini par surmonter leurs différents et différences pour se lancer dans l'exploration de l'univers, trouvant des alliés sur d'autres planètes, comme les sages Vulcains. L'équipage est dès le départ assez diversifié (surtout pour les années 60), avec des femmes, des Russes, des Africain.e.s, des aliens et même un Écossais. Si tout n'est pas rose, s'il existe des antagonistes (Romuliens, Klingons et Khan au premier chef), nos héros explorent des recours, et savent parfois trouver des terrains d'entente même avec des êtres fondamentalement différents. Ils s'interdisent d'ignorer cette option, celle de la main tendue.
Même si des fois tendre la main leur prend la tête
Après quelques vicissitudes, la série arrêtée prématurément perdure sous d'autres formes. Dessins animés, films, puis séries dérivées à partir de la fin des années 80. La forme évolue. Aux épisodes auto-contenus des débuts s'ajoutent des doubles épisodes, puis de grands arcs narratifs. Après Next Generation, créée par Roddenberry et suivant le schéma classique, Deep Space Nine va développer l'univers dans d'autres directions, sous la houlette de nouveaux showrunners. On ne suit plus l'équipage d'un vaisseau explorant la galaxie, mais les habitants d'une station spatiale embarqués dans diverses crises diplomatiques (on sent une influence de la concurrence, nommément Babylon 5, série basée sur une prémisse identique, qui devrait faire bientôt son grand retour sur les écrans).
Voyager étend la galaxie en poussant l'exploration plus loin : après un accident, le vaisseau est propulsé dans une zone reculée et inconnue, le retour par des moyens conventionnels prendrait des siècles, et il faut donc chercher quelque chose, avec un équipage composé d'anciens adversaires qui doivent faire cause commune.
J'en profite pour reposter ma fan theory sur le capitaine Janeway et la tante Pétunia.
Le drame, c'est qu'à l'arrêt de Voyager, en 2001, la licence va prendre un tournant délicat. Enterprise, la série suivante, est un préquel, montrant les tous débuts de Starfleet. L'univers, au lieu d'aller de l'avant (ce qui est le leitmotiv de Star Trek, à la base), ne fait même pas du surplace, il recule à grands pas. Mal reçue, Enterprise n'aura que quatre saisons, et ce sera la fin pour Star Trek, pendant un temps.
Le film de 2009 poursuit dans cette tendance. Il raconte les débuts de Kirk et Spock. Si mettre un acteur qui s'appelle Pine dans le pyjama de Kirk était une idée tout à fait brillante, et que la trilogie lancée par Jar-Jar Brams est pas désagréable, elle se double d'un autre recul : on n'est moins dans la main tendue que dans la désignation d'ennemis, intérieurs ou extérieurs, suivie de leur destruction.
Ce n'est pas la même chose que Picard poursuivant les borgs de sa haine : ses camarades, tout en reconnaissant son traumatisme, ont tendance à le modérer. Et les victimes de son passage à l'ennemi savent lui rappeler à l'occasion qu'il s'en est pas si mal tiré. Il avait toujours un contre-discours, qui ici disparaît.
Par ailleurs, le film de 2009 est un reboot. Très malin, d'ailleurs, dans la façon dont il est fait, puisqu'il n'annule pas la continuité précédente, il s'embranche dessus à l'occasion d'un paradoxe temporel. Il sent la volonté d'une remise au goût du jour, mais le jour est celui des grands blockbusters et de la CGI. On est très loin des bases.
Autant dire qu'au début de Discovery, en 2017, j'avais des inquiétudes. On était aussi dans un prequel (et pour compliquer le truc, un prequel contemporain de la trilogie commencée en 2009, mais se déroulant dans l'univers d'avant reboot). Comme ça démarre avec Michelle Yeoh en capitaine de starship, c'est ultra-cool. Mais on est au moment du déclenchement de la guerre contre les Klingons, avec une protagoniste bien énervée. Autant dire qu'il y avait de quoi se poser des questions. Heureusement, très rapidement, le contre-discours se met justement en place, et la protagoniste, Michael Burnham, a un vrai arc narratif de rédemption. Même si on reste dans un prequel, donc une forme de recul, l'univers retrouve peu à peu ses fondamentaux, en intégrant pas mal d'évolutions de la société et en travaillant énormément les représentations minoritaires.
Pour autant, la licence semble condamnée à rejouer sans fin son passé. L'introduction du capitaine Pike, prédécesseur de Kirk à la barre de l'Enterprise, est un signal en ce sens.
Dès lors, l'année 2020 est une bonne surprise. La série Picard raconte la vieillesse du capitaine iconique de la Next Gé, avançant la timeline et certaines problématiques d'une cinquantaine d'années (avec le programme de réhabilitation des Borgs, notamment, idée que j'ai bien aimée) et le Discovery se trouve propulsé près d'un millénaire après les aventures de Kirk et Spock.
Un vrai redémarrage en fanfare. Alors, ce n'est pas exempt de défauts. Les saisons courtes sont l'occasion de développer des arcs narratifs globaux, et... et c'est là que ça coince. Arrivé au bout, on voit les coutures et ce n'est pas toujours fameux, quand bien même les épisodes pris isolément sont de bonne tenue. De même, le recours au fan service est assez systématique, même s'il est plutôt sympathiquement géré et intégré de façon fluide.
Mais le point fort, c'est que la mise à jour par rapport à l'époque de production est bien plus intelligente que celle des films avec Chris Zob. On ne met pas de côté les idéaux de Starfleet. Par contre, Starfleet montre qu'elle peut se perdre, les écorner à coup de Realpolitik et de sénescence. Et c'est là que nos héros ont un rôle à jouer. Ils sont l'exemple de ces valeurs humanistes, positives, susceptible d'inspirer les autres, ceux qui sont tombés dans la résignation et le cynisme.
En contrepoint, d'ailleurs, la série Strange New Worlds, centrée autour de Pike, si elle explore le passé (c'est un spin-off de Discovery et un prequel direct de la série des années 60) montre l'époque héroïque de Starfleet, et les personnages qui ont eux-même servi d'inspiration et de compas moral aux héros ultérieurs. Le fait qu'elle reprenne la structure classique en épisodes indépendants (avec un fil conducteur léger pour les relier) montre qu'elle est là pour servir d'échantillon-témoin.
Bref, depuis quelques années, la licence dans son ensemble a vraiment surmonté les errements, redémarré et, au mépris du danger, avance vers l'inconnu.
Et voilà donc pourquoi j'aime Star Trek.
Post scriptum :
Plutôt que de mettre plein de photo des séries, j'ai surtout mis des dessins de gens que j'apprécie, Sienkiewicz, Rude et Chaykin dans le cas présent.
Pour aller plus loin dans les univers positifs, deux suggestions de lecture :
- l'anthologie Hypermondes de l'an passé, la 2, consacrée à l'utopie, démontrant que penser utopique n'est pas se voiler la face aux conséquences et aux prix à payer.
- Le futur au pluriel, réparer la science-fiction, de Ketty Stewart, bouquin que j'ai pris y a deux jours et donc pas encore lu, mais qui pose tous ces problèmes là et d'autres encore, notamment celui de la représentation dans un genre très codifié. Inutile de dire que je vais me plonger dedans avec une attention soutenue.
Commentaires
Et ça coince pour beaucoup de série. A force de privilégier un faible nombre d'épisode sans compter cette stupidité de mise en ligne d'une saison complète on se prive d'une des forces de la narration télévisuelle à savoir la chronique sur le long terme. C'est déjà un atout pour des dramas familiale (comme le montre le récent This is us ou plus anciennement Friday Night Light), ça l'est encore plus pour des séries fantastiques ou de science-fiction dont la cohérence se base sur le fait qu'on adhère à un univers. Or pour y arriver cette univers se doit d'être décrit sur le long terme. Et quand ton modèle économique se base sur de la mini-série (dans les faits) bennn c'est clairement pas évident.
Picard S3 a pas mal contourné en ayant une résolution partielle de mi-saison qui rassemblait pas mal de fils narratifs, et c'était plutôt malin.