Accéder au contenu principal

Le silence des anneaux

 C'était un genre de malédiction : chaque fois que j'ai essayé de me mettre aux Anneaux de Pouvoir, j'ai eu une panne d'internet dans la foulée. Et comme je peux pas tout suivre non plus, et que sans m'avoir totalement déplu, les premiers épisodes ne m'avaient pas emporté, j'étais passé à autre chose.

Finalement, j'ai complété la première saison. Je vous ai dit que j'étais toujours super en avance sur les série télé ? Genre j'ai fini The Expanse l'an passé seulement.

Et donc, qu'est-ce que j'en pense ? On est un peu sur le même registre que Fondation. Des tas de concepts sont repris, d'autre sont pas forcément compris, et on triture la chronologie.


  C'est compliqué par le fait que les droits ne couvrent que le Seigneur des Anneaux et ses appendices, une source forcément incomplète dès qu'on se penche sur les origines de ce monde. Le reste est zone interdite et les auteurs ont dû picorer dans des références parfois obscures avant de retricoter une trame globale qui n'ait pas l'air dérivée du Silmarillion ni du reste. Je n'aurais pas aimé être à leur place, j'imagine les avocats du Tolkien Estate leur soufflant sur la nuque.

Du coup il faut le prendre comme un objet en soi, cherchant à rester avant tout cohérent avec les films de Peter Jackson. De ce point de vue, c'est assez bien fait, et si certaine séquences évoquent plus les horreurs numériques du Hobbit, il y a une belle exploitation des paysages, voire même des plans entiers qui s'inspirent de la manière dont a été filmé l'original. Plusieurs répliques sont d'ailleurs placées pour faire un pont très net.

Rien à dire sur les acteurs. Galadriel m'avait chiffonné au départ, c'est dur de passer derrière Cate Blanchett, et puis je me suis habitué en essayant de comprendre comment elle l'interprétait. Morfydd Clark à qui, au naturel, je trouve un côté Rebecca Ferguson, fait curieusement bien le taf. Elle donne son interprétation du personnage à un moment où elle n'est pas l'espèce de déesse hiératique que rencontre la Communauté de l'Anneau. De fait, si son histoire est largement réinventée pour les raisons évoquées plus haut, cela permet de conserver cette notion cruciale avec le personnage : elle est restée en Terre du Milieu à titre de punition pour un péché ancien, dont il existe plusieurs versions contradictoires. Notons seulement qu'elle était liée à l'exil de Fëanor, le plus grand forgeron elfe et créateur des Silmarils, joyaux qui sont d'une certaine façon le pendant inverse de l'Anneau, objets de redoutable convoitise, mais également source d'une lumière divine.

 La tentation du pouvoir, en tout cas, est déjà présente, celle à laquelle elle résistera définitivement dans Le Seigneur des Anneaux, prouvant ainsi qu'elle est enfin digne de rejoindre l'île bénie de l'Ouest.

J'aime bien la version d'Elrond, qui est un peu en décalage avec celle incarnée par Hugo Weaving, pour le coup, mais qui fonctionne bien (faut qu'il se méfie, l'acteur Robert Aramayo, par contre, vu qu'il avait déjà incarné le jeune Ned Stark. S'il continue à faire des prequels de fantasy, il sera un jeune Geralt ou, Crom nous en préserve, un jeune Conan).

Là où ça me chiffonne un peu plus, c'est Sauron. Le twist autour du personnage est assez malin, et l'acteur arrive à convoquer une imagerie très raccord avec l'esthétique générale de la licence, mais y a un truc qui me semble relever de l'incohérence interne à la série. Zone spoil, du coup.

L'elfe dévoyé raconte avoir tué Sauron, mais celui-ci ne peut donc disposer du blason, tel que je comprends la chronologie interne de la série.

Peut-être que j'ai mal compris le truc, mais la façon dont ils font planer le doute sur Sauron implique des bidouillages, et j'ai l'impression qu'ils se sont pris les pieds dans le tapis.

Fin du spoil.

Bref, s'il y a des souci d'écriture ici et là, une ou deux séquences importantes mais pas claires à mon sens, des trucs qui manquent d'ampleur visuelle, notamment Numenor, mais il y a aussi de belles images, des personnages pas mal développés, y compris la proto-hobbit dont on devine qu'elle doit être une ancêtre lointaine des Sacquet.

Y a des manques, aussi, notamment sur l'Istar où on sent que l'impossibilité d'exploiter certains textes, notamment des Contes et légendes inachevés, conduit à un truc pas satisfaisant, même si le personnage a un arc narratif bien fichu.

Donc voilà, pas détesté, mais pas transcendé non plus. En l'état, c'est une adaptation qui va du très libre au... très, très, très libre, disons.

Pourqoi pas, hein ? Après tout, je ne suis pas un intégriste de Tolkien. Lui-même ne l'était visiblement pas, d'ailleurs, si l'on en juge par les variations de récit entre le Silmarillion et les récits publiés ultérieurement et compilés par son fils Christopher à partir de notes et de manuscrits parfois incomplets. Il a construit son univers par petites touches et parfois à tâtons, ce qui l'a conduit, tant que les choses n'étaient pas publiées, à les rebidouiller.

C'est intéressant, d'ailleurs, de lire ce qu'en dit Christopher. Il s'est livré à un travail quasi exégétique pour restituer les textes au mieux de ce qui lui semblait être la volonté de son père. Au prix parfois de repentirs.

Et du coup, si j'en juge par les diverses adaptations et la façon dont en parlent les tolkienniens hardcore, il y a des chapelles préférant telle ou telle interprétation. On n'en est pas encore rendu à des schismes, mais c'est rigolo de voir qu'il y a ça, cette légère tension, de celles qui engendrent des orthodoxies opposées.

Bref, ça m'a surtout donné envie de me replonger dans ce que j'ai chez moi de Tolkien, et c'est déjà pas si mal.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dans le coin

 Tiens, je m'avise que j'ai fait un peu silence radio, dernièrement. La faute à pas mal de cavalcade. Marmande d'abord, en chouette compagnie, puis Limoges. Agréablement surpris par Limoges, d'ailleurs. J'y ai été fort bien accueilli, le vieux centre ville historique est très sympa, ça s'est merveilleusement bien passé. Seul bémol, la petite crèche chopée au retour, à passer d'espace climatisés un peu fort à des nids à courants d'air lors des correspondances. Bref.  Pour ceux qui n'y étaient pas, la conf limousine sur H.P. vous savez qui.     L'autre info du moment, c'est la fondation des éditions Askabak, par de vieux complices à moi. Je pense que vous reconnaîtrez la patte graphique. Première sortie annoncée, Les Demeures terribles , une anthologie fantastique.  Bien entendu, je serai dedans, avec un texte intitulé "Vortace".

C Jérôme

 Ah, on me souffle dans l'oreillette que c'est la Saint Jérôme, en l'hommage au patron des traducteurs, et plus précisément des traducteurs qui se fâchent avec tout le monde, parce qu'il était très doué dans ce second domaine, le gaillard.   Jéjé par Léonard   Bon, après, et à sa décharge, c'est une époque où le dogme est pas totalement fixé et où tout le monde s'engueule en s'envoyant des accusations d'hérésie à la figure. À cette occasion, le Jéjé se montre plus polémique que traducteur et doit se défendre parce qu'il a aussi traduit des types convaincus ensuite d'hérésie. De nos jours, son grand oeuvre c'est la traduction latine de la Bible. Ce n'est pas la première du genre, mais c'est la plus précise de l'époque. Il s'est fondé notamment sur une version d'Origène (un des hérétiques qui lui vaudront des problèmes) qui mettait en colonnes six versions du texte, deux en hébreu et quatre en grec et fait des recherches de ...

Si tu ne viens pas à Cthulhu, Cthulhu viendra à toi !

Ça ne change pas, je vais encore passer du temps et noircir du papier à cause de Lovecraft. Il ne me lâchera jamais. Ou je ne le lâcherai pas, c'est comme une valse indicible.    Bref, dans les semaines à venir, il va encore y avoir du tentacule, c'est moi qui vous le dis. Jeudi 9  octobre à 18h30 je donnerai une conférence sur Lovecraft à la Bibliothèque Francophone Multimédia (non, je ne suis pas invité sur BFM, je me respecte, un peu, quand même) de Limoges. Si vous avez des bouquins à signer, amenez-les, c'est prévu.   Vendredi 21 et samedi 22 novembre je serai au Campus Miskatonic de Verdun comme tous les ans, et cette année, en partenariat avec Actu-SF il y aura une anthologie thématique, Pixels Hallucinés, à laquelle je participe. Par ailleurs, le samedi 3 octobre je serai à Marmande pour le petit salon des Ukronies du Val, dans un joli cadre et avec une organisation très sympathique. 

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d...

Chronique des années de Peste, livre 15

 Normalement, on arrive à cette période de l'année où mes aventures absurdes en Charente alimentent la War Zone. Pas cette fois-ci, vu que le festival est reporté en juin. Et vu l'ambiance, pas sûr que j'y aille, ne serait-ce que pour soutenir le mouvement des collègues appelant au boycott du festival tant que certaines choses n'auront pas été revues au niveau du statut des auteurs, notamment au niveau des conditions de venue en festival. On échange donc avec les copains des messages gag nous donnant rendez-vous à tel ou tel bar d'Angoulème, et c'est quand même bien grinçant. On rit tellement jaune qu'on s'interroge sur l'état de notre foie, ou qu'on se croit dans les Simpsons. Alors qu'en vrai, nos gouvernants fonctionnent comme dans un épisode de South Park. Bref, tenez pas compte, je suis aigri et grognon, là, entre ces confinements qui devraient en être mais n'en sont pas, et ont tous les inconvénients des vrais sans en avoir l'ef...

Chez les voisins

 Vous le savez peut-être, mais il m'arrive d'écrire dans la presse, notamment dans Geek le Mag (je travaille avec eux depuis déjà quelques années).  Là, ils m'ont demandé des notules pour leur site internet. Tout à fait le genre de choses que j'aurais fait normalement sur ce blog, des petites considérations sur tel personnage, telle préconception. Y en a déjà quatre en lignes : Pourquoi Hollywood ne peut pas adapter Fondation  ? Guy Gardner est-il un connard ?  L'éternel retour de Red Sonja Tezuka a-t-il vraiment inventé les mangas ?    Y a parfois un côté gentiment troll. On va voir ce que ça donne. J'essaierai de les répercuter ici à l'occasion.   pour retrouver tous mes articles sur le site :  Auteur : Alex Nikolavitch     Par ailleurs, je mets en place à partir du 2 octobre un atelier d'écriture sur l'imaginaire, à la Maison de Quartier du vieux Conflans, à Conflans Ste Honorine. Ce sera un jeudi sur deux de 20 à 22h. N'hésitez pas à...

Général Jean-Joseph-Amable Humbert

" - Mais que comptiez-vous faire avec si peu de monde? -Aller à Dublin et libérer une nation qui souffre sous votre joug. - Voilà bien une idée qui ne pouvait germer que dans une tête française. " (Général Jean-Joseph-Amable Humbert, 1767-1823, dialogue avec le général Lake) Il y a des gens qui ont la poisse. Ils accomplissent des exploits incroyables, et sont néanmoins disgraciés et oubliés. Le général Humbert est de cette sorte : héros des Révolutions Française et Irlandaise, de la défense de la Louisiane et de la flibuste, il est mort en exil, renié par sa patrie. Avant de devenir général, l'homme avait été tanneur de peau de lapin. La Patrie étant en danger, il fut promu capitaine de la garde nationale de Lyon, participa au siège de Mayence puis à la guerre en Vendée, et fut nommé général de brigade à 26 ans. Devenu second de Lazare Hoche, il l'accompagna lors de la première opération (ratée) de soutien à la révolution en Irlande. Après une deuxième tentative, Hum...

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...