J'avais du boulot, mais j'ai fait une pause dans l'aprème pour suivre le live du vol suborbital du patron de Virgin. Bien entendu, tout le monde parle de grande première, d'événement, etc. Ce qui n'est pas le cas. Mais ça demeurait intéressant.
Alors, pourquoi n'est-ce pas une première ? Parce que grosso modo, ce n'est rien d'autre qu'une version plus glamour (et avec plus de passagers) d'un vol de X-15 comme il y en a eu un paquet depuis les années 60 : une partie des équipages de Gemini et d'Apollo provenaient d'ailleurs de ce programme, et ils étaient passés à la vitesse supérieure parce que si l'US Air Force considérait la limite de l'espace comme étant à 80 km d'altitude, ce n'était pas le cas d'autres agences qui la situaient à 100 km. Nos pilotes demeuraient donc techniquement des aviateurs et pas des astronautes.
Par ailleurs, le vol d'aujourd'hui était un vol suborbital, à un peu plus de Mach 3. La vitesse atteinte par des avions de série comme le Blackbird, ou les Mig 25 et 31 (la vitesse de satellisation, c'est 10 fois ça, à la louche). En terme d'altitude pure, on est moitié moins haut que le vol d'Alan Shepard il y a 60 ans.
La différence, c'est bien sûr que le vol de Shepard avait demandé une sélection et un entraînement intensif pour 15 minutes de vol, et que celui de la machine Virgin permet d'atteindre les limites de l'espace avec quasiment le confort d'un avion de ligne. Et ça c'est intéressant. L'espace se banalise peu à peu. Même le Dragon Crew, qui dessert désormais l'ISS, s'il a un habitacle bien plus élégant et dépouillé que les anciens Soyouz, par exemple, reste une capsule balistique qui implique d'encaisser des paquets de g au décollage et à la rentrée, avec le moment terrifiant de boule de feu due à la friction.
Alors, il y a là un symbole, quand même. Un milliardaire a mis du pognon sur la table et s'est accroché pendant longtemps, près de vingt ans, malgré les échecs (ils ont perdu un prototype et ses pilotes, ainsi que quelques ingénieurs lors de divers accidents) et est parti dans l'espace à bord d'un appareil qu'il s'était lui-même payé, battant d'ailleurs de vitesse deux de ses concurrents. Nous entrons de plain pied (nous y sommes en fait depuis quelques années) dans l'ère du vol spatial capitaliste.
Les états sont à la ramasse, quand ils étaient pendant longtemps les seules forces de proposition. La Russie n'a jamais réussi à se doter d'un successeur du Soyouz. La Nasa a dû se passer d'un moyen de lancer des vols habités pendant des années. Sur le fond, la future capsule Orion n'est qu'une version mise au goût du jour d'Apollo. L'innovation est désormais impulsée par de purs acteurs privés, de leur propre initiative (même s'ils parviennent à gratter des fonds publics au passage, notamment en commercialisant leurs lanceurs auprès d'agences gouvernementales).
L'appareil qui a volé aujourd'hui est un jouet (un beau jouet, certes) pour milliardaire, on est face à un genre de Tony Stark, bouc compris. Il le commercialisera auprès de millionnaires amateurs de sensations fortes. Et auprès de nous, en diffusant des sensations fortes par procuration.
J'avoue que j'ai pris mon petit fix en voyant l'appareil se détacher et son moteur se mettre en route.
Commentaires
après, rendons cette justice au premier qu'il a toujours été branché sur ces trucs là, c'est pas une tocade, il a fait des tours du mondes aériens dans des appareils bien farfelus.