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Inspirez, soufflez

Je me suis remis au boulot sur une nouvelle que j'ai promise à la revue Le Novelliste pour son numéro 4. Elle est achevée depuis des mois, mais justement, c'est après avoir laissé reposer la pâte qu'il faut reprendre un texte, quand on l'a suffisamment oublié pour jeter sur lui un regard neuf et en débusquer les imperfections.

Ça m'a fait reposer à ma nouvelle précédente pour cette revue, publiée dans le numéro 2. Elle débute ainsi :
"Une douce fraîcheur retombait sur la petite cour. C’était ce moment béni entre tous où la touffeur de la journée fait place à une brise légère, à ce dernier souffle du jour que les Hébreux, dans la Genèse, semblaient associer à la Présence divine dans le jardin originel."

Elle fait référence à la Genèse, chapitre 3, verset 8. C'est le moment où, alors que vient le soir, l'homme et la femme qui ont fauté entendent la voix de Dieu qui approche.

Dans pas mal de traductions, le texte est ambigu ou affadi. L'une d'entre elle dit par exemple "Alors ils entendirent la voix de l'Eternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir", et elle gomme directement la référence à la brise fraiche. Une autre dit "Et ils entendirent la voix de l'Éternel Dieu qui parcourait le jardin à la fraicheur de la journée". Et les exégètes emploient l'expression que j'utilise dans mon texte : "au souffle du jour", en la considérant comme la plus littérale, la plus proche de l'original. J'ai conservé l'expression parce que je la trouvais jolie et poétique. Pourtant, il suffit de pas grand-chose pour torpiller cette belle idée : une autre traduction dit "Le soir, un vent léger se met à souffler. Le Seigneur Dieu se promène dans le jardin. L’homme et la femme l’entendent" et si ça conserve l'idée, c'est quand même d'un prosaïsme achevé.

Mais il y a plus dans cette expression qu'une heureuse tournure poétique. Je ne lis pas du tout l'hébreu, mais je connais assez l'histoire de certaines idées pour savoir que dans cette langue, le mot "esprit" et le mot "souffle" sont identiques, que c'est en fait le même mot, et que les idées sont donc indissolublement liées (il en va de même en latin, avec "spiritus" qui a donné aussi bien esprit que respirer, ou en grec).

Ce lien entre le souffle vital et la notion d'esprit parcourt tout le début de la Genèse. Le souffle de Dieu qui se meut au dessus des eaux de l'abîme, c'est à la fois l'esprit divin et une tempête du tonnerre de Dieu. La dualité apocalyptique entre l'épiphanie et les limites du monde s'y exprime déjà à plein. Lors de la création de l'homme, Dieu lui confère une âme en lui soufflant dans les narines, en lui transmettant donc une partie de son propre esprit. (c'est une jolie idée, ça aussi, qui ressurgira à plusieurs reprises, que notre force vitale est une parcelle de divinité).

Elle est présente aussi dans ce petit verset. Ce souffle du jour, il est à la fois brise du soir et esprit de Dieu qui se promène dans le jardin, sans que ces notions soient disjointes. C'est une époque où la Présence est partout, circulant à sa guise dans le monde. On ne l'a pas encore confinée dans un temple, et elle n'a pas encore glissé vers un autre symbole, plus localisé, celui des lumières du chandelier. Les colonnes de feu et autres démonstrations pyrotechniques (celles que je brocarde parfois avec l'expression "krakapoum wagnerien") sont un stade peut-être plus tardif, et tellement moins subtil, de la théologie. Et plus ambigu : Le feu a servi ensuite à dresser bûchers et autodafés, la flamme du cierge se fait trop facilement sœur des fournaises infernales.

Non, décidément, je l'aime bien, ce "souffle du jour", ce petit courant d'air bienfaisant. Oui, il est ambivalent, lui aussi, il représente un Dieu capable de colères homériques, certes, mais il sait aussi se faire discret, doux, caressant. C'est un Dieu à la fois plus naturel, mais peut-être plus civilisé malgré tout.

Et parfois, il suffit d'un souffle pour éteindre une flamme…

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