Accéder au contenu principal

Garder l'alien fraîche

Vous vous souvenez peut-être de mes diatribes enflammées* à propos de Prometheus, film magnifiquement loupé qui démontrait par l'exemple à quel point l'obsession d'Hollywood pour les prélogies, origines secrètes et autres au commencement était problématique. Certes, ça peut donner des trucs chouettes, mais la moitié du temps, ça répond de travers aux questions qu'on se posait, et ça prend le temps de répondre à côté de la plaque à des questions qu'on ne se posait même pas.

Et Prometheus prend valeur d'exemple (et il prend pour les autres, aussi : le Hannibal au Commencement m'intéressait tellement pas que je n'ai pas été y voir) parce que ce trop plein d'informations finit par abîmer la saga sur laquelle il se branche.



à force de réinteprétations, on peut dire qu'il en a bavé


Et ça ne s'arrange pas avec sa suite, Alien Covenant. Vous allez me dire que je pouvais m'estimer prévenu avec Prometheus, et en effet, j'ai résisté et freiné des quatre fers. Et puis j'ai fini par m'infliger le machin. Pour savoir.

Et je crois que le constat est sans appel : la mythologie Alien est toute pétée, maintenant.

Alors c'était quoi, sur le fond, la mythologie Alien ? Ça se résumait à un schéma simple : l'homme civilisé tombe au fin fond de l'univers sur une créature irréductible, avec laquelle il lui est impossible de communiquer, et qui va le détruire ou en tout cas le mettre à l'épreuve. C'est le pendant dark de 2001 et de Solaris, en un sens. L'alien prend la place des grands monstres des mythologies anciennes, celle des cyclopes, hydres et autres géants du gel, c'est une force de la nature, devant laquelle l'homme ne peut que fuir ou s'incliner. Chaque fois qu'il tente d'en nier la force, ou de la dompter, cela lui saute à la figure. Le côté mystérieux de la bête lui donne une aura quasi divine, celle de la foudre de Zeus qui s'abat sur l'hubris des hommes. Et surtout, elle échappait à tout manichéisme, elle avait un caractère viscéral. La créature n'était pas malveillante en soi, elle se nourrissait, défendait son territoire, parasitait aussi, mais ce n'était qu'un processus fondamentalement naturel. Elle était mythologique comme nous avons mythologisé le requin blanc, le lion ou le grand méchant loup. Elle se comportait comme un révélateur, un symbole de notre petitesse, qui faisait parfois de surcroît ressortir notre mesquinerie humaine ou, au contraire, notre héroïsme.

Avec Prometheus, Scott tentait d'élargir le cadre, de donner un mythe de création à sa mythologie. Le problème, c'est que ce mythe de création était tout moisi et se vaudrait dans un créationnisme SF pas très original ni très bien mené. Et résoudre le mystère de l'alien pour en faire une sorte d'arme biologique, même si l'idée pouvait sembler séduisante à la base, c'était anéantir l'argument des films d'origine : une bonne partie des ennuis rencontrés par les hommes viennent du fait qu'il s'aventurent sur le territoire de la créature (ou qu'ils l'invitent sur le leur) dans le but justement d'en faire une ressource militarisable. Et c'est là que se tient précisément leur péché : cette force naturelle est trop grande pour eux, elle leur échappe fatalement et les détruit. Si l'alien est une arme à la base, cette considération tombe d'elle-même, et de prométhéens, ces frankenstein deviennent juste des manches, exactement comme les scientifiques de l'expédition Prometheus, d'ailleurs.

Dans Covenant, Scott tente autre chose. Il tente d'introduire un diable dans sa mythologie. David l'androïde est porteur de tout un tas de notions intéressantes, il se retourne contre les créateurs de ses créateurs et tente de se faire créateur lui-même. Dans une perspective gnostique, ça pourrait être complètement fascinant (ces cascades de puissances gigognes évoquent les constructions les plus alambiquées de la gnose valentinienne) sauf que… Que rien n'est creusé.

Vous reprendrez bien un peu de rate de cosmonaute marinée ?


Et même si, sans aller jusqu'à des interprétations gnostiques, on a une figure purement satanique avec David… Eh bien ça ne marche pas très bien. Oui, il est le serpent en Eden, il corrompt l'œuvre des créateurs, mais… Mais c'est laborieux. Oui, il est tentateur (et la scène "I'll do the fingering" avec son double Walter est… on ne sait pas si c'est de l'humour involontaire, en fait). Et les symboles sont à deux balles.

Symbole, David cite Byron (non, Shelley) en déchaînant l'apocalypse. Mais ce qui amène à la scène est renvoyé à un court-métrage promotionnel, lui ôtant la moitié de son impact.

Symbole, David se coupe les cheveux (pas de blague sur Jean-Louis, résister… résister… argh, trop tard), sauf que c'est l'autre androïde, Walter, qui cicatrise et pourrait avoir du coup les cheveux qui poussent. Mais là, ça n'a pas de sens, et le fait que Walter cicatrise ne sert qu'à en fait qu'à une chose : donner un indice du twist final, le fait qu'il faille soigner l'androïde remonté à bord, ce qui montre donc que c'est David, mais cette jolie astuce est sabotée par le côté très démonstratif de la scène au-dessus de l'hibernacle.

Et ainsi de suite. Le fait que le capitaine soit croyant n'est jamais exploité (alors que face à une figure d'ange rebelle, ça aurait pu donner un truc), les deuils respectifs des personnages ne vont pas au-delà du cliché et ne devienne pas une force de motivation derrière face à une image de la Mort que pourrait dès lors représenter l'alien. Mais cette piste symbolique-là n'est pas explorée, et la bête n'est plus qu'une bestiole dont on se débarrasse en deux coups de cuiller à pot.

Les tensions sexuelles nées de la biologie de l'alien et exploitées tout au long de la saga sont ici réduites à une scène de douche qui du coup semble vulgaire et convenue.

Film pas déplaisant visuellement, Covenant échoue à poser ce que son titre suggère : un nouveau pacte entre l'artiste et ses spectateurs. Avec ce film dont tous les rebondissement sont prévisibles, il casse toutes les bonnes raisons qui pouvaient créer chez le public un besoin d'aller voir le film, sans pour autant créer de passerelles cohérentes entre les deux pans de la saga, la tétralogie initiale et ces préquelles inutiles. En voulant développer la mythologie, il l'a perdue de vue. En créant un diable, fut-ce plus innocent, par delà le bien et le mal, que franchement malveillant, il en détruisait l'économie fondamentale. Le résultat est faisandé.

Après, l'aspect spatial est tout pourri, la technologie du truc n'a aucun sens, l'atterrissage forcé est débile, les aspects technologiques servent de rustines de scénar, etc. Mais bon, on n'est limite plus à ça près. Dommage, le vaisseau avait de la gueule.

Mais ce diptyque est révélateur d'un mal autre et plus profond. Alien n'a pas été créé par Ridley Scott, mais par Dan O'Bannon. à la limite, ça aurait été à ce dernier de nous donner les clés de son univers s'il avait été besoin de les donner (bon, le pauvre est mort il y a une dizaine d'années). Que Scott s'approprie un univers dont il n'a fait que poser la première pierre que sur le plan visuel (et encore, en récupérant la dream team de designers réunie par Jodo pour son Dune avorté) (je trolle un peu, là : je sais qu'à l'époque, Scott est un immense réalisateur visionnaire, qui sort du formidable Duellistes et va bientôt accoucher de Blade Runner). Mais autant George Lucas peut avoir une légitimité à sagouiner son propre univers, autant Alien n'est pas l'univers de Scott. Il n'en était qu'un exécutant à la base, comme Moebius, Giger, Foss et Cobb à l'époque, puis Cameron et Fincher par la suite. Une sage femme, en un sens. Le voir s'improviser démiurge, même si c'est raccord thématiquement avec Covenant, c'est problématique. On est pile dans la dérive du réalisateur vu comme seul auteur du film, ce qui en écrase l'aspect purement collaboratif. Quand en plus ce réalisateur se mêle de scénario alors que ça n'a jamais été son point fort, et est peut-être rincé créativement parlant, ça finit par faire de gros dégâts.




* et

Commentaires

Zaïtchick a dit…
C'est vrai, un film est une création collective. Et c'est très français de considérer que le réalisateur est le seul créateur. "Je remercie l'équipe..."
Manticore a dit…
Outre que ça commence par un long et filandreux remake du premier Alien (qui ne sert pas à grand-chose) et bâcle en péteux la conclusion de Prometheus (mais ça, comme le changement de titre qui reprend l'estampille Alien montre juste que Scott a compris, sublime intelligence du portefeuille, que son Prometheus ne lui assurerait pas les entrées qu'Alien assure encore, malgré ses déprédations), le film est prévisible de bout en bout (et pourtant il ne tient pas deux bouts!) et est parti en live on ne sait pas trop vers où – y a forcément encore au moins un volet pour tenter un funambulesque raccord avec le premier film. Et en fait, on s'en fout. Néanmoins, j'ai trouvé cette livraison moins absolument abrutie que Prometheus, dont la stupidité abyssale le classe un peu au-dessous de Starcrash en cohérence de scénario et rigueur scientifique.

Posts les plus consultés de ce blog

My mama said to get things done...

Je suis passé à Aurore Système, petit salon de SF organisé à Ground Control, à Paris, par la librairie Charybde. Je ne connaissais pas le lieu, que j'ai découvert et qui est très chouette. Je venais surtout pour une table ronde sur l'IA, qui est un des sujet importants de nos jours et déchaîne les passions, surtout sous sa forme "générative", les chat GPT, Midjourney et autres. Je me suis tenu un peu à l'écart de ces trucs-là, pour ma part. Je suis très méfiant (même s'il m'est arrivé d'employer Deep-L professionnellement pour dégrossir des traductions du français vers l'anglais, que je retravaillais en profondeur ensuite), parce que l'ai bien conscience du processus et des arrières pensées derrière. J'en ai déjà causé sur ce blog, ici et ici .  La table ronde réunissait trois pointures, Olivier Paquet, Catherine Dufour et Saul Pandelakis, qui ont écrit sur le sujet, et pas mal réfléchi. Lors des questions qui ont suivi, on a eu aussi une...

Un bouquin pour les gouverner tous

  Tiens, j'en avais pas encore causé parce que j'attendais que ce soit officialisé, mais le prochain Pop Icons portera ma signature et sur J.R.R. Tolkien (oui, je tente le zeugme acrobatique, je suis comme ça). Comme pour mon précédent, consacré à H.P. Lovecraft, il y aura une campagne de financement participatif , mais  on pourra aussi le trouver en kiosque et en librairie d'ici la fin du mois prochain. Je suis un peu moins pointu à la base en Tolkien qu'en Lovecraft, mais j'ai fait mes devoirs pour l'occasion, découvrant pas mal de trucs que je n'avais pas lus jusqu'alors, notamment ses correspondances. Voilà, foncez, pour Eorlingas, la Comté et tout le reste !    

De géants guerriers celtes

Avec la fin des Moutons, je m'aperçois que certains textes publiés en anthologies deviennent indisponibles. J'aimais bien celui-ci, que j'ai sérieusement galéré à écrire à l'époque. Le sujet, c'est notre vision de l'héroïsme à l'aune de l'histoire de Cúchulainn, le "chien du forgeron". J'avais par ailleurs parlé du personnage ici, à l'occasion du roman que Camille Leboulanger avait consacré au personnage . C'est une lecture hautement recommandable.     Cúchulainn, modèle de héros ? Guerrier mythique ayant vécu, selon la légende, aux premiers temps de l’Empire Romain et du Christianisme, mais aux franges du monde connu de l’époque, Cúchulainn a, à nos yeux, quelque chose de profondément exotique. En effet, le « Chien du forgeron » ne semble ni lancé dans une quête initiatique, ni porteur des valeurs que nous associons désormais à l’héroïsme. Et pourtant, sa nature de grand héros épique demeure indiscutable, ou en tout cas...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Sweet sixteen

Bon, ayé, nous voilà en 2016, donc tous mes vœux à tous. Et comme bonne résolution de nouvel an, et comme les années précédente, j'ai pris la résolution de ne pas prendre de bonnes résolutions. Parce que primo on ne les tient pas, et secundo on a mauvaise conscience de ne pas les tenir, donc c'est doublement contre-productif. Hier soir, pour le réveillon, il a fallu que je me démerde pour servir un truc sympa un peu au débotté, à l'arrache, avec ce que j'ai pu dénicher à la supérette du coin, préalablement pillée par d'autres retardataires juste un peu moins retardataires que moi. Déjà qu'ils n'ont pas des masses de choix en temps normal, là c'était un peu le Sud Soudan. Donc outre les entrées basiques, petits canapés agrémentés de garnitures sympas, j'ai préparé un truc un peu nouvelle cuisine, dont l'idée mes venue en furetant dans le rayon (bon, si ça se trouve, ça existe déjà, mais j'ai trouvé le truc, de mon côté, en faisant un jeu...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

Le diable dans les détails

 La nouvelle série Daredevil, Born Again vient de commencer chez Disney, reprenant les mêmes acteurs que l'ancienne et développant des choses intéressantes, pour ce qu'on en voit jusqu'ici, faisant évoluer la relation entre Fisk et Murdock, le Kingpin étant désormais traité sous un angle plus politique, avec quelques coups de pieds de l'âne envers Trump et ses thuriféraires, ce qui après tout est de bonne guerre. J'étais un peu passé à côté de la vieille série, dont je n'avais pas vu grand-chose, mais je j'ai tranquillement rattrapé ces derniers temps, la réévaluant à la hausse.   Du coup, ça m'a surtout donné envie de me remettre aux comics. Daredevil, c'est un personnage que j'ai toujours bien aimé. Je me suis donc refait tous les Miller en une petite semaine. Hormis quelques épisodes, je n'avais pas relu ça d'un bloc depuis une bonne dizaine d'années. Ça reste un des runs fondamentaux sur le personnage, et tout ce qui vient après...

Numérologie

Tous les auteurs, je crois, ont leur petites coquetteries et afféteries d'écriture, des trucs auxquels ils tiennent et qui ne fascinent généralement qu'eux, et que personne ne remarque vraiment.   Bon, tout le monde a remarqué mes titres alambiquées sur la trilogie du Chien Noir , en allitération, reprenant la première phrase de chaque roman. C'était pour moi un moyen de me glisser dans des formes très anciennes, des codes de l'épopée, même si, fondamentalement, je ne sais pas si ces textes constituent en soi des épopées. Ils ont quelques moments épiques, je crois, mais ce n'en est pas la clé principale. Plus discret, il y a un jeu numérologique qui a émergé en cours de route. Mais reprenons : Trois Coracles, au départ, était conçu comme un one shot . Ce qui m'avait motivé, je l'ai déjà raconté, c'était l'histoire d'Uther, j'avais l'idée de transformer cette note en bas de page du récit arthurien en intrigue principale. Une fois le roman...

We have ignition !

Ayé, je viens de recevoir au courrier un exemplaire de Cosmonautes ! les Conquerants de l'Espace , mon dernier bouquin en date. L'on y explore deux mille ans et plus de projections vers le firmament, et c'est chez les Moutons électriques, excellent éditeur chez qui j'avais déjà commis Mythe & Super-Héros , Apocalypses ! une brève histoire de la fin des temps ainsi que diverses petites choses dans la revue Fiction .    Le mois prochain, vous pourrez aussi me retrouver dans le Dico des Créatures Oubliées , aux côtés de gens fort estimables comme Patrick Marcel, André-François Ruaud, Xavier Mauméjean ou Richard D. Nolane, et j'en passe. Ça sortira le 2 octobre, toujours chez les Moutons électriques.