Accéder au contenu principal

Débris

Non, par ce titre, je ne voulais pas parler de nos sénateurs qui prévariquent comme des gorets, mais tout simplement poursuivre, comme promis, ce que j'ai commencé cet été dans ce post : publier de vieilles nouvelles qui dormaient dans mes tiroirs. Celle-ci a vingt ans et est totalement inédite. J'y repensais dernièrement, parce qu'une expression tapée dans mon prochain bouquin faisait vaguement écho à certains trucs que je développais dans ce texte. Oh, à la relecture, il me semble maladroit, et la symbolique un peu assénée avec des moufles. J'ai résisté à la tentation de l'amender, et je vous le livre tel quel.



Débris

“Il y eut tempête d’épées et nourriture de corbeaux.”
Saga de Grettir


La neige était souillée de sang.

Deux corbeaux tournoyaient au dessus de la plaine. Les yeux mi-clos, Eghill contemplait leurs évolutions complexes. Qui connaît les tours et les détours de la pensée, et ceux de la mémoire ? Car tels étaient leurs noms, Huggin et Munnin, les yeux d’Odin parcourant le monde… L’un d’entre eux - Munnin ? - se posa à ses pieds.

Eghill tenta de se redresser mais n’y parvint pas. La lance qui l’avait transpercé lui avait ôté l’usage des jambes. Il ne ressentait aucune douleur, pourtant. Pas même de gène. Il regardait le corbeau, tentait de le comprendre. Mais le regard noir de l’oiseau n’offrait pas de prise à ses interrogations. Munnin picorait ici et là, gobant un oeil ou arrachant un lambeau de chair.

Suivant les corbeaux, des pillards se glissaient entre les corps, achevant les blessés pour leur prendre leurs armes ou leurs ceintures ouvragées. Il y avait là des Saxons autant que des Danois, réconciliés dans leur sinistre besogne, parfois se disputant un casque ou une fibule d’acier. Eghill savait que l’un d’eux viendrait s’emparer du médaillon et se préparait à se défendre, à mériter sa place dans les halles d’Odin. Mais son bras était désormais trop faible pour brandir le glaive ; Eghill perdait trop de sang. Peut-être le pillard n’aurait-il même pas à le tuer…

- Je te salue, Eghill Skaldaspillirson.

Eghill leva péniblement la tête vers l’arrivant. Il avait parlé en Danois, mais portait le costume fourré des Saxons d’Angleterre. L’homme s’accroupit au pieds du blessé et commença à l’examiner.

- Je n’y survivrai pas, je le sais.

- C’est ce qu’il me semble, mon frère. Et tu as quelque chose qui dès lors me revient.

Eghill frémit. Ainsi, le médaillon resterait dans la famille, à défaut de rester dans le clan.

- Pourquoi le veux-tu, banni ? Quelle valeur saurait-il avoir pour un homme chassé de ses terres, déchu de son nom ?

- Déchu de son sang, c’est cela que tu veux dire, Eghill ?

- Je ne le crois pas. Même combattant sous la livrée des Saxons honnis tu demeure mon frère, Brodir.

Une clameur retentit au loin. Brodir se redressa et jeta un coup d’oeil derrière lui, puis se tourna à nouveau vers son frère.

- Sache que c’est ton camp qui a gagné, Eghill. Les saxons sont en déroute.

Eghill tenta à grand peine d’esquisser un sourire.

- Mais c’est toi, le vaincu, qui te tiens debout malgré la défaite honteuse. Moi, je soupe ce soir chez Odin.

Sa poigne se desserra et il laissa tomber son épée. Le corbeau vint se poser sur la garde et le regarda d’un œil critique. Brodir tenta de le chasser du revers de la main, mais l’oiseau resta là, impassible.

Un cavalier passa au loin, brandissant un étendard à tête de dragon. Un Franc, peut-être, sans qu’on sache ce qu’il pouvait venir faire là, ou un Danois exhibant une prise de guerre. Brodir passa la main sur le front brûlant de son frère.

- Il est triste que ce soir nous ayons combattu dans des camps ennemis. La guerre est un jeu martial tant que le frère ne se dresse pas contre le frère. Là, elle se fait sombre et porteuse de mauvais présages.

- Les frères ressentaient-ils de la haine en combattant, Brodir ?

- Non. Je prie Odin que non.

- Alors elle n’est que jeu, comme l’étaient nos batailles dans le fjord. Qui l’a emporté, cette fois ?

- Je te l’ai dit… Ton camp… Non, pardonne-moi.

- Tu m’as compris. Le médaillon de Skaldaspillir, qu’il tenait de Skirnir, reviendra au dernier de ses fils.

- Un fils qui l’a renié.

- Le médaillon reviendra à son meurtrier. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi, finalement… Brodir. Mon frère.

Eghill ferma les yeux et se détendit. Son frère le veilla quelques instants, puis prit le médaillon. Il se releva et s’éloigna à pas lents. Le corbeau le suivit à peu de distance. On aurait cru qu’il se lasserait vite, mais quand Brodir atteignit les collines l’oiseau était toujours là.


Commentaires

CathyB a dit…
Très belle ambiance, j'aime beaucoup. Merci pour cet easter egg d'automne.
Anonyme a dit…
Du "goret" comme s'il en pleuvait avant Halloween ? https://fr.news.yahoo.com/carrie-fisher-réponse-vache-à-producteur-harcelé-sexuellement-094717782.html
Bettymood a dit…
Sang frère, ascenseur ou escalier, marcher droit, pour rester humain et/ou guerrier ? Quelle morale se hisse ? Quelles causes incitent au combat, nourrissent les machines quand sans mains nues ni cervelle le corps (social) fonctionne sans tête ? Sans tête le frère qui sait clone docile qui prend les cent sœurs dolls pussy les traîtres du côté obscur sont-ils aux commandes des machines ou leur propre adn nourrissent-ils? Sans end.

Inside la bible dès script doctors, lucides authors, qui conduit la limousine si l'étoile marche, seule sans Sang frère, ascenseur ou escalier, marcher droit, pour rester humain et/ou guerrier ? Quelle morale se hisse ? Quelles causes incitent au combat, nourrissent les machines quand sans mains nues ni cervelle le corps (social) fonctionne sans tête ? Sans tête le frère qui sait clone docile qui prend les cent sœurs dolls pussy les traîtres sont-ils aux commandes des machines ou leur propre adn nourrissent-ils? Sans end.

A nos propres vieux écrits comme on en a déjà retrouvé un, dans un recueil de nouvelles d'un Werber trop connu pour être ?
Berverly Hills Fisher, guerre des étoiles, d'actrice a scénariste pas comicToon character ni invader en exil sans Sister Act

Posts les plus consultés de ce blog

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...