Toutes les quelques années, il m’arrive de m’infliger un séjour sur les bancs d’une église, soit à l’occasion d’un enterrement, soit à celui d’un mariage. Cette fois-ci, c’était mariage, une occasion plus agréable, et comme dans ce dernier cas on n’a pas trop l’esprit occupé par la tristesse ou le regret (à moins d’avoir été à un moment où à un autre vaguement amoureux de la mariée, ce qui n’était pas le cas ici), on a le temps de prendre la mesure du temps qui passe et des caractéristique de ce lieu si peu familier pour les gens qui comme moi font profession d’hérésie.
Assis sur mon banc, j’avais donc tout loisir d’observer ce qui m’entourait. Dans une église, je suis toujours frappé par le côté bric-à-brac, l’empilement de couches de significations qui se matérialisent sous la forme d’objets non pas du culte, mais de la dévotion, ce qui n’est pas tout à fait (je crois) la même chose. Démultiplication des statues de la vierge (en contemplation, à l’enfant, ou tout autres systèmes de signes associés à la représentation de la Vierge), portraits de papes aux couleurs plus ou moins fanées selon le millésime, ex votos et tableaux naïfs, mobilier reprenant à son compte l’esthétique des flèches ouvragées des cathédrales.
Le tout, même le bois polychrome, se trouve noyé dans une couche de grisaille qui n’est pas le seul fait de la poussière, pourtant omniprésente. Il y a là, à l’œuvre, quelque chose de bien plus essentiel. L’ouverture ogivale est taillée et conçue pour laisser déferler la lumière, mais encore faut-il que le soleil se montre, qu’il se présente sous le bon angle et darde ses rayons au bon moment. Or, l’horaire des messes ne saurait se plier aux caprices de la météo ni à la lente dérive de l’heure solaire par rapport à l’heure des hommes. Et puis il faut dire que vouloir faire du pseudo gothique, mais le réaliser en granit noir n’aide pas à la bonne répartition des lumières dans le bazar. Cette tension vers le haut et la lumière, mais renvoyée dans les cordes par les contingences de ce genre, c’est peut-être la métaphore la plus achevée de l’église qu’il m’ait été donné de voir à ce jour.
Ayant fait le tour du décor, je peux me concentrer à présent (s’il est possible de se concentrer au rythme bizarre des veuillez vous lever, veuillez vous asseoir, relevez-vous, assis, et ça chante, et ça parle, et ça psalmodie) sur l’environnement sonore. Il va de soi que des génies comme Bach ou Mozart, capable de transcender la liturgie, ne courent pas les rues et qu’on ne saurait les mettre à contribution à tout coup. Le problème, c’est que le reste du temps, la musique et la pauvre psalmodie demeurent très plates. Pis encore, si le cantique est censé être un chant, je trouve assez dommage qu’il n’ait aucune rime ni métrique, et que les répétitions abondent sans toujours être justifiées par les formes antiques indiquant la majesté. Mais là encore, le sacré ne saurait sans doute se plier aux basses règles de l’esthétique humaine et de la prosodie, ce serait le rabaisser, donc tant qu’à le rabaisser, autant le faire uniquement par le truchement de la seule médiocrité humaine, au moins c’est symboliquement cohérent.
La pulsion esthétique peut (à bon droit, si l’on en croit certains penseurs médiévaux et autres Pères de l’Eglise) être vue comme une tentation satanique pour l’homme de s’élever au-dessus de sa condition, une forme de tour de Babel. A moins d’assimiler Dieu à un principe d’esthétique à l’échelle universelle, mais ce serait se vautrer dans un mysticisme qui n’est pas encouragé par le cadre. C’est dommage, parce que ce Dieu esthétique de certains mystiques me semble plus noble que le vengeur grondant qui se préoccupe de ce que vous mangez et dans quoi et comment vous trempez votre biscuit. Sous d’autres latitudes, certains soufis semblent pourtant l’avoir parfaitement compris, et des mecs comme Nusrat Fateh Ali Khan (pour citer l’un des plus connus) auraient de leçons de psalmodie à donner à ces dames patronnesses et au curé, dont le sourire évoquant celui du High Sparrow avait tendance, je ne sais pourquoi) (en fait je sais mais je ne veux pas spoiler ceux qui auraient du retard dans certaine série) à me mettre légèrement mal à l’aise.
Je parlais plus haut de bric-à-brac, et l’impression est confirmée par le cœur de l’événement : l’ostentation des espèces de l’Eucharistie. De base, le Christianisme se résume d’un point de vue purement rituel à ce seul sacrement, en dehors de celui, initiatique, de l’entrée dans la communauté qu’est le baptême, et à la prière dite du Notre Père. Ce sont les seules choses instituées par Jésus (avec éventuellement le lavement des pieds, mais c’est peut-être une parabole, de la prophétie en acte comme on en trouve traditionnellement chez Ezéchiel et d’autres), tout le reste n’arrivant qu’ensuite, essentiellement via Saint Paul qui a un peu reformaté et codifié tout le bouzin.
Sur le fond, c’est pourtant simple, le partage du pain et du vin étant une Communion assez classique (comme les banquets de cheval des anciens Scandinaves ou la consommation rituelle d’amanite tue-mouche en Sibérie) renvoyant d’une part au droit le plus sacré du monde Antique, celui de l’hospitalité, et le métaphorisant pour en faire un symbole communautaire, celui des ceux que le Christ accueille en sa demeure. C’est un très beau symbole, et au départ, tout chrétien pouvait semble-t-il donner la communion, tout comme tout chrétien pouvait baptiser le nouveau converti. Ce n’est qu’après, comme je le disais, qu’ont été institués les diacres, vicaires, évêques et tout ce bric-à-brac de hiérarchies et de protocoles qui ne font qu’éloigner le fidèle des notions de base, celles qui sont répétées dans le Credo mais jamais explicitées par ailleurs, parce qu’elles constituent une axiomatique, et que revenir dessus ne ferait que les rabaisser. Trop d’église tue l’église, et le fait que Vatican II demande désormais à l’officiant de faire face à ses ouailles plutôt qu’au chœur n’y change sans doute pas grand-chose.
Mais tout est là pour maquiller l’archaïsme originel de certaines notions. L’Eucharistie, rituel d’hospitalité, dont le sens est confisqué par la hiérarchie comme l’est le vin de la coupe. Et dans le Credo, la notion pourtant centrale du sacrifice, qui n’est plus soutenue par l’appareillage rituel du vieux fond judaïque (et plus globalement antique) et ne repose donc plus sur rien, puisque l’appareillage éthique a entretemps changé : le sacrifice humain, fusse-t-il celui d’un homme-dieu, est incompatible avec le concept de Dieu d’amour (et les Chrétiens se sont si tôt coupés de leurs racines qu’ils n’ont pas compris, ou refusé de comprendre, que si sacrifice rédempteur il y a, alors c’est forcément de la pendaison de Judas qu’il s’agit, c’est la seule construction qui puisse être cohérente avec les anciens rites du Judaïsme du Temple).
Du coup, tout comme d’ailleurs le rituel de la messe, je me retrouve le cul entre deux chaises : mon passif et ma formation me conduisent à porter ma préférence sur deux manières contradictoires de concevoir le fonctionnement de la liturgie chrétienne.
Soit en l’épurant et en allant vers la sécheresse austère des Protestants, qui a le mérite de se débarrasser du bric-à-brac et devrait permettre d’aller à l’essentiel (spoiler : en fait, ça ne marche pas non plus, parce que ça n’arrive pas pour autant à dégager une esthétique du simple), soit en acceptant la démesure rituelle et ostentatoire du rite grec, qui essaie de transcender le bazar en assumant complètement l’écrasement du fidèle par la magnificence (mais faut vraiment aimer le bric-à-brac clinquant poussé jusqu’aux extrémités les plus lointaines du baroque). Avec son entre-deux poussif, le rite romain m’évoque ce passage de l’Apocalypse : « Parce que tu es tiède, je te vomirai de Ma bouche ».
Plutôt que l’amour de Dieu, voilà les réflexions que fait naître en moi le déroulement de la messe, ce qui n’est pas, en principe, le but de tout ce cérémonial. Je dois pas être taillé pour ça, la greffe ne prend jamais. Je me dis que si jamais me venait une pulsion du genre faire mon retour à Dieu, il suffira d’une messe pour m’en guérir.
Assis sur mon banc, j’avais donc tout loisir d’observer ce qui m’entourait. Dans une église, je suis toujours frappé par le côté bric-à-brac, l’empilement de couches de significations qui se matérialisent sous la forme d’objets non pas du culte, mais de la dévotion, ce qui n’est pas tout à fait (je crois) la même chose. Démultiplication des statues de la vierge (en contemplation, à l’enfant, ou tout autres systèmes de signes associés à la représentation de la Vierge), portraits de papes aux couleurs plus ou moins fanées selon le millésime, ex votos et tableaux naïfs, mobilier reprenant à son compte l’esthétique des flèches ouvragées des cathédrales.
Le tout, même le bois polychrome, se trouve noyé dans une couche de grisaille qui n’est pas le seul fait de la poussière, pourtant omniprésente. Il y a là, à l’œuvre, quelque chose de bien plus essentiel. L’ouverture ogivale est taillée et conçue pour laisser déferler la lumière, mais encore faut-il que le soleil se montre, qu’il se présente sous le bon angle et darde ses rayons au bon moment. Or, l’horaire des messes ne saurait se plier aux caprices de la météo ni à la lente dérive de l’heure solaire par rapport à l’heure des hommes. Et puis il faut dire que vouloir faire du pseudo gothique, mais le réaliser en granit noir n’aide pas à la bonne répartition des lumières dans le bazar. Cette tension vers le haut et la lumière, mais renvoyée dans les cordes par les contingences de ce genre, c’est peut-être la métaphore la plus achevée de l’église qu’il m’ait été donné de voir à ce jour.
Ayant fait le tour du décor, je peux me concentrer à présent (s’il est possible de se concentrer au rythme bizarre des veuillez vous lever, veuillez vous asseoir, relevez-vous, assis, et ça chante, et ça parle, et ça psalmodie) sur l’environnement sonore. Il va de soi que des génies comme Bach ou Mozart, capable de transcender la liturgie, ne courent pas les rues et qu’on ne saurait les mettre à contribution à tout coup. Le problème, c’est que le reste du temps, la musique et la pauvre psalmodie demeurent très plates. Pis encore, si le cantique est censé être un chant, je trouve assez dommage qu’il n’ait aucune rime ni métrique, et que les répétitions abondent sans toujours être justifiées par les formes antiques indiquant la majesté. Mais là encore, le sacré ne saurait sans doute se plier aux basses règles de l’esthétique humaine et de la prosodie, ce serait le rabaisser, donc tant qu’à le rabaisser, autant le faire uniquement par le truchement de la seule médiocrité humaine, au moins c’est symboliquement cohérent.
La pulsion esthétique peut (à bon droit, si l’on en croit certains penseurs médiévaux et autres Pères de l’Eglise) être vue comme une tentation satanique pour l’homme de s’élever au-dessus de sa condition, une forme de tour de Babel. A moins d’assimiler Dieu à un principe d’esthétique à l’échelle universelle, mais ce serait se vautrer dans un mysticisme qui n’est pas encouragé par le cadre. C’est dommage, parce que ce Dieu esthétique de certains mystiques me semble plus noble que le vengeur grondant qui se préoccupe de ce que vous mangez et dans quoi et comment vous trempez votre biscuit. Sous d’autres latitudes, certains soufis semblent pourtant l’avoir parfaitement compris, et des mecs comme Nusrat Fateh Ali Khan (pour citer l’un des plus connus) auraient de leçons de psalmodie à donner à ces dames patronnesses et au curé, dont le sourire évoquant celui du High Sparrow avait tendance, je ne sais pourquoi) (en fait je sais mais je ne veux pas spoiler ceux qui auraient du retard dans certaine série) à me mettre légèrement mal à l’aise.
Je parlais plus haut de bric-à-brac, et l’impression est confirmée par le cœur de l’événement : l’ostentation des espèces de l’Eucharistie. De base, le Christianisme se résume d’un point de vue purement rituel à ce seul sacrement, en dehors de celui, initiatique, de l’entrée dans la communauté qu’est le baptême, et à la prière dite du Notre Père. Ce sont les seules choses instituées par Jésus (avec éventuellement le lavement des pieds, mais c’est peut-être une parabole, de la prophétie en acte comme on en trouve traditionnellement chez Ezéchiel et d’autres), tout le reste n’arrivant qu’ensuite, essentiellement via Saint Paul qui a un peu reformaté et codifié tout le bouzin.
Sur le fond, c’est pourtant simple, le partage du pain et du vin étant une Communion assez classique (comme les banquets de cheval des anciens Scandinaves ou la consommation rituelle d’amanite tue-mouche en Sibérie) renvoyant d’une part au droit le plus sacré du monde Antique, celui de l’hospitalité, et le métaphorisant pour en faire un symbole communautaire, celui des ceux que le Christ accueille en sa demeure. C’est un très beau symbole, et au départ, tout chrétien pouvait semble-t-il donner la communion, tout comme tout chrétien pouvait baptiser le nouveau converti. Ce n’est qu’après, comme je le disais, qu’ont été institués les diacres, vicaires, évêques et tout ce bric-à-brac de hiérarchies et de protocoles qui ne font qu’éloigner le fidèle des notions de base, celles qui sont répétées dans le Credo mais jamais explicitées par ailleurs, parce qu’elles constituent une axiomatique, et que revenir dessus ne ferait que les rabaisser. Trop d’église tue l’église, et le fait que Vatican II demande désormais à l’officiant de faire face à ses ouailles plutôt qu’au chœur n’y change sans doute pas grand-chose.
Mais tout est là pour maquiller l’archaïsme originel de certaines notions. L’Eucharistie, rituel d’hospitalité, dont le sens est confisqué par la hiérarchie comme l’est le vin de la coupe. Et dans le Credo, la notion pourtant centrale du sacrifice, qui n’est plus soutenue par l’appareillage rituel du vieux fond judaïque (et plus globalement antique) et ne repose donc plus sur rien, puisque l’appareillage éthique a entretemps changé : le sacrifice humain, fusse-t-il celui d’un homme-dieu, est incompatible avec le concept de Dieu d’amour (et les Chrétiens se sont si tôt coupés de leurs racines qu’ils n’ont pas compris, ou refusé de comprendre, que si sacrifice rédempteur il y a, alors c’est forcément de la pendaison de Judas qu’il s’agit, c’est la seule construction qui puisse être cohérente avec les anciens rites du Judaïsme du Temple).
Du coup, tout comme d’ailleurs le rituel de la messe, je me retrouve le cul entre deux chaises : mon passif et ma formation me conduisent à porter ma préférence sur deux manières contradictoires de concevoir le fonctionnement de la liturgie chrétienne.
Soit en l’épurant et en allant vers la sécheresse austère des Protestants, qui a le mérite de se débarrasser du bric-à-brac et devrait permettre d’aller à l’essentiel (spoiler : en fait, ça ne marche pas non plus, parce que ça n’arrive pas pour autant à dégager une esthétique du simple), soit en acceptant la démesure rituelle et ostentatoire du rite grec, qui essaie de transcender le bazar en assumant complètement l’écrasement du fidèle par la magnificence (mais faut vraiment aimer le bric-à-brac clinquant poussé jusqu’aux extrémités les plus lointaines du baroque). Avec son entre-deux poussif, le rite romain m’évoque ce passage de l’Apocalypse : « Parce que tu es tiède, je te vomirai de Ma bouche ».
Plutôt que l’amour de Dieu, voilà les réflexions que fait naître en moi le déroulement de la messe, ce qui n’est pas, en principe, le but de tout ce cérémonial. Je dois pas être taillé pour ça, la greffe ne prend jamais. Je me dis que si jamais me venait une pulsion du genre faire mon retour à Dieu, il suffira d’une messe pour m’en guérir.
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