Comme j'en parlais dernièrement, je me relis ces temps-ci pas mal de Philip K. Dick (sans doute poussé subliminalement par l'émission passée sur Arte y a quelques semaines). Alors que j'ai plein de trucs "à lire" sur ma pile, on pourrait croire que je n'ai pas le temps de replonger dans des choses déjà lues. Mais ce temps, je le prends quand même parfois, parce que c'est aussi une façon de recharger certaines batteries, de s'apercevoir qu'on a tout oublié d'un bouquin, ou d'à quel point tel autre a pu avoir une influence, ou quel chemin l'on a parcouru entretemps, aussi, ce qu'on mesure aux regards divergents qu'on porte à vingt ou vingt-cinq ans d'intervalle sur un même bouquin.
Après, la relecture a un caractère plus directement pratique : quand on relit, on justifie mécaniquement l'entassement de bouquins. Quel besoin de garder des trucs dont on sait qu'on ne les relira jamais ? Alors que s'il existe une chance de remettre le nez dedans... Du coup, je ressemble à ses dragons de conte, vautrés sur leur trésor dont ils appellent chaque pièce par son petit nom. Sauf que mon trésor à moi est en papier, et c'est plus confortable.
Donc, Dick. J'ai remis le nez dans ses bouquins considérés comme mineurs, et dont on sent parfois en effet qu'ils ont été écrits à la va-vite pour payer des traites, comme les Joueurs de Titan, aux concepts épatants, mais à la fin bâclée.
Une chose me frappe, avec plus d'acuité d'ailleurs qu'à l'époque où j'avais lu tout ça une première fois : le décalage temporel. Dick a essentiellement écrit au cours des années 60, et situé l'action de ses bouquins dans un futur proche, c'est à dire dans le courant des années 80 ou au début des années 90, beaucoup plus rarement dans les années 2000 et suivantes. C'est précisément l'époque où je lisais ces trucs, à un moment exactement contemporain de l'action, et qui maintenant se trouve dans le passé depuis près d'un quart de siècle (un peu comme ce qui est arrivé dernièrement à l'octobre 2015 de McFly). L'effet produit, du coup, se rapproche d'une autre œuvre de l'auteur, son célèbre Maître du Haut Château (ça me fait penser que je n'ai vu que le début de la série qui en a été récemment tirée, et qu'il va falloir que je m'y remette), présentant des années 60 alternatives, un présent présentant une déviation par rapport à celui de l'auteur, et devenu maintenant un passé déviant.
Cet aspect-là se plaque donc naturellement sur tous les romans situés nominalement dans les années 80 et 90 : dans un passé d'autant plus révolu qu'il n'a jamais eu lieu. Et ce qui m'a frappé à la relecture, c'est que ce passé a encore un niveau d'épaisseur temporelle de plus. Dick écrit dans les années 60, et ça se sent. C'est un futur des années 60, et il fait un tri entre ce qui est resté familier et ce qui a changé, et en ce sens, certains de ses romans de SF finissent par évoquer ses romans de "littérature générale" comme Confessions d'un Barjo ou Humpty Dumpty à Oakland.
Et de fait, c'est presque à un présent des années 60 que nous sommes confrontés, et surtout à son imagerie. Dans le Dieu venu du Centaure, la poupée Barbie est reine. Dans les Joueurs de Titan, les extraterrestres ont leur propre version du Monopoly (Bilal s'en est-il souvenu dans La Foire aux Immortels ?), dans Simulacres, une pseudo Jackie Kennedy, en apparence immortelle, est devenue la matriarche de fait. Et si les preneurs de son disposent d'enregistreurs bioélectriques à base de protoplasme ganymédien, le microsillons reste l'alpha et l'oméga de la consommation musicale. Les ombres terrifiantes de l'Union Soviétique et de la Chine Populaire continuent à obscurcir l'esprit des américains. Les voitures volantes, copropriétés gigantesques et colons martiens ne sont qu'un décor. Même sur Mars ou après la guerre nucléaire, l'idéal de vie reste celui des compagnies d'assurances des années 50, le pavillon de banlieue avec la famille, le chien et la barrière repeinte en blanc, et pour ceux qui le vivent, l'intolérable ennui qui finit par accompagner ce modèle normatif, et les indigènes aux mœurs de hippies qui constituent un contre-modèle encore séduisant.
C'est donc à un voyage dans le temps d'un genre un peu particulier que nous convient les mânes de Philip K. Dick, et chaque décennie qui passe y ajoute une couche de relecture possible, de signification, de distance potentielle.
Après, la relecture a un caractère plus directement pratique : quand on relit, on justifie mécaniquement l'entassement de bouquins. Quel besoin de garder des trucs dont on sait qu'on ne les relira jamais ? Alors que s'il existe une chance de remettre le nez dedans... Du coup, je ressemble à ses dragons de conte, vautrés sur leur trésor dont ils appellent chaque pièce par son petit nom. Sauf que mon trésor à moi est en papier, et c'est plus confortable.
Donc, Dick. J'ai remis le nez dans ses bouquins considérés comme mineurs, et dont on sent parfois en effet qu'ils ont été écrits à la va-vite pour payer des traites, comme les Joueurs de Titan, aux concepts épatants, mais à la fin bâclée.
Une chose me frappe, avec plus d'acuité d'ailleurs qu'à l'époque où j'avais lu tout ça une première fois : le décalage temporel. Dick a essentiellement écrit au cours des années 60, et situé l'action de ses bouquins dans un futur proche, c'est à dire dans le courant des années 80 ou au début des années 90, beaucoup plus rarement dans les années 2000 et suivantes. C'est précisément l'époque où je lisais ces trucs, à un moment exactement contemporain de l'action, et qui maintenant se trouve dans le passé depuis près d'un quart de siècle (un peu comme ce qui est arrivé dernièrement à l'octobre 2015 de McFly). L'effet produit, du coup, se rapproche d'une autre œuvre de l'auteur, son célèbre Maître du Haut Château (ça me fait penser que je n'ai vu que le début de la série qui en a été récemment tirée, et qu'il va falloir que je m'y remette), présentant des années 60 alternatives, un présent présentant une déviation par rapport à celui de l'auteur, et devenu maintenant un passé déviant.
Cet aspect-là se plaque donc naturellement sur tous les romans situés nominalement dans les années 80 et 90 : dans un passé d'autant plus révolu qu'il n'a jamais eu lieu. Et ce qui m'a frappé à la relecture, c'est que ce passé a encore un niveau d'épaisseur temporelle de plus. Dick écrit dans les années 60, et ça se sent. C'est un futur des années 60, et il fait un tri entre ce qui est resté familier et ce qui a changé, et en ce sens, certains de ses romans de SF finissent par évoquer ses romans de "littérature générale" comme Confessions d'un Barjo ou Humpty Dumpty à Oakland.
Et de fait, c'est presque à un présent des années 60 que nous sommes confrontés, et surtout à son imagerie. Dans le Dieu venu du Centaure, la poupée Barbie est reine. Dans les Joueurs de Titan, les extraterrestres ont leur propre version du Monopoly (Bilal s'en est-il souvenu dans La Foire aux Immortels ?), dans Simulacres, une pseudo Jackie Kennedy, en apparence immortelle, est devenue la matriarche de fait. Et si les preneurs de son disposent d'enregistreurs bioélectriques à base de protoplasme ganymédien, le microsillons reste l'alpha et l'oméga de la consommation musicale. Les ombres terrifiantes de l'Union Soviétique et de la Chine Populaire continuent à obscurcir l'esprit des américains. Les voitures volantes, copropriétés gigantesques et colons martiens ne sont qu'un décor. Même sur Mars ou après la guerre nucléaire, l'idéal de vie reste celui des compagnies d'assurances des années 50, le pavillon de banlieue avec la famille, le chien et la barrière repeinte en blanc, et pour ceux qui le vivent, l'intolérable ennui qui finit par accompagner ce modèle normatif, et les indigènes aux mœurs de hippies qui constituent un contre-modèle encore séduisant.
C'est donc à un voyage dans le temps d'un genre un peu particulier que nous convient les mânes de Philip K. Dick, et chaque décennie qui passe y ajoute une couche de relecture possible, de signification, de distance potentielle.
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