Accéder au contenu principal

Le matin des magiciens, et le soir, et jusqu'à tard dans la nuit

Plus le temps passe, et plus je m'aperçois qu'il y a un truc que j'ai oublié de coller sur ma carte de visite. Sous mes casquettes de traducteur, de scénariste, d'essayiste, de conférencier, je m'aperçois que je suis devenu aussi, et de plus en plus souvent, "consultant en trucs foutraques". Je veux dire, ça a toujours été le cas. Rien qu'un bouquin comme Apocalypses !, "ça a débuté comme ça", aurait pu en dire Céline. C'était la mise au propre et l'extension de notes du même genre que celles que je poste parfois ici, de réflexions sur la croyance et la façon dont elle se transforme vite en rapport au monde et en Weltanschauung (mot très pratique à placer dans les dîner en ville pour faire genre j'ai lu Shopenhauer) (en vrai, je n'ai pas lu Shopenhauer) (et de toute façon, je n'ai que faire des platoniciens, je considère Platon comme une fripouille et, plus généralement, comme une belle saloperie, mais ça nous éloigne de notre sujet). Des notes, j'en accumule sur tout et n'importe quoi, parfois suite à des conversations, parfois suite à des demandes ciblées, parfois par pur vice.

Mon approche des choses, mon côté boulimique de savoir bizarres et ma façon de jongler avec font que depuis vingt ans, il arrive plus ou moins fréquemment qu'on vienne me demander de jouer les Sherpas dans des domaines un peu obscurs du savoir pour en tirer des espèces de fulgurances baroques. Ouais, consultant en trucs foutraques, c'est exactement ça. Rien qu'aujourd'hui, en deux occurrences distinctes et face à trois personnes différentes, j'ai été consulté sur des domaines aussi farfelus que l'architecture extraterrestre (non pas comment bâtir une base habitable sur un monde étranger, non, mais trouver les caractéristiques de constructions fondamentalement non humaines, mais partiellement compréhensibles néanmoins par les malheureux qui y pénètrent), sur la possibilité de créer un équivalent du test de Turing pour déterminer à quel type d'intelligence étrangère l'on peut avoir affaire, et surtout s'il y a une conscience à la clé (avec discussions sur le thème du célèbre test de la tache), sur des notions complexes d'astrophysique pré et post Big Bang (et quelles étaient les limites théoriques à nos connaissances cosmogoniques et pourquoi), sur la motorisation Alcubierre (et la difficulté technique de la chose, reportez-vous à Cosmonautes ! et à mon article dans le numéro 19 de Fiction), sur la pilosité faciale et ses incidence sur le statut social à certaines époques très précises, sur le chapitre 12 de l'Apocalypse de Saint Jean et certains parallèles qu'on peut en tirer avec des mythes eschatologiques divers du Proche Orient, et eschatologiques aux deux bouts du spectre car commencement et fin du monde se répondent très souvent, sur les diverses sortes de chien des enfers répertoriés (du C'hi Du breton au Cerbère grec en passant par tout un tas de bestioles sympathiques aux crocs acérés) et sur diverses modalités de passage vers l'après-vie. (et pour tout autre chose, j'ai passé une partie de la journée à suivre la piste d'un certificat de naissance vieux de plus d'un siècle dans lequel s'est glissé une erreur de dix ans, et qui a généré des interprétations dont certaines sont proprement délirantes)

Ce qui me sidère le plus, ce n'est pas que je sois en mesure de répondre à toutes ces demandes. C'est qu'avec le temps, un certain nombre de personnes s'attendent de façon parfaitement naturelle à ce que je le sois.

Ouais, faut que je rajoute ça la prochaine fois que je me fait des cartes de visites. Alex Nikolavitch, consultant en trucs foutraques. Je trouve que ça claque.


Commentaires

Zaïtchick a dit…
" je considère Platon comme une fripouille et, plus généralement, comme une belle saloperie" Tu peux développer ?
Alex Nikolavitch a dit…
Il y a chez Platon des choses hyper intéressantes sur le plan du rapport au réel (le mythe de la caverne permet de lever un problème philosophique à ce sujet qui traînait depuis Parménide et consorts : "n'est réel sur le fond que ce qui ne change pas, or tout change"). Tout ce qui concerne les archétypes, pour problématique que ça puisse être (admettons un archétype de la justice ou de l'homme droit, mais y a-t-il un archétype de la chaise percée ou un archétype de la limace ?) a produit des choses intéressantes dans la pensée (jusqu'à Jung, Campbell, etc) mais aussi des catastrophes : quand l'Islam a intégré la notion "d'archétype du Livre", ça a totalement sclérosé toute sa réflexion et ouvert la porte à tous les intégrismes.

Le gros problème chez Platon, c'est sa fausse bonne idée du "Gouvernement par les philosophes". Déjà, dit comme ça, ça fait flipper. BHL président, rien que le concept est à se chier sous soi, amoco-cadiz style. mais par ailleurs, primo, ça a conduit Platon à des complaisances vraiment douteuses (son passage en Sicile, où il a été conseiller d'un tyran pas très sympathique, mais aussi ses rapports complexes avec les dictatures athéniennes de la fin de la guerre du Péloponèse) et secundo, sur le fond, ça conduit à l'émergence d'une classe politique professionnelle sur le modèle technocratique. si ça ne te rappelle rien, regarde autour de toi et constate comme moi que la République telle qu'on la pratique de nos jours est platonicienne par essence (la démocratie y est vidée de sa substance, et remplacée par un gouvernement des directeurs de cabinet cooptés par des gens issus des mêmes écoles).

Non, sérieux, sur le plan politique, Platon, c'est pas bon.
Geoffrey a dit…
Mais La République de Platon étant sensée être une utopie, les défauts dont tu parles ( bien tangibles car ce sont les défauts de nos républiques "démocratiques" ) ne sont-ils pas hors-sujets ? ( c'est pas une pique attention, juste le sujet m'interpelle beaucoup et que ça m'intéresse à mort....tout ça va finir en article un jour je le sens ^^ )
Alex Nikolavitch a dit…
Le problème, c'est que non. L'Atlantide de Platon est une utopie. La République, c'est comme le Manifeste du Parti Communiste, c'est un mode d'emploi, un but à atteindre. Et Platon est clair : pour lui, il faut une aristocratie qui tienne le peuple dans l'ignorance pour en assurer l'unité. c'est complètement effrayant. La société idéale de Platon est par nature inégalitaire, et cultive cette inégalité comme une vertu (et sa définition de la justice, qui sous-tend le système, est à l'avenant). Ce que propose Platon, c'est le contraire de la démocratie. et notre démocratie s'appuie sur lui pour se vider de son sens (et les anti-démocrates de nos sociétés carburent sur un logiciel qui est du platon de troisième génération, voir les polémiques autour de l'école et de la perte des valeurs, par exemple)

Et poser l'immortalité de l'âme comme régulateur ultime du truc, comme garde fou, c'est fort de café aussi. Ça se conçoit dans la pensée de l'époque, bien entendu, mais dès lors qu'on déconnecte cette notion, tout le système devient très, très inquiétant.

(et le mépris des arts de création, vus comme nuisibles, et de l'artisanat, vu comme vil, me gêne terriblement) (parce que du coup, on voit bien que l'Enarque, sous une forme ou une autre, est la production logique du système)
Geoffrey a dit…
Merci, ça éclaire déja beaucoup plus ma lanterne (verte ,bien entendu ^^ )
Alex Nikolavitch a dit…
Après, c'est ma lecture de Platon. Y en a sans doute d'autres possibles, mais voilà ce que j'y vois.
Geoffrey a dit…
Certes, mais les arguments et les exemples collent , donc la lecture ne sort pas de nulle part. Après, j'avoue que mon cours de philo à l'unif est loin, n'a pas duré longtemps et pas assez intéressé pour m'y plonger moi-même pmus tard. Par contre les matières à débats, les lectures personnelles argumentées (même celles qui contre-disent une autre lecture), tout ça m'intéresse beaucoup, sans doute parce que je trouve soudain le sujet plus vivant ( ce qui est purement subjectif, j'en conviens : je me plonge seul dans des sujets que certains doivent sûrement trouver emmerdant d'appréhender sans discussion vivante autour).
Unknown a dit…
Il est plat ton raisonement aurait repondu Platon

Posts les plus consultés de ce blog

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...