Tiens, ça faisait longtemps que je ne vous avais pas infligé mes notules théologiques. Du coup, je vous dois un caveat : le texte qui suit n'est pas spécialement rigolo, et il n'intéressera probablement pas tout le monde. Par ailleurs, ce sont des réflexions jetées un peu en vrac, des notes. Il manque sans doute quelques chevilles au raisonnement qui mériterait d'être raffiné et sans doute un peu plus sourcé au niveau textuel. Donc voilà, c'est un genre de work in progress, le genre de considérations que j'accumule au fil du temps et de la réflexion.
Le problème du Juste Souffrant hante la pensée sémitique pendant aux moins deux millénaires (2500 av jc - 500 av jc). Pourquoi un homme rituellement pur peut-il voir le malheur s'abattre sur lui et épargner des gens qui ne le valent pas. Les auteurs babyloniens vont disserter longuement sur le sujet et ne trouver que deux solutions au problème, aussi peu satisfaisantes l'une que l'autre. Il y a un vice caché, le Juste ayant commis même à son corps défendant une faute rituelle. Ou bien l'on se retranche vers un fatalisme selon lequel Dieu (ou les dieux) fait pleuvoir aussi bien sur le bon que sur le méchant.
Mais la lamentation du Juste est déchirante et pose la question de la qualité éthique des dieux. Sont-ils capricieux ? Cela peut détourner le croyant : pourquoi se donner de la peine à être rigoureux sur le plan rituel, si la faveur divine n'est pas garantie derrière ?
La solution viendra de l'extérieur et sera fournie par les Perses. Suite à la conquête de l'empire Néo-Babylonien, ils vont se retrouver en contact suivi avec la fine fleur de l'élite du monde sémite : non seulement les penseurs de Chaldée, mais aussi les captifs et orages hébreux et cananéens que les rois gardaient à leur cour.
La religion des Perses de l'époque est aussi différente du polythéisme qui règne en Mésopotamie que du monothéisme exclusif des otages d'Israel et surtout de Juda. Elle est fondée sur un dualisme, l'opposition frontale entre un dieu de la lumière, Ahura-Mazda et un dieu des ténèbres, Ahriman. On ignore qui, du Mazdéisme perse ou du Taoisme chinois a pu influencer l'autre, et même si cette influence a existé, mais dans les deux cas, la marche du monde est le résultat de ce conflit cosmique.
Un adversaire de Dieu qui ourdit les malheurs des hommes, voilà la pièce manquante ans l'histoire du Juste Souffrant, et les Hébreux vont s'emparer de l'idée. Le Diable est né.
Le premier résultat visible pour nous en est le Livre de Job, la résolution sous forme de dialogue du problème du Juste Souffrant. Lu avec nos yeux d'aujourd'hui, il est problématique.
Le Diable qui y est présenté n'est pas l'adversaire de Dieu mais son procureur. Il a le même accès que les autres anges à son Créateur et il s'adresse directement à lui avec une simplicité dont Celui-Ci ne s'offusque pas. Il est plus que toléré par Dieu, il en a l'oreille. Mais il est nommé (Satan), et c'est la première fois dans la Bible que ce personnage apparaît. Précédemment, on a des démons qui apparaissent et disparaissent selon les époques, comme Azazel à qui l'on offre le Bouc émissaire en sacrifice, et qui est probablement le vent du désert qui dessèche et tue, l'équivalent du Nergal babylonien. L'on s'en concilie les bonnes grâce en se déchargeant des péchés vers lui (un jour je reviendrai sur le sens de ce rituel du Bouc émissaire). C'est une force de la nature incarnée, pas le Diable en personne. Les Baal et Moloch, démonisés dans la Bible, sont les dieux des peuples voisins. Et le Serpent est avant tout un personnage de fable, un archétype animal qui persiffle, mais ce n'est que par la suite, bien plus tard, qu'on l'assimilera au diable. Les premiers textes le concernant ne disent rien de tel.
Détail intéressant, chez les Prophètes, les rois étrangers qui ravagent Israel et Jérusalem ne sont pas les instruments du démon, mais bien la baguette de fer qu'utilise Dieu pour mettre son peuple à l'épreuve.
Peu à peu, le portrait du Diable comme lion rugissant parcourant le monde à la recherche de proies, voué à pervertir et détruire le croyant, se décante. Mais sans totalement s'émanciper du personnage du procureur du tribunal divin. C'est un ange malveillant, mais il a sa place dans l'ordre de la Création. Il est notre mise à l'épreuve et demeure la solution au problème qui avait hanté les anciens Sémites de Babylone et de Ninive. L'action de ce diable semble de plus en plus déconnectée du service divin qu'on devine dans Job.
Le Diable comme adversaire de Dieu engagé dans une lutte à mort avec lui et voué à être puni, il n'apparaît qu'in extremis, dans l'Apocalypse de Saint Jean. C'est elle qui brouille les carte. Elle nous décrit une conflagration cosmique et une régénération du monde, un monde dont le Diable et la Mort auront disparu. Et si le Diable est enfermé dans l'abîme, il y est enchaîné, il n'en est pas le roi. La vision traditionnelle du prince des enfers tombe à plat : c'est elle aussi une réinvention a posteriori, et elle n'a aucune base textuelle.
Pire encore, un des fondements du système chrétien est la notion d'ange déchu. Et là encore, elle ne résiste pas tout à fait à l'examen. On suppose déchus les anges qui s'étaient épris des filles des hommes au commencement du temps. Mais de leur destin ultérieur, rien n'est dit. On sait juste qu'ils engendrèrent les Géants des temps anciens. Mieux encore, la description de la Chute ne colle pas avec un Satan interdit de séjour au ciel depuis l'aube du monde. Parce que l'Apocalypse décrit le futur : la chute des anges n'a pas encore eu lieu au moment où elle est écrite. La déchéance de Lucifer à l'aube des temps, tels que peuvent la décrire John Milton ou Victor Hugo n'a aucun sens du point de vue biblique. Là encore, c'est une tradition ultérieure ou apocryphe. On la retrouve dans le livre d'Hénoch (+/- 2ème siècle av JC), jamais intégré au Canon, mais si l'on s'en tient uniquement au texte biblique reçu et accepté, elle est dans le futur (ou en tout cas dans le futur tel que le concevait Jean : au fil du 19ème siècles, plusieurs mouvements américain de la mouvance millerienne ont placé cette chute dans leur passé proche ou leur présent. Pour certains d'entre eux, la Révolution Française était par exemple la preuve de la chute du Diable).
Le problème du Juste Souffrant hante la pensée sémitique pendant aux moins deux millénaires (2500 av jc - 500 av jc). Pourquoi un homme rituellement pur peut-il voir le malheur s'abattre sur lui et épargner des gens qui ne le valent pas. Les auteurs babyloniens vont disserter longuement sur le sujet et ne trouver que deux solutions au problème, aussi peu satisfaisantes l'une que l'autre. Il y a un vice caché, le Juste ayant commis même à son corps défendant une faute rituelle. Ou bien l'on se retranche vers un fatalisme selon lequel Dieu (ou les dieux) fait pleuvoir aussi bien sur le bon que sur le méchant.
Mais la lamentation du Juste est déchirante et pose la question de la qualité éthique des dieux. Sont-ils capricieux ? Cela peut détourner le croyant : pourquoi se donner de la peine à être rigoureux sur le plan rituel, si la faveur divine n'est pas garantie derrière ?
La solution viendra de l'extérieur et sera fournie par les Perses. Suite à la conquête de l'empire Néo-Babylonien, ils vont se retrouver en contact suivi avec la fine fleur de l'élite du monde sémite : non seulement les penseurs de Chaldée, mais aussi les captifs et orages hébreux et cananéens que les rois gardaient à leur cour.
La religion des Perses de l'époque est aussi différente du polythéisme qui règne en Mésopotamie que du monothéisme exclusif des otages d'Israel et surtout de Juda. Elle est fondée sur un dualisme, l'opposition frontale entre un dieu de la lumière, Ahura-Mazda et un dieu des ténèbres, Ahriman. On ignore qui, du Mazdéisme perse ou du Taoisme chinois a pu influencer l'autre, et même si cette influence a existé, mais dans les deux cas, la marche du monde est le résultat de ce conflit cosmique.
Un adversaire de Dieu qui ourdit les malheurs des hommes, voilà la pièce manquante ans l'histoire du Juste Souffrant, et les Hébreux vont s'emparer de l'idée. Le Diable est né.
Le premier résultat visible pour nous en est le Livre de Job, la résolution sous forme de dialogue du problème du Juste Souffrant. Lu avec nos yeux d'aujourd'hui, il est problématique.
Le Diable qui y est présenté n'est pas l'adversaire de Dieu mais son procureur. Il a le même accès que les autres anges à son Créateur et il s'adresse directement à lui avec une simplicité dont Celui-Ci ne s'offusque pas. Il est plus que toléré par Dieu, il en a l'oreille. Mais il est nommé (Satan), et c'est la première fois dans la Bible que ce personnage apparaît. Précédemment, on a des démons qui apparaissent et disparaissent selon les époques, comme Azazel à qui l'on offre le Bouc émissaire en sacrifice, et qui est probablement le vent du désert qui dessèche et tue, l'équivalent du Nergal babylonien. L'on s'en concilie les bonnes grâce en se déchargeant des péchés vers lui (un jour je reviendrai sur le sens de ce rituel du Bouc émissaire). C'est une force de la nature incarnée, pas le Diable en personne. Les Baal et Moloch, démonisés dans la Bible, sont les dieux des peuples voisins. Et le Serpent est avant tout un personnage de fable, un archétype animal qui persiffle, mais ce n'est que par la suite, bien plus tard, qu'on l'assimilera au diable. Les premiers textes le concernant ne disent rien de tel.
Détail intéressant, chez les Prophètes, les rois étrangers qui ravagent Israel et Jérusalem ne sont pas les instruments du démon, mais bien la baguette de fer qu'utilise Dieu pour mettre son peuple à l'épreuve.
Peu à peu, le portrait du Diable comme lion rugissant parcourant le monde à la recherche de proies, voué à pervertir et détruire le croyant, se décante. Mais sans totalement s'émanciper du personnage du procureur du tribunal divin. C'est un ange malveillant, mais il a sa place dans l'ordre de la Création. Il est notre mise à l'épreuve et demeure la solution au problème qui avait hanté les anciens Sémites de Babylone et de Ninive. L'action de ce diable semble de plus en plus déconnectée du service divin qu'on devine dans Job.
Le Diable comme adversaire de Dieu engagé dans une lutte à mort avec lui et voué à être puni, il n'apparaît qu'in extremis, dans l'Apocalypse de Saint Jean. C'est elle qui brouille les carte. Elle nous décrit une conflagration cosmique et une régénération du monde, un monde dont le Diable et la Mort auront disparu. Et si le Diable est enfermé dans l'abîme, il y est enchaîné, il n'en est pas le roi. La vision traditionnelle du prince des enfers tombe à plat : c'est elle aussi une réinvention a posteriori, et elle n'a aucune base textuelle.
Pire encore, un des fondements du système chrétien est la notion d'ange déchu. Et là encore, elle ne résiste pas tout à fait à l'examen. On suppose déchus les anges qui s'étaient épris des filles des hommes au commencement du temps. Mais de leur destin ultérieur, rien n'est dit. On sait juste qu'ils engendrèrent les Géants des temps anciens. Mieux encore, la description de la Chute ne colle pas avec un Satan interdit de séjour au ciel depuis l'aube du monde. Parce que l'Apocalypse décrit le futur : la chute des anges n'a pas encore eu lieu au moment où elle est écrite. La déchéance de Lucifer à l'aube des temps, tels que peuvent la décrire John Milton ou Victor Hugo n'a aucun sens du point de vue biblique. Là encore, c'est une tradition ultérieure ou apocryphe. On la retrouve dans le livre d'Hénoch (+/- 2ème siècle av JC), jamais intégré au Canon, mais si l'on s'en tient uniquement au texte biblique reçu et accepté, elle est dans le futur (ou en tout cas dans le futur tel que le concevait Jean : au fil du 19ème siècles, plusieurs mouvements américain de la mouvance millerienne ont placé cette chute dans leur passé proche ou leur présent. Pour certains d'entre eux, la Révolution Française était par exemple la preuve de la chute du Diable).
Commentaires
Ensuite, les lois de la physique sont une façon de décrire ce qu'on observe. Prenons un exemple : deux façons de décrire la lumière : théorie ondulatoire, théorie corpusculaire. Ce ne sont que deux façons de mettre des mots sur quelque chose dont la nature nous échappe. Peut-être que dans 100 ans, en passant par la case mémoire effacée ou sans passer par la case mémoire effacée, on décrira les phénomènes lumineux tout autrement...
J'aurais bien des choses à réponde à Nikolavitch, mais il me faudrait plus de temps. Je passerai te voir à Bagneux.