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Perdus pour la cause

C'est tous les jours que je tombe sur des titres du genre "avion disparu, la colère des familles". Dès le surlendemain de la disparition, à peu près. On va finir par comprendre que les gens sont en pétard. Il faut dire qu'ils ont de quoi. Moi je sais ce qui est arrivé à ces malheureux : ils se sont retrouvés sur une île où les lois de la logique et de la causalité se délitent et disparaissent, au pouvoir de cet âne bâté de Damon Lindelof*.

En dehors de ça, dans mon rêve de cette nuit, j'avais participé à une révolution. L'élite du nouveau gouvernement s'était réunie dans ce théâtre immense que je visite parfois en rêve, avec des centaines de rangées de sièges, un plafond à des dizaines de mètres d'altitude, et une scène que même Cecil B. De Mille aurait du mal à remplir complètement.

Nous en étions à tenter de trouver un système de gouvernement efficace et qui responsabilise ses membres**, quand un des camarades est arrivé, catastrophé, les bras chargés de grosses enveloppes qu'il a posées sur un des sièges. Derrière lui, des aides et des assistants apportaient des enveloppes eux aussi. Des tas. Des monceaux. Des milliers, des dizaines de milliers de grosses enveloppes en kraft.

"C'est quoi, ce bordel ?" fut l'interrogative résolution votée spontanément et à l'unanimité par l'assemblée.

"C'est la cata, voilà ce que c'est. On a fait la révolution pour donner leur chance dans la vie aux pauvres gens, aux sans grades, aux déclassés. Et je crois qu'on aurait mieux fait d'aller à la pêche ce jour-là."

"Ton défaitisme est une insulte au sang versé par nos camarades, camarade. Tu le sais ?"

"Oui. Mais regardez."

Il a ouvert une des enveloppes, et a commencé à lire. Puis une deuxième, prise au hasard dans le tas d'un des assistants. Il allait en ouvrir une troisième, quand un des camarades, livide, lui a fait le geste l'intimant d'arrêter. Chacun avait de toute façon pris une enveloppe pour juger par lui même et en lisait fébrilement le contenu.

Toutes les lettres disaient peu ou prou la même chose. Signées pour certaine d'une croix, d'autres visiblement écrites sous la dictée par une assistante sociale, d'autres manuscrites en style SMS, elles se recoupaient sur le fond. Ces gens pour lesquels ont s'était battus nous demandaient si les virements de l'aide sociale allaient continuer comme avant.

J'ai ramassé mon paletot et, les mains dans les poches, je suis allé à la gare toute proche. Là, j'ai avisé un train express prêt à partir. Agitant ma carte du Parti sous le nez du contrôleur, je suis monté sans autre ticket. Le train a démarré pour une destination inconnue, mais probablement lointaine.

Et je me suis réveillé.






* Et encore. J'ai trop de respect pour les ânes, en fait, qui sont des animaux plutôt sympathiques, dans le fond. Pour ceux qui n'ont pas tout suivi, ce Monsieur Lindelof est aussi le scénariste qui a pondu le script de Prometheus, ou sa dix-huitième version, en tout cas l'imbécilité crasse qu'on a eu sur nos écrans, et dont il est très content, qu'il trouvait fine, maligne et bien branlée.

** La responsabilisation, c'est important. Sinon, on se retrouve  avec des situations grotesques, comme d'anciens membres de l'exécutif qui viennent pleurnicher piteusement qu'on les a mis sur écoute en application de lois qu'ils ont eux-mêmes fait voter. Ils sont la démonstration cinglante qu'en politique, le ridicule ne tue effectivement pas.

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