Ma faiblesse me consterne et m'agace, parfois.
Tenez, pas plus tard que ce soir, j'étais à déambuler dans une gare, en attendant que mon train s'affiche enfin. Et forcément, mes pas m'ont conduit chez un marchand de journaux (j'étais arrivé trop tard pour piller la petite boutique qui fait des fudge de tuerie, dont sinon j'aurais bouloté un ou deux paquets entre le quai et le trajet, au mépris de la bienséance et de ma glycémie). Et donc, après avoir toisé les unes des magazines, j'ai reporté mon attention sur le rayon pochothèque.
Et j'ai découvert dedans une petite édition collector d'un Desproges que je n'avais pas. Oh, certes, j'en connaissais bien le contenu, mais celui-là n'ornait pas encore mes étagères. J'en profite pour présenter immédiatement mes excuses plates et sycophantiques aux mânes de Pierre Desproges. En effet, le lieu de l'achat (oui, coupons court à tout suspense, je l'ai acheté, le Vivons Heureux en Attendant la Mort en édition collector) réduit mécaniquement l'objet de l'achat à la catégorie littérature de gare, catégorie qui était jadis considérée comme infamante. Comme j'ignore totalement le regard que portait le littérateur en question sur ladite catégorie littéraire, je préfère m'excuser. On ne sait jamais.
Mais c'est quand même curieux, ce réflexe quasi pavlovien. Le bouquin en question, je l'ai déjà vu à droite et à gauche. Mais jamais en édition collector (c'est à dire avec page de garde colorée et couverture en papier joliment gaufré, mais aussi nettement plus fragile). C'est d'ailleurs un peu idiot, ce concept d'édition de poche collector. Mon achat d'impulsion (pour reprendre le jargon des marketeux) prouve que commercialement, c'est tout à fait intelligent, mais je maintiens que bibliophilement parlant, c'est parfaitement idiot.
Une édition collector, plus luxueuse et plus fragile, c'est quand même avant tout quelque chose qu'on ne sort que rarement de l'étagère, c'est presque une décoration d'intérieur. On ne la manipule qu'avec soin, dans le secret de son étude, majestueusement assis dans un fauteuil de cuir, dans une pose marmoréenne, pendant que dehors, le climat s'effiloche dans le vent mauvais de l'horreur d'une profonde nuit, que même Edgar Allan Poe n'en aurait pas poétisé d'aussi belle.
Alors qu'une édition de poche, c'est un truc qu'on traine partout, qu'on a à la portée de la main sur un tas de bazar, c'est le truc aux pages cornées vers lequel on va tendre la main quand on a besoin de se consoler l'âme (en tout cas, les éditions de poches de Desproges. Alors que par exemple, une édition de poche de Labro, je ne tendrai pas la main vers elle pour me consoler l'âme, ni même pour consoler l'âme de mon pire ennemi. Ou alors une fois où mon pire ennemi m'aurait vraiment bien escagassé, et que je me sentirais d'humeur particulièrement sadique). Une édition de poche, ça prend la pluie quand on l'a glissée dans la poche du manteau, ça se prête aux copains (et du coup on en rachète une deux ans plus tard, parce que le copain ne l'a jamais rendue, j'en suis à quatre Conjuration des Imbéciles, trois Au dessous du Volcan, trois Alamut, deux Nasreddin Hodja, trois Marilyn Monroe et les Samouraïs du Père Noël, deux Entretiens avec le Professeur Y, et j'en passe), une édition de proche, ça vit, ça souffre, ça se promène.
Bref, rien ne relève plus de l'oxymore* que la notion d'édition collector de poche. Je devrais boycotter. Eh bien non, c'est le troisième Desproges que je me prends en édition collector. Alors que je n'ai pas pris les Catherine Pancol en édition collector, ni les Philippe Delerm. Mais Desproges m'a toujours poussé aux pires extrémités. C'est par exemple à cause de Desproges qu'il m'est arrivé d'acheter Télérama, une fois (il y avait un DVD d'un de ses spectacles offert avec la revue).
Mais cette dévotion au grand homme est payée de retour. Car une fois le train là, alors que la foule s'y presse, que les places assises deviennent l'objet d'âpres luttes et de regards à congeler sur place une strip-teaseuse en pleine possession de son art et de son 95-D, les sombres pensées misanthropes contenues dans ce petit livre m'ont fait pouffer plus qu'à leur tour et le voyage, qui autrement aurait été morose et forcément trop long, s'est passé sans que je le remarque.
La semaine prochaine, cela fera pile vingt cinq ans qu'il nous faire rire d'outre-tombe.
*Hommage à Pierre Corneille. Car le Cid Campeador occit le More !
Tenez, pas plus tard que ce soir, j'étais à déambuler dans une gare, en attendant que mon train s'affiche enfin. Et forcément, mes pas m'ont conduit chez un marchand de journaux (j'étais arrivé trop tard pour piller la petite boutique qui fait des fudge de tuerie, dont sinon j'aurais bouloté un ou deux paquets entre le quai et le trajet, au mépris de la bienséance et de ma glycémie). Et donc, après avoir toisé les unes des magazines, j'ai reporté mon attention sur le rayon pochothèque.
Et j'ai découvert dedans une petite édition collector d'un Desproges que je n'avais pas. Oh, certes, j'en connaissais bien le contenu, mais celui-là n'ornait pas encore mes étagères. J'en profite pour présenter immédiatement mes excuses plates et sycophantiques aux mânes de Pierre Desproges. En effet, le lieu de l'achat (oui, coupons court à tout suspense, je l'ai acheté, le Vivons Heureux en Attendant la Mort en édition collector) réduit mécaniquement l'objet de l'achat à la catégorie littérature de gare, catégorie qui était jadis considérée comme infamante. Comme j'ignore totalement le regard que portait le littérateur en question sur ladite catégorie littéraire, je préfère m'excuser. On ne sait jamais.
Mais c'est quand même curieux, ce réflexe quasi pavlovien. Le bouquin en question, je l'ai déjà vu à droite et à gauche. Mais jamais en édition collector (c'est à dire avec page de garde colorée et couverture en papier joliment gaufré, mais aussi nettement plus fragile). C'est d'ailleurs un peu idiot, ce concept d'édition de poche collector. Mon achat d'impulsion (pour reprendre le jargon des marketeux) prouve que commercialement, c'est tout à fait intelligent, mais je maintiens que bibliophilement parlant, c'est parfaitement idiot.
Une édition collector, plus luxueuse et plus fragile, c'est quand même avant tout quelque chose qu'on ne sort que rarement de l'étagère, c'est presque une décoration d'intérieur. On ne la manipule qu'avec soin, dans le secret de son étude, majestueusement assis dans un fauteuil de cuir, dans une pose marmoréenne, pendant que dehors, le climat s'effiloche dans le vent mauvais de l'horreur d'une profonde nuit, que même Edgar Allan Poe n'en aurait pas poétisé d'aussi belle.
Alors qu'une édition de poche, c'est un truc qu'on traine partout, qu'on a à la portée de la main sur un tas de bazar, c'est le truc aux pages cornées vers lequel on va tendre la main quand on a besoin de se consoler l'âme (en tout cas, les éditions de poches de Desproges. Alors que par exemple, une édition de poche de Labro, je ne tendrai pas la main vers elle pour me consoler l'âme, ni même pour consoler l'âme de mon pire ennemi. Ou alors une fois où mon pire ennemi m'aurait vraiment bien escagassé, et que je me sentirais d'humeur particulièrement sadique). Une édition de poche, ça prend la pluie quand on l'a glissée dans la poche du manteau, ça se prête aux copains (et du coup on en rachète une deux ans plus tard, parce que le copain ne l'a jamais rendue, j'en suis à quatre Conjuration des Imbéciles, trois Au dessous du Volcan, trois Alamut, deux Nasreddin Hodja, trois Marilyn Monroe et les Samouraïs du Père Noël, deux Entretiens avec le Professeur Y, et j'en passe), une édition de proche, ça vit, ça souffre, ça se promène.
Bref, rien ne relève plus de l'oxymore* que la notion d'édition collector de poche. Je devrais boycotter. Eh bien non, c'est le troisième Desproges que je me prends en édition collector. Alors que je n'ai pas pris les Catherine Pancol en édition collector, ni les Philippe Delerm. Mais Desproges m'a toujours poussé aux pires extrémités. C'est par exemple à cause de Desproges qu'il m'est arrivé d'acheter Télérama, une fois (il y avait un DVD d'un de ses spectacles offert avec la revue).
Mais cette dévotion au grand homme est payée de retour. Car une fois le train là, alors que la foule s'y presse, que les places assises deviennent l'objet d'âpres luttes et de regards à congeler sur place une strip-teaseuse en pleine possession de son art et de son 95-D, les sombres pensées misanthropes contenues dans ce petit livre m'ont fait pouffer plus qu'à leur tour et le voyage, qui autrement aurait été morose et forcément trop long, s'est passé sans que je le remarque.
La semaine prochaine, cela fera pile vingt cinq ans qu'il nous faire rire d'outre-tombe.
*Hommage à Pierre Corneille. Car le Cid Campeador occit le More !
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