Ah, on me souffle dans l'oreillette que c'est la Saint Jérôme, en l'hommage au patron des traducteurs, et plus précisément des traducteurs qui se fâchent avec tout le monde, parce qu'il était très doué dans ce second domaine, le gaillard.
Jéjé par Léonard
Bon, après, et à sa décharge, c'est une époque où le dogme est pas totalement fixé et où tout le monde s'engueule en s'envoyant des accusations d'hérésie à la figure. À cette occasion, le Jéjé se montre plus polémique que traducteur et doit se défendre parce qu'il a aussi traduit des types convaincus ensuite d'hérésie.
De nos jours, son grand oeuvre c'est la traduction latine de la Bible. Ce n'est pas la première du genre, mais c'est la plus précise de l'époque. Il s'est fondé notamment sur une version d'Origène (un des hérétiques qui lui vaudront des problèmes) qui mettait en colonnes six versions du texte, deux en hébreu et quatre en grec et fait des recherches de contexte historique pour piger de quoi ça cause. Un vrai gros boulot, fait avec toute la rigueur possible à l'époque (et lui il était clairement pas là pour rigoler) qui lui vaut des engueulades avec Saint Augustin et quelques autres, qui le voient tiquer sur des différences significatives entre la version grecque de la Septante, alors qu'elle fait autorité à l'époque, et le texte hébraïque. À un moment où, rappelons-le, on s'entre-écharpe pour savoir si le Christ a une ou deux natures, si Marie est mère de Dieu ou seulement du Christ, si le Saint Esprit est consubstantiel ou seulement de même substance (c'est d'une subtilité toute byzantine), avec un texte sur lequel se reposer devient crucial. C'est d'ailleurs pour ça que le Pape de Rome avait demandé à Jérôme de remplacer les anciennes traductions, invoquées par les uns et les autres dans des querelles qui en devenaient indémerdables.
Le truc, c'est que son texte finit effectivement par s'imposer et que ses choix de traduction finissent donc par avoir force de dogme (la même chose est arrivée en Amérique où pendant longtemps, version en Anglais de la Renaissance du Roi Jacques était la base de tout, faisant de l'anglais cette langue merveilleuse où l'ont vouvoie son chien mais où l'on tutoie Dieu, selon la belle expression d'un de mes profs d'antan).
C'est une illustration de la responsabilité qu'on a, nous autres traducteurs. On fait passer le texte, y compris à des gens qui n'auront jamais accès à l'original. Pour eux, notre version devient le texte et c'est pour ça que les retraductions, parfois, font grincer des dents, même si elles sont parfois objectivement plus solides (je me suis jamais fait à "Bessac" à la place de "Sacquet" chez Tolkien, même si je défends le travail du collègue).
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