Les éditions Delcourt ressortent Torso, un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men. Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques.
Torso, ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil, d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous.
Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland, dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre Eliot Ness, fraîchement auréolé d'avoir maté Capone et les gangsters de Chicago.
Problème, Ness est un agent du fisc, à la base, pas un limier. Là, il n'est plus du tout dans son élément. Il doit recruter un groupe de ses meilleurs subordonnés pour essayer de remonter la piste.
La fin des années 1990, c'est un moment ou le polar à la cote dans les comics : la décennie a été dominée par le Sin City de Miller, Scene of the crime voit la constitution d'un tandem qui sera une star du domaine, Brubaker et Phillips, on voit émerger des gens comme Azzarello, bref, y a un créneau. De plus, Tarantino a entre-temps révolutionné la manière de penser les dialogues. Certes, il l'a fait au cinéma, mais cinéma et comics sont engagés depuis très longtemps dans une forme d'échange et de fertilisation croisée.
C'est sur celui-ci que s'installe le jeune Bendis avec des séries comme Goldfish, ce Torso et plus tard Jinx. Un noir et blanc tranché (moins habile que celui de Miller, mais dans la lignée), un sur-découpage des dialogues donnant un côté incarné et naturel, une maîtrise de son sujet... S'il se fait encore aider par Mark Andreyko, l'analyse de leurs travaux ultérieurs (les Manhunter de ce dernier, par exemple) montre le poids de Bendis dans le processus créatif et notamment en termes de narration pure.
Torso représente un moment important de l'histoire des comics, l'émergence de toute une génération d'auteurs venus de l'indé, apportant d'autres codes. Pour moi, c'est aussi un moment clé de ma carrière : je produis cette traduction en 2002, c'est sans doute une des plus ambitieuse à laquelle je me sois frotté à l'époque, elle présente son lot de difficultés, et il s'avère que je me débrouille bien pour le polar et ce type d'écriture là. J'en aurai fait pas mal d'autres depuis: je parlais de Brubaker, plus haut, j'adore travailler sur ses Criminal, par exemple.
Ce genre de réédition, c'est l'occasion de faire un petit point d'étape. Je trouve que Bendis a fini par se fourvoyer. Peut-être que moi aussi, d'ailleurs, comment savoir ? Au moment où je traduis Torso, je suis en plein dans l'écriture de Spawn : Simonie (ça aussi ça ressort bientôt !) et dans celle de La dernière cigarette. Deux gros jalons de ma carrière, chacun à sa façon. Je menais 4 métiers de front à l'époque, c'était un moment étrange de ma vie.
Le temps passe. Des bouquins comme Torso restent. Perso, ça fait plaisir. Si vous ne connaissez pas, je vous encourage à découvrir.
Commentaires
T.Mornet a bien fait le service de vente de la ré-édition, je vais y jeter un œil ( surtout pour l'appareil critique, j'aime bien ce genre de cold case...mais de là à dire si c'est par morbidité cachée...no sé )