Peut-être avez-vous lu un jour ce texte de Borges sur les précurseurs de Kafka, qui note avec un certain amusement ironique que Hawtorne ou Melville sont parfois plus kafkaïens que certains textes de Kafka lui-même. Mais il note également que, sans Kafka, il nous serait impossible de repérer ces qualités kafkaïennes chez des auteurs antérieurs et de les rapprocher l'un de l'autre. Notre vision est forcément rétroactive. Tout se passe comme si Kafka créait quelque chose de nouveau, mais qui lui préexistait. En ce cas, il fonctionne surtout comme révélateur.
Il en va de même, d'une certaine façon, avec son contemporain Lovecraft. L'adjectif "lovecraftien" convoque des associations d'idées aussi précises que "kafkaïen". On crédite l'auteur de Providence de l'invention de l'horreur cosmique, d'un sens du tentaculaire, avec au-dessous une crainte sourde de la folie, de l'étranger, de la perte de contrôle. Lovecraft cristallise tout ça d'un coup, en quelques années et une poignée de nouvelles. Et, comme chez Kafka, on pourra noter avec étonnement que Polaris est nettement moins lovecraftien que des textes de Hodgson comme La Maison au Bord du Monde ou Les Canots du Glenn Carrig. Et que, par contre, on y sent planer l'influence de Lord Dunsany.
On ne saurait réduire Hodgson à un simple rôle de précurseur, bien sûr, et certains de ses textes sont aux antipodes de Lovecraft, par exemple le cycle consacré au chasseur de fantômes Carnaky. Pourtant, l'horreur maritime telle qu'il peut la pratiquer, ce sens du visqueux et du vaseux, nous rappelle directement ce qu'en fera plus tard HPL, dès Dagon. Et La Maison, avec sa plongée fantasmatique dans un avenir apocalyptique, renvoie directement aux grands textes de Lovecraft comme Dans l'Abîme du Temps.
Le Grand Dieu Pan, d'Arthur Machen, est souvent cité lui aussi dans la liste des textes précurseurs. Et de fait, ce réveil d'un dieu ancien qui conduit à la folie ceux qui le voient, c'est un motif auquel nous associons assez spontanément l'adjectif lovecraftien. Mais le rôle de la femme, dans ce court roman, échappe totalement aux canons de l'œuvre d'HPL.
Mais les précurseurs d'HPL ne se trouvent pas que dans le domaine anglo-saxon. Le Horla montre une métaphorisation de la folie et de sa peur assez typique de Lovecraft, dans un contexte rural. Quant à l'horreur tentaculaire, la scène du calmar géant "Ah, l'abominable bête" dans 20.000 Lieues sous les Mers a un côté clairement précurseur, tout comme celle des Travailleurs de la Mer, dans laquelle Victor Hugo oppose un pêcheur à l'horreur de la pieuvre (c'est d'ailleurs, je crois, la première occurence de ce mot normand dans la littérature française).
Ce ne sont là que quelques exemples en vrac (on pourrait en trouver encore d'autres), et on notera qu'il faut Lovecraft, qui leur est postérieur, pour rapprocher Hugo et Hodgson, ou Jules Verne et Arthur Machen qui sinon, ne se croiseraient pas…
Il en va de même, d'une certaine façon, avec son contemporain Lovecraft. L'adjectif "lovecraftien" convoque des associations d'idées aussi précises que "kafkaïen". On crédite l'auteur de Providence de l'invention de l'horreur cosmique, d'un sens du tentaculaire, avec au-dessous une crainte sourde de la folie, de l'étranger, de la perte de contrôle. Lovecraft cristallise tout ça d'un coup, en quelques années et une poignée de nouvelles. Et, comme chez Kafka, on pourra noter avec étonnement que Polaris est nettement moins lovecraftien que des textes de Hodgson comme La Maison au Bord du Monde ou Les Canots du Glenn Carrig. Et que, par contre, on y sent planer l'influence de Lord Dunsany.
On ne saurait réduire Hodgson à un simple rôle de précurseur, bien sûr, et certains de ses textes sont aux antipodes de Lovecraft, par exemple le cycle consacré au chasseur de fantômes Carnaky. Pourtant, l'horreur maritime telle qu'il peut la pratiquer, ce sens du visqueux et du vaseux, nous rappelle directement ce qu'en fera plus tard HPL, dès Dagon. Et La Maison, avec sa plongée fantasmatique dans un avenir apocalyptique, renvoie directement aux grands textes de Lovecraft comme Dans l'Abîme du Temps.
Le Grand Dieu Pan, d'Arthur Machen, est souvent cité lui aussi dans la liste des textes précurseurs. Et de fait, ce réveil d'un dieu ancien qui conduit à la folie ceux qui le voient, c'est un motif auquel nous associons assez spontanément l'adjectif lovecraftien. Mais le rôle de la femme, dans ce court roman, échappe totalement aux canons de l'œuvre d'HPL.
Mais les précurseurs d'HPL ne se trouvent pas que dans le domaine anglo-saxon. Le Horla montre une métaphorisation de la folie et de sa peur assez typique de Lovecraft, dans un contexte rural. Quant à l'horreur tentaculaire, la scène du calmar géant "Ah, l'abominable bête" dans 20.000 Lieues sous les Mers a un côté clairement précurseur, tout comme celle des Travailleurs de la Mer, dans laquelle Victor Hugo oppose un pêcheur à l'horreur de la pieuvre (c'est d'ailleurs, je crois, la première occurence de ce mot normand dans la littérature française).
Ce ne sont là que quelques exemples en vrac (on pourrait en trouver encore d'autres), et on notera qu'il faut Lovecraft, qui leur est postérieur, pour rapprocher Hugo et Hodgson, ou Jules Verne et Arthur Machen qui sinon, ne se croiseraient pas…
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