Alors je suis plongé depuis quelques jours dans la lecture studieuse d'un bouquin que je voulais depuis longtemps : 1177 avant J.-C., le jour où la civilisation s'est effondrée, d'Eric H. Cline. S'il traite de sujets que je connais déjà pas mal (la transition bronze-fer, l'invasion des "peuples de la mer", l'historicité de la Guerre de Troie, etc.), il les approfondit et surtout croise pas mal de trucs, dans l'idée de brosser un tableau global d'une période de crise, en évitant les explications mono-causales.
C'est là-dedans que j'ai trouvé les références de l'autre jour aux flammes précédant les armées (là, j'arrive à son chapitre sur l'Exode, et curieusement il ne fait pas le rapprochement qui moi, m'a sauté aux yeux direct, alors qu'il cite pourtant la colonne de flamme des Hébreux), et je prends plein de notes dans tous les sens. Ça servira forcément un jour.
Et puis, au détour d'une page, hop, l'auteur me résout un mystère qui me chagrine depuis que je suis tout petit.
Vous qui me connaissez depuis longtemps (les autres, c'est l'occasion de l'apprendre), j'attache du sens au fait curieux que plein de noms de peuples que nous utilisons n'ont rien à voir avec la façon dont ces peuples se nomment eux-mêmes. Les Gallois, les Finnois, les Grecs ou les Allemands ne se donnent pas ce nom à eux-mêmes. Et pour les Egyptiens, c'est pareil. L'ancien nom du pays, c'est Misraïm (toujours en usage, d'ailleurs, sous la forme Misr ou Masr), et les Coptes, quant à deux, l'appellent Kimi ou Kemi, qui est aussi une forme très ancienne.
La question qui me taraudait, c'était où les Grecs (pardon, les Hellènes) avaient été chercher ce nom d'Egyptiens dont ils affublaient les Misraïtes. D'où sortait le mot ? Eh bien, au détour d'un paragraphe sur les tablettes en linéaire B de Crète et de Pylos, M. Cline nous l'explique. Donc je fais passer le truc à ceux que ça pourrait intéresser.
En linéaire B, on trouve parfois des références à des personnages qualifiés de "mi-sa-ra-jo" (le linéaire B est une écriture syllabique) (elle transcrit une forme archaïque de la langue grecque, celle qu'ont dû parler les modèles d'Agamemnon, Achille ou Ulysse). "Mi-sa-ra-jo", vous l'aurez deviné, c'est tout simplement "l'homme de Misraïm", l'Egyptien. En grec mycénien, on appelait donc les Egyptiens par le nom qu'ils se donnaient eux-mêmes, à une époque où les échanges commerciaux entre les deux pays étaient apparemment intenses. Mais l'on trouvait aussi, par moment, un synonyme, "a-ku-pi-ti-jo", qui est bien sûr la forme ancienne de notre mot "égyptien", et qui a probablement fini par supplanter la forme correcte après l'effondrement de la civilisation mycénienne, quand les échanges se sont brutalement taris, et que le terme le plus exact de deux s'est perdu faute d'être confronté à l'expérience réelle de rencontres avec un "misarajo".
Mais d'où sortait cette deuxième forme, "akupitijo" ? Eh bien Cline le rapproche de l'ougaritique (une langue parlée dans le Sud de la Syrie, et c'est à Ougarit qu'a été inventé l'alphabet, soit dit en passant) "hikupta". Et vous me direz qu'on n'a fait que déplacer le problème. D'où les habitants d'Ougarit ont-ils été tirer ce mot ? Apparemment, du nom qu'ils donnaient aux habitants de la ville de Memphis, ancienne capitale de Misraïm. Ce qui ne fait une fois encore que déplacer le problème. Mais comme ce n'est pas un problème que traite Cline (ce n'est l'objet ni du chapitre, ni du bouquin), il s'arrête là.
Mais du coup, j'ai décidé de creuser encore un peu plus, et voilà enfin la solution du machin. La ville, à l'époque, s'appelait Men-Nefer (ce qui a donné en grec Memphis) mais aussi Ankh-Taouy, et c'est peut-être de cette dénomination-là que vient "hikupta", par le jeu des déformations phonétiques en passant d'une langue à l'autre. Le nom semble provenir d'un jardin contenant un "arbre de vie", et là encore, y aurait à creuser des trucs bibliques, mais c'est pas le propos du jour.
Enfin voilà. Je trouve ça toujours rigolo, d'aller rechercher les vraies origines des ces mots qui nous semblent tellement évidents qu'on n'y fait plus attention, et qui pourtant sont chargés d'histoire (et démontrent, par leur simple persistance, l'existence de réseaux commerciaux complexes en des époques très reculées).
C'est là-dedans que j'ai trouvé les références de l'autre jour aux flammes précédant les armées (là, j'arrive à son chapitre sur l'Exode, et curieusement il ne fait pas le rapprochement qui moi, m'a sauté aux yeux direct, alors qu'il cite pourtant la colonne de flamme des Hébreux), et je prends plein de notes dans tous les sens. Ça servira forcément un jour.
Et puis, au détour d'une page, hop, l'auteur me résout un mystère qui me chagrine depuis que je suis tout petit.
Vous qui me connaissez depuis longtemps (les autres, c'est l'occasion de l'apprendre), j'attache du sens au fait curieux que plein de noms de peuples que nous utilisons n'ont rien à voir avec la façon dont ces peuples se nomment eux-mêmes. Les Gallois, les Finnois, les Grecs ou les Allemands ne se donnent pas ce nom à eux-mêmes. Et pour les Egyptiens, c'est pareil. L'ancien nom du pays, c'est Misraïm (toujours en usage, d'ailleurs, sous la forme Misr ou Masr), et les Coptes, quant à deux, l'appellent Kimi ou Kemi, qui est aussi une forme très ancienne.
La question qui me taraudait, c'était où les Grecs (pardon, les Hellènes) avaient été chercher ce nom d'Egyptiens dont ils affublaient les Misraïtes. D'où sortait le mot ? Eh bien, au détour d'un paragraphe sur les tablettes en linéaire B de Crète et de Pylos, M. Cline nous l'explique. Donc je fais passer le truc à ceux que ça pourrait intéresser.
En linéaire B, on trouve parfois des références à des personnages qualifiés de "mi-sa-ra-jo" (le linéaire B est une écriture syllabique) (elle transcrit une forme archaïque de la langue grecque, celle qu'ont dû parler les modèles d'Agamemnon, Achille ou Ulysse). "Mi-sa-ra-jo", vous l'aurez deviné, c'est tout simplement "l'homme de Misraïm", l'Egyptien. En grec mycénien, on appelait donc les Egyptiens par le nom qu'ils se donnaient eux-mêmes, à une époque où les échanges commerciaux entre les deux pays étaient apparemment intenses. Mais l'on trouvait aussi, par moment, un synonyme, "a-ku-pi-ti-jo", qui est bien sûr la forme ancienne de notre mot "égyptien", et qui a probablement fini par supplanter la forme correcte après l'effondrement de la civilisation mycénienne, quand les échanges se sont brutalement taris, et que le terme le plus exact de deux s'est perdu faute d'être confronté à l'expérience réelle de rencontres avec un "misarajo".
Mais d'où sortait cette deuxième forme, "akupitijo" ? Eh bien Cline le rapproche de l'ougaritique (une langue parlée dans le Sud de la Syrie, et c'est à Ougarit qu'a été inventé l'alphabet, soit dit en passant) "hikupta". Et vous me direz qu'on n'a fait que déplacer le problème. D'où les habitants d'Ougarit ont-ils été tirer ce mot ? Apparemment, du nom qu'ils donnaient aux habitants de la ville de Memphis, ancienne capitale de Misraïm. Ce qui ne fait une fois encore que déplacer le problème. Mais comme ce n'est pas un problème que traite Cline (ce n'est l'objet ni du chapitre, ni du bouquin), il s'arrête là.
Mais du coup, j'ai décidé de creuser encore un peu plus, et voilà enfin la solution du machin. La ville, à l'époque, s'appelait Men-Nefer (ce qui a donné en grec Memphis) mais aussi Ankh-Taouy, et c'est peut-être de cette dénomination-là que vient "hikupta", par le jeu des déformations phonétiques en passant d'une langue à l'autre. Le nom semble provenir d'un jardin contenant un "arbre de vie", et là encore, y aurait à creuser des trucs bibliques, mais c'est pas le propos du jour.
Enfin voilà. Je trouve ça toujours rigolo, d'aller rechercher les vraies origines des ces mots qui nous semblent tellement évidents qu'on n'y fait plus attention, et qui pourtant sont chargés d'histoire (et démontrent, par leur simple persistance, l'existence de réseaux commerciaux complexes en des époques très reculées).
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