Accéder au contenu principal

La citation du lundi...

... Est de Dominique Goy-Blanquet*, parlant des traductions de Shakespeare : "En France, les traductions sont très diverses et se succèdent. François-Victor Hugo, le fils de Victor Hugo, est encore très intéressant, mais il est important, en particulier pour les pièces jouées au théâtre, qu'elles soient sans cesse retraduites. Une traduction vieillit…"

Alors cette affirmation m'embête beaucoup. Non que j'aie envie de la contredire sur le fond, je suis le premier à retravailler mes propres traductions quand j'estime qu'il faut leur donner un coup de jeune. Je ne crois pas à l'immuabilité d'une traduction. Une traduction n'est que ça  : "une" traduction. "La" traduction, ça n'existe pas. Il y a toujours plusieurs traductions possibles d'un texte. Des plus ou moins mauvaises, des plus ou moins bonnes. Il y a des traductions infidèles qui sont meilleures que des traductions fidèles, et des trahisons qui détruisent le texte. Il y a aussi des traductions qui se sont imposées avec le temps, faisant oublier le texte d'origine, c'est le cas par exemple du "Vanitas vanitatum" du Saint Patron des traducteurs, encore suivi aujourd'hui en "Vanité de vanités", quand bien même le texte qu'il traduisait employait une métaphore et donc un autre mot. Dans ce cas-là, on parle de tradition textuelle, et le cas est bien plus fréquent qu'on ne pourrait le croire.

Les traductions de Shakespeare par François-Totor, j'ai tendance à m'y référer dès qu'il s'agit de citer Shakespeare (notamment quand, dans le cadre d'une de mes traductions, un personnage se met en tête de citer le Barde). Il y à ça plusieurs raisons :
- Le temps les a imposées.
- Elles sont bien écrites.
- Elles sont libres de droits et généralement disponibles en ligne.

Et là, du coup, j'ai envie de contredire Monsieur Goy-Blanquet.  Et précisément sur le cas Shakespeare. La langue de Shakespeare a vieilli. Même les anglophones ont parfois du mal avec (j'ai lu des commentaires assez drôles d'Américains trouvant ridicule le phrasé des personnages de La Tempête avec Helen Mirren). Elle est même devenue un cliché, des auteurs comme Stan Lee ne se privant pas d'user et d'abuser de ce qu'on appelle, dans le texte, le "faux Shakespeare"** dès qu'il s'agit de personnages anciens et majestueux comme Thor et Odin.

Dès lors, vouloir par trop rajeunir la traduction de Shakespeare, c'est courir le risque d'en détruire la patine, d'assécher la langue, d'en perdre le sel. Je suis le premier à dire qu'une traduction se doit d'être fluide et compréhensible pour le destinataire. Je conçois tout à fait que les traductions de François-Totor ne soient pas la seule traduction possible qui conserve un niveau de langue satisfaisant pour du Shakespeare. Mais mieux vaut éviter de céder à la retraduction pour le plaisir de la retraduction, ça pourra éviter de gaspiller beaucoup d'efforts pour un résultat malheureux.




*Aucune idée de qui est ce monsieur. Sans doute un spécialiste de la question, je n'ai pas été vérifier. Toujours est-il qu'il était cité dans un article à propos de Shakespeare.
**Et le Français ne dispose pas d'un registre similaire qui soit aussi reconnaissable. En général, le traducteur doit donc plus ou moins travailler avec ce jargon pseudo-médiéval inventé par les auteurs de romans de chevalerie du XIXe siècle et que j'appelle le "Jacquouille la Fripouille", du nom d'un de ses plus célèbres vulgarisateurs.

Commentaires

artemus dada a dit…
Moi aussi j'aime bien François-Totor, parce que chez Totor quand y en a plus, y en a encore !
Alex Nikolavitch a dit…
Bonne réponse du Canasson d'Artimon !
notabene a dit…
Cela dit, j'avais un prof qui a participé à la réédition à la Pléiade de ses tragédies il y a une vingtaine d'années, et l'argument de base était une question de "mise en bouche" au théâtre.

On en déduit que les deux peuvent coexister : la jargonneuse ancienne forme pour l'écrit, la "mettable en bouche" pour la scène.

Bref, ça ne m'a jamais posé de problème (et en même temps j'adore le Romeo+Juliet de Baz Luhrmann, aussi voire surtout par son respect du texte tout en modernisant finement le contexte).
Alex Nikolavitch a dit…
Alors oui... Mais.

En Anglais, par exemple, il n'y a pas de "mettable en bouche", on joue le texte ou pas. C'est tout le sujet, d'ailleurs, du Looking for Richard de Pacino : les Américains ont des difficultés avec ce texte archaïque et maniéré, et du coup, même en Angleterre, savoir le jouer est un métier.

et nous, quand on joue Racine, on ne le modernise pas non plus (alors qu'en bouche, c'est pas non plus hyper facile (tu me parais bien pâle, et triste à regarder, qu'as-tu donc, Hyppolyte..."). La traduction permet en effet une "facilitation" (c'est même à ça qu'elle sert, fondamentalement) mais peut-être ne faut-il pas trop en abuser... (je sais pas si je suis puriste ou quoi, mais j'aime bien mon Shakespeare un peu majestueux, quoi)

Posts les plus consultés de ce blog

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

La fin du moooonde après la fin de l'année

 Ah, tiens, voilà qu'on annonce pour l'année prochaine une autre réédition, après mon Cosmonautes : C'est une version un peu augmentée et au format poche de mon essai publié à l'occasion de la précédente fin du monde, pas celle de 2020 mais celle de 2012. Je vous tiens au courant dès que les choses se précisent. Et la couve est, comme de juste, de Melchior Ascaride.

Perte en ligne

 L'autre soir, je me suis revu Jurassic Park parce que le Club de l'Etoile organisait une projo avec des commentaires de Nicolas Allard qui sortait un chouette bouquin sur le sujet. Bon outil de promo, j'avais fait exactement la même avec mon L'ancelot y a quelques années. Jurassic Park , c'est un film que j'aime vraiment bien. Chouette casting, révolution dans les effets, les dinos sont cools, y a du fond derrière (voir la vidéo de Bolchegeek sur le sujet, c'est une masterclass), du coup je le revois de temps en temps, la dernière fois c'était avec ma petite dernière qui l'avait jamais vu, alors qu'on voulait se faire une soirée chouette. Elle avait aimé Indiana Jones , je lui ai vendu le truc comme ça : "c'est le mec qui a fait les Indiana Jones qui fait un nouveau film d'aventures, mais cette fois, en plus, y a des dinos. Comment peut-on faire plus cool que ça ?" Par contre, les suites, je les ai pas revues tant que ça. L...

IA, IA, Fhtagn

 En ce moment, je bosse entre autres sur des traductions de vieux trucs pulps apparemment inédits sous nos latitudes. C'est un peu un bordel parce qu'on travaille à partir de PDFs montés à partir de scans, et que vu le papier sur lequel étaient imprimés ces machins, c'est parfois pas clean-clean. Les illustrateurs n'avaient  vraiment peur de rien Par chance, les sites d'archives où je vais récupérer ce matos (bonne nouvelle d'ailleurs archive.org qui est mon pourvoyeur habituel en vieilleries de ce genre, semble s'être remis de la récente attaque informatique qui avait failli m'en coller une. d'attaque, je veux dire) ont parfois une version texte faite à partir d'un OCR, d'une reconnaissance de caractère. Ça aide vachement. On s'use vachement moins les yeux. Sauf que... Ben comme c'est de l'OCR en batch non relu, que le document de base est mal contrasté et avec des typos bien empâtées et un papier qui a bien bu l'encre, le t...

Matin et brouillard

On sent qu'on s'enfonce dans l'automne. C'est la troisième matinée en quelques jours où le fleuve est couvert d'une brume épaisse qui rend invisible le rideau d'arbres de l'autre côté, et fantomatique tout ce qui est tapi sur les quais : voiture, bancs, panneaux. Tout a un contraste bizarre, même la surface de l'eau, entre gris foncé et blanc laiteux, alors qu'elle est marronnasse depuis les inondations en aval, le mois dernier. Une grosse barge vient de passer, j'entends encore vaguement dans le lointain son énorme moteur diesel. Son sillage est magnifique, dans cette lumière étrange, des lignes d'ondulations obliques venant s'écraser, puis rebondir sur le bord, les creux bien sombre, les crêtes presque lumineuses. Elles rebondissent, se croisent avec celles qui arrivent, et le jeu de l'interférence commence. Certaines disparaissent d'un coup, d'autres se démultiplient en vaguelettes plus petites, mais conservant leur orienta...

Sorties

Hop, vite fait, mes prochaines sorties et dédicaces : Ce week-end, le 9 novembre, je suis comme tous les ans au Campus Miskatonic de Verdun, pour y signer toute mon imposante production lovecraftienne et sans doute d'autres bouquins en prime.   Dimanche 1er décembre, je serai au Salon des Ouvrages sur la BD à la Halle des blancs manteaux à Paris, avec mes vieux complices des éditions La Cafetière. Je participerai également à un Congrès sur Lovecraft et les sciences, 5 et 6 décembre à Poitiers.

Au nom du père

 Tout dernièrement, j'ai eu des conversations sur la manière de créer des personnages. Quand on écrit, il n'y a dans ce domaine comme dans d'autre aucune règle absolue. Certains personnages naissent des nécessité structurelle du récit, et il faut alors travailler à leur faire dépasser leur fonction, d'autres naissent naturellement d'une logique de genre ou de contexte, certains sont créés patiemment et se développent de façon organique et d'autres naissent d'un coup dans la tête de leur auteur telle Athéna sortant armée de celle de Zeus. Le Père Guichardin, dans les Exilés de la plaine , est un autre genre d'animal. Lui, c'est un exilé à plus d'un titre. Il existe depuis un sacré bail, depuis bien avant le début de ma carrière d'auteur professionnel. Il est né dans une nouvelle (inédite, mais je la retravaillerai à l'occasion) écrite il y a plus d'un quart de siècle, à un moment où je tentais des expériences d'écriture. En ce temp...

Et merde...

J'avais une idée d'illus sympa, un petit détournement pour mettre ici et illustrer une vacherie sur notre Leader Minimo, histoire de tromper l'ennui que distille cette situation pré insurrectionnelle pataude et molle du chibre dans laquelle tente péniblement de se vautrer l'actualité. Et donc, comme de juste en pareil cas, je m'en étais remis à gougueule pour trouver la base de mon détournement. Le truc fastoche, un peu potache, vite fait en prenant mon café. Sauf que gougueule est impitoyable et m'a mis sous le nez les oeuvres d'au moins deux type qui avaient exactement eu la même idée que moi. Les salauds. Notez que ça valide mon idée, d'une certaine façon. Mais quand même. C'est désobligeant. Ils auraient pu m'attendre. C'est un de ces cas que mon estimable et estimé collègue, le mystérieux J.W., appelle "plagiat par anticipation". Bon, c'est plutôt pas mal fait, hein. Mais ça m'agace.

Deux-ception

 C'est complètement bizarre. Je rêve de façon récurrente d'un festival de BD qui a lieu dans une ville qui n'existe pas. L'endroit où je signe est dans un chapiteau, sur les hauteurs de la ville (un peu comme la Bulle New York à Angoulème) mais entre cet endroit et la gare routière en contrebas par laquelle j'arrive, il y a un éperon rocheux avec des restes de forteresse médiévale, ça redescend ensuite en pente assez raide, pas toujours construite, jusqu'à une cuvette où il y a les restaus, bars et hôtels où j'ai mes habitudes. L'hôtel de luxe est vraiment foutu comme ça sauf que la rue sur la droite est en très forte pente Hormis l'avenue sur laquelle donne l'hôtel de luxe (où je vais boire des coups dans jamais y loger, même en rêve je suis un loser), tout le reste du quartier c'est de la ruelle. La géographie des lieues est persistante d'un rêve à l'autre, je sais naviguer dans ce quartier. Là, cette nuit, la particularité c'ét...