Bon, histoire de procrastiner sur une traduction à rendre lundi dernier qui me fatiguait un peu, je me suis maté la fin de Prometheus. C'est dire si je suis pas bien dans ma tête : normalement, on procrastine en faisant un truc moins pénible que ce qu'on veut éviter, et en fait je crois que j'aurais eu mieux fait de continuer à bosser. C'est le petit Jésus qui m'a puni, sans aucun doute. Et la vache, qu'est-ce qu'il m'a mis !
Si la première moitié du film donnait à penser que le scénario était un truc mal branlé passé entre trop de mains pour être tout à fait cohérent, la seconde corrige cette fausse impression. Il n'est pas mal foutu, en fait. Il n'a juste strictement aucun sens et, au lieu de suspendre le disbelief, il lui fait subir des actes à la fois cruels, immoraux, dégueulasses, et globalement réprouvés par la morale et Télérama. Le scénario de Prometheus, c'est une œuvre expérimentale et abstraite qui tente de s'affranchir de notions comme la cohérence chronologique, la causalité, la psychologie et probablement le réel. On dirait quasiment un programme de parti politique, c'est tout à fait étonnant.
Magnéto, Serge ! Ah non, c'est pas le même bonhomme.
Le film essaie d'être Alien sans l'être. Ce calage du cul du xénomorphe pile entre deux chaises conduit à des effets de style aberrants. Un des moments forts d'Alien, c'est la révélation, par le biais de l'androïde décapité, que le débarquement des protagonistes sur la planète était planifié et voulu, qu'il s'agissait d'une expérience de mise en contact avec des choses dont on savait qu'elles étaient là. Il n'y a rien de tel qu'un bon coup de théâtre pour relancer un récit, planquer ses scories sous le tapis et focaliser l'attention du spectateurs sur ce qu'on veut lui montrer. Du coup, Scott et ses scénaristes multiplient les coups de théâtres. Figure imposée oblige, il faut que l'androïde soit une fois encore impliqué dans un plan saumâtre. Mais comme ce coup de théâtre-là est attendu, il fallait en rajouter d'autres. Du genre, hop, la présence du vieux à bord, hop, le fait que la blonde glaciale soit sa fille, hop, le fait qu'après avoir créé la vie il y a deux milliards d'années les Ingénieurs décident de la rayer de la carte (sans qu'on s'explique du tout pourquoi. du coup, cette incohérence servira de base au scénar de Prometheus 2, on sent que ça va être fabuleux, les explications), hop, un monstre en gore un autre, hop, l'autre devient le réceptacle d'un alien, hop, ce n'est pas le même alien que dans Alien, mais presque, et de toute façon il sort à un moment où il n'a strictement plus aucune utilité dans le récit. Ça fait un peu beaucoup de coups de théâtre, on croirait presque à des effets de manche pour détourner l'attention des incohérences et absurdités du scénar, sauf que quasiment chacun des retournements en génère de nouvelles.
Et puis ce côté "un coup on est dans le préquelle d'Alien, un coup on n'y est pas", c'est fatigant. On n'est pas sur la même planète, mais l'épave du vaisseau tombe de la même façon. C'est le même poste de pilotage, mais l'Ingénieur qui se fait perforer par une bestiole n'est pas dans le bon vaisseau. Et ainsi de suite. La prélogie Star Wars, en comparaison, c'est une continuité ultra-bordée. Notons aussi que, pour faire intelligent, Scott fait des clins d'œil appuyés en direction de Blade Runner, histoire de dire "hé, ho, c'est forcément bien, puisque je fais des référence à un film de moi que tout le monde dit qu'il est bien, alors oubliez un peu Robin des Bois et mes pires merdes, je suis le mec qui faisait Blade Runner, hein ? Vous vous rappelez ? Si, c'était moi, je sais que c'est difficile à croire. Quoi, j'avais des scénaristes moins tocards ? Hé, ho, on s'en fout des scénaristes, c'est moi qui fais les films, merde." Ce à quoi on a envie de lui répondre "oui, pépé, bien, pépé, prends tes pilules, pépé." En tout cas, vu que le scénar est même pas cohérent avec lui-même, c'était vraiment trop demander qu'il le soit avec le reste de la série (notons que c'est très faux cul : Scott dit "on a commencé comme un prequel d'Alien, et puis on a décidé de s'en écarter pour faire quelque chose de plus grand, d'indépendant", mais on vend quand même le film dans des coffrets Alien Universe).
Après, je passe sur la nana sanguinolente et le bide à peine recousu à l'agrafeuse qui cavale dans les couloirs, et n'a de maux de ventre que quand ça peut servir de diversion dramatique, je passe aussi sur les nanas qui courent dans le même sens que le vaisseau qui tombe (c'est probablement un hommage à Vile E. Coyote) (je me refuse d'accabler qui que ce soit, c'est pour ça que je préfère penser que c'est un hommage), je passe sur le fait que les Ingénieurs n'aient pas physiquement évolué en deux milliards d'années, je passe sur le fait que les civilisation terriennes, pointent toutes vers une étoile dont on nous dit après qu'elle n'a rien à voir avec nos origines, mais que c'est une base excentrée des Ingénieurs, et ainsi de suite. Et je rappelle que ce film se voulait intelligent, brandit des concepts scientifiques toutes les deux minutes, et veut donner à réfléchir sur la nature de l'homme. La nature de l'homme, je ne sais pas, mais la nature des scénaristes hollywoodiens actuel, j'ai ma petite idée, je crois que ça se situe entre l'échappé d'agence de pub et l'ivrogne de café du commerce, avec peut-être une once de cocaïnomane un peu vandammisé.
Gageons que la suite, dans laquelle notre vaillante archéologue et le bout d'androïde (qu'elle aura probablement réussi à réparer entre temps) va essayer de prendre contact avec la civilisation des Ingénieurs en communiquant dans un langage reconstitué à partir de bouts de proto-indo-européen. Je crois que j'attendrai qu'on me le prête pour le voir.
Commentaires
Où en étais-je? Ah oui, l'éradication de la race humaine. C'est suggéré avec une délicatesse de camion fou percutant un magasin de porcelaine: c'était il y a deux mille ans. Et si on regarde les fresques qui s'effacent ("Oh, je suis furieux, je veux tuer les humains, fonçons tout de suite... juste après que j'aurai fini une belle fresque explicative"), on aperçoit un des vraiment très Ingénieux dans une posture, comment dire?... bras en croix.
Deux mille ans. Bras en croix. Ouais, le Ridley n'a peur de rien, c'est même à ça qu'on le reconnaît. Et je ne veux même pas parler du fait qu'après avoir créé la vie sur Terre, c'est (quasiment) maintenant qu'ils envoient qq1 pour mettre de l'ordre.
Pour moi, Scott est un formidable habilleur, décorateur, concrétiseur. Hélas pour lui, il est infoutu de faire la différence entre un bon scénario et la daube putréfiée. Et là, c'est le drame.