Accéder au contenu principal

Ceinture noire de Jodo

Il y a un côté déprimant à voir les gens, dans les transports en commun, lire des manuels de ce qu'on appelle pudiquement "développement personnel" et qui est surtout une accumulation de lieux communs sous un joli emballage qui feraient passer Marc Levy pour un grand visionnaire excentrique et le manuel googletraduit de mon lave-linge pour une perle de sagesse cosmique recelant, pour qui sait y débusquer les pépites, les secrets de l'univers. Mars & Vénus a autant de tomes que bien des séries de tire-à-la-ligne-fantasy à succès (j'ai même cru voir une affiche pour une adaptation au théâtre. bientôt la comédie musicale), des tas de trucs inspirés de la PNL circulent en vente libre, et je ne peux même plus prendre le RER sans me retrouver assis face à une pauvre femme à l'air égaré qui compulse convulsivement Comment ne pas se noyer dans un verre d'eau. Je vous jure devant Dieu que ce bouquin existe. Je l'ai vu de mes yeux pas plus tard que l'autre jour (ou alors c'était Comment arrêter de se noyer dans un verre d'eau. whatever).

Ça a un côté dérangeant parce que c'est du pré mâché. Alors que les gens pas sûrs d'eux qui consultent à tout bout de champ tarots ou Yi-King, ça a un côté intéressant. Ce genre d'oracles fonctionne sur des symboles, sur un flou, sur un décalage entre une imagerie et le réel. Ils impliquent un état d'esprit, une légère ritualisation qui crée des conditions mentales particulières, et surtout un travail d'interprétation, d'analyse, de remise en question. Que ce travail soit bien fait ou pas, c'est un autre débat, mais au moins, la consultation d'un oracle symbolique suppose une démarche active de la part du consultant (à condition bien entendu qu'il manie lui-même l'oracle, pas qu'il se fasse tirer les cartes dans une baraque foraine). L'oracle, malgré son autorité, se pose dans un rapport horizontal avec le consultant. Le manuel de développement personnel est un mode d'emploi qui s'impose d'en haut, une autorité induisant une démarche passive de la part de celui qui y cherche des réponses. Pré mâché, comme je disais. Le manuel est dans un rapport vertical avec son lecteur. Et le lecteur est en bas de l'échelle.

On me dira que ces manuels ne font que combler un des vides laissés derrière elles par les religions constituées, qui ont en effet implosé sur le plan conceptuel depuis bien longtemps et échouent à apporter un réconfort spirituel quelconque tant leur message est parasité par toutes les scories de leur histoire. Des sectes diverses parviennent encore à jouer le rôle de directeur de conscience qu'on assignait jadis à son confesseur, mais elles ne sauraient constituer un guide efficace dans un monde éclaté, constitué d'un maillages d'identités fluctuantes et souvent superposées, dans lequel le savoir circule comme jamais, et où la désinformation se dévore et s'alimente elle-même comme un monstrueux Ouroboros contradictoire, un Ouroboros de Möbius. Les vieux livres sacrés eux-mêmes demandent à présent un effort et un peu de culture pour être lus sérieusement.

Mais entre l'oracle, qui demande une certaine culture du symbole, et le manuel de développement personnel, qui est au développement de soi ce que que la pizza surgelée est à la terrine de canard amoureusement mijotée un dimanche matin en revenant du marché (oui, j'ai enfin résolu les derniers soucis de texture qui empêchaient ma terrine de foie de volaille au Porto d'être un chef-d'œuvre total, c'est tellement une tuerie que la dernière fois que j'en ai fait, ça a été torché en un repas, recta), il existe une troisième voie, un chemin plus tortueux mais plus intéressant, conservant le support du livre, tout en  y appliquant la démarche interprétative sus-mentionnée.

Prenez un bouquin, n'importe lequel, qui ne soit PAS un manuel de développement machin-truc, pas un modèle autoproclammé, pas une philosophie assumée comme telle. Prenez, je ne sais pas, moi, un traité d'épistémologie un peu ancien, un roman de SF (mais pas de Ron Hubbard, faut pas déconner non plus), un recueil de nouvelles d'un auteur obscur du XIXe siècle, l'autobiographie d'un type disparu de la circulation dans l'indifférence générale (mais pas une vedette de la télé ni de la chanson, et de préférence quelqu'un qui l'écrive lui-même, son autobiographie), un Que-Sais-Je sur une branche connexe de l'archéologie, n'importe quoi qui n'ait rien à voir avec la choucroute. Ou même mon mode d'emploi de machine à laver mal googlé, pourquoi pas, si vous êtes en mode warrior mémétique ultimate. Et lisez-le comme si c'était le livre sacré, la solution, l'énigme qui, une fois décryptée, vous ouvrira les portes de la conscience, du bonheur, de l'efficacité au lit ou au boulot, de la connaissance ou de n'importe quoi d'autre qui est votre graal de la semaine. Intériorisez le message contenu dans ce bouquin, faites-en le guide de vos pas, la grille d'analyse du monde qui vous entoure.

Le monde ne sera peut-être pas moins menaçant. Mais il sera sans doute plus rigolo, et par les temps qui courent, c'est déjà pas si mal.

Commentaires

artemus dada a dit…
Excellent ! Je te décerne la ceinture jaune de Fulchibaritsu pour la peine.
Odrade a dit…
Un bouquin genre, euh, je sais pas moi... Dune ?

:o)p
O.
Alex Nikolavitch a dit…
cas limite : la série regorge de conseils explicites et sort donc, sans doute, du cadre de la démonstration.
Odrade a dit…
Je vais sortir un livre : "Comment invalider une théorie en moins de 10 mots" ;o)


O.
Alex Nikolavitch a dit…
théorie ? je ne vois de théorie nulle part ! je propose uniquement une expérience de mémétique amusante, dont je précise juste les paramètres.
Edmond Tourriol a dit…
Merci pour ce conseil. J'attaque immédiatement l'étude de la notice de mon flacon de Ventoline.
Alex Nikolavitch a dit…
Si Dark Vador en avait faut autant, la face de la galaxie en aurait été changée !

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

Return of the space cow-boy

 À l'occasion de ma pause post-prandiale, je m'étais remis la scène d'ouverture d' Il était une fois dans l'ouest , parce que ça fait du bien des fois de revenir aux fondamentaux. Et puis, alors que je tentais de me remettre au boulot, j'ai tilté que le nouvel épisode d' Alien Earth venait de sortir. Bon, j'en causerai pas plus avant aujourd'hui, because que j'attends la fin de la série pour me faire un avis définitif (j'aime bien  Noah Hawley à la base, y a des choses que j'apprécie là-dedans et d'autre dont... j'attends de voir comment elles vont évoluer), mais j'ai eu un petit tilt. Ça représentait en apparence une sorte de grand écart conceptuel et esthétique, Charles Bronson et son harmonica d'un côté, Timothy Olyphant peroxydé téléchargeant des données biologiques de l'autre, sauf que... non, en fait. Ben oui, le western et le récit spatial (bon, même si on est pas dans le spatial avec Alien Earth , mais avec la...

C Jérôme

 Ah, on me souffle dans l'oreillette que c'est la Saint Jérôme, en l'hommage au patron des traducteurs, et plus précisément des traducteurs qui se fâchent avec tout le monde, parce qu'il était très doué dans ce second domaine, le gaillard.   Jéjé par Léonard   Bon, après, et à sa décharge, c'est une époque où le dogme est pas totalement fixé et où tout le monde s'engueule en s'envoyant des accusations d'hérésie à la figure. À cette occasion, le Jéjé se montre plus polémique que traducteur et doit se défendre parce qu'il a aussi traduit des types convaincus ensuite d'hérésie. De nos jours, son grand oeuvre c'est la traduction latine de la Bible. Ce n'est pas la première du genre, mais c'est la plus précise de l'époque. Il s'est fondé notamment sur une version d'Origène (un des hérétiques qui lui vaudront des problèmes) qui mettait en colonnes six versions du texte, deux en hébreu et quatre en grec et fait des recherches de ...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Si tu ne viens pas à Cthulhu, Cthulhu viendra à toi !

Ça ne change pas, je vais encore passer du temps et noircir du papier à cause de Lovecraft. Il ne me lâchera jamais. Ou je ne le lâcherai pas, c'est comme une valse indicible.    Bref, dans les semaines à venir, il va encore y avoir du tentacule, c'est moi qui vous le dis. Jeudi 9  octobre à 18h30 je donnerai une conférence sur Lovecraft à la Bibliothèque Francophone Multimédia (non, je ne suis pas invité sur BFM, je me respecte, un peu, quand même) de Limoges. Si vous avez des bouquins à signer, amenez-les, c'est prévu.   Vendredi 21 et samedi 22 novembre je serai au Campus Miskatonic de Verdun comme tous les ans, et cette année, en partenariat avec Actu-SF il y aura une anthologie thématique, Pixels Hallucinés, à laquelle je participe. Par ailleurs, le samedi 3 octobre je serai à Marmande pour le petit salon des Ukronies du Val, dans un joli cadre et avec une organisation très sympathique. 

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H...

Chronique des années de Peste, livre 15

 Normalement, on arrive à cette période de l'année où mes aventures absurdes en Charente alimentent la War Zone. Pas cette fois-ci, vu que le festival est reporté en juin. Et vu l'ambiance, pas sûr que j'y aille, ne serait-ce que pour soutenir le mouvement des collègues appelant au boycott du festival tant que certaines choses n'auront pas été revues au niveau du statut des auteurs, notamment au niveau des conditions de venue en festival. On échange donc avec les copains des messages gag nous donnant rendez-vous à tel ou tel bar d'Angoulème, et c'est quand même bien grinçant. On rit tellement jaune qu'on s'interroge sur l'état de notre foie, ou qu'on se croit dans les Simpsons. Alors qu'en vrai, nos gouvernants fonctionnent comme dans un épisode de South Park. Bref, tenez pas compte, je suis aigri et grognon, là, entre ces confinements qui devraient en être mais n'en sont pas, et ont tous les inconvénients des vrais sans en avoir l'ef...