Ma lecture du moment, hors comics et trucs pour le boulot (et y en a des palanquées, de ça), ça aura été The Fisherman, de John Langan, apparemment la grosse sensation de cet hiver. Un roman épais à la jolie couverture, dont le pitch est simple : c'est l'histoire d'un mec qui va à la pêche pour oublier ses soucis personnels.
Bon, en vrai, c'est sa manière de gérer le deuil, et le vrai thème, il est là. Notre protagoniste a perdu sa femme d'un cancer et en reste inconsolable. La pêche, c'est son moyen de ventiler tout ça, sans pour autant régler le problème. Il écume les rivières de la région, les Catskills, une zone montagneuse dans l'arrière-pays de New York. Un beau jour, il embarque avec lui un collègue qui a perdu sa famille dans un accident de voiture et le vit encore plus mal.
J'en dis pas plus pour l'instant.
John Langan, l'auteur, est assez inconnu par chez nous. C'est son deuxième roman, il a par contre écrit une palanquée de nouvelles. J'ai rien vu passer de tout ça pour l'instant, ni en VO, ni en VF, mais il va falloir que j'aille y regarder de plus près.
Parce que celui-ci, sous son argument tout simple, il est absolument virtuose. Un des arguments qui m'avait poussé à le prendre, c'était un aspect discrètement lovecraftien qu'on m'avait évoqué en passant.
En fait, ce n'est pas si discret que ça. Ça transpire Lovecraft en plein d'endroits, simplement le traitement n'a rien à voir et c'est en partie ça qui est fort. Le cadre, déjà : si les Catskills n'ont jamais intéressé Lovecraft, trop au sud pour lui (on a déjà quitté la Nouvelle-Angleterre à cet endroit), on reste dans la nature sauvage de la Côte Est, la ruralité forestière et accidentée. Le cadre se prête ici aussi au "régionalisme cosmique" d'HPL.
La structure du bouquin, ensuite, c'est du turbo-Lovecraft : nos deux compères, à la recherche d'un cours d'eau que les instituts semblent avoir du mal à situer sur les cartes, à moins que ce soit une réticence, vont recueillir les confidences du taulier d'un bar de pêcheurs. Celui-ci les tient d'un prêtre, qui a entendu une de ses vieilles paroissiennes, qui... Le récit devient alors un dédale vertigineux et gigogne dans lequel on finit par ne plus savoir qui a raconté quoi à qui, qui a ajouté ses interprétations, qui a vu quoi... C'est virtuose et incroyablement tenu. Pensez aux récits imbriqués de l'Appel de Cthulu, ça va encore plus loin dans le genre. C'est le gros point fort du bouquin, ça m'a tenu en haleine.
[SPOIL] L'entité qu'on aperçoit à un moment est profondément lovecraftienne aussi, d'autant plus qu'on en voit ni en sait pas grand-chose à l'arrivée [FIN DU SPOIL]
Après, et j'ai vu passer cette critique qui m'a semblé fondée, la métaphore fondamentale qui sous-tend tout le bouquin est assez balourde et rebattue : tout tourne autour de la façon dont les divers personnages font leur deuil. À mon sens, c'est pas grave en soi, vu que tout récit, lorsqu'on le réduit à une idée fondamentale de ce genre, a un côté simpliste, surtout les récits fantastiques. La force de ce bouquin, c'est qu'il joue plusieurs variations dessus, qu'il cherche presque à épuiser son sujet. Et en effet, ce n'est pas forcément ça le plus intéressant. De ce point de vue, la fin m'a semblé inévitable : elle revient sur le fait de faire son deuil et d'apprendre à vivre, et c'est... attendu.
L'interaction du prosaïque avec les mystères fondamentaux, de la vie quotidienne avec le cosmique, c'est ce que Fisherman fait très bien. On croit d'autant plus aux choses qu'on a cru à Abe, Dan et aux autres. Même le vieil universitaire allemand, qui pour le coup est un cliché lovecraftien (et plus/pire encore, derlethien) est assez développé pour que son passé vaille le coup d'être connu.
Bref, c'était la bonne surprise, à un moment où j'ai moins de lecture "plaisir" parce que j'ai beaucoup trop de lectures "pro".
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