Les aléas de déplacements conduisent mon train à remonter une vallée que je ne connais pas. Je m'emplis les yeux d'un paysage somme toute banal, mais plaisant. Mon esprit vagabonde le long des coteaux. Je connais le nom de la rivière qui serpente au fond ; en quoi est-elle différente de cent autres contemplées lors de trajets ? En rien, sans doute. Il ne s'agit que de l'organisation assez similaires d'éléments classiques. Champs, maisons et bâtiments sur les pentes, la voie ferrée, et l'eau tout en bas. Et pourtant je les découvre comme quelque chose de nouveau.
Une intuition me traverse.
Il s'agit à présent de la mettre en mots. Cette vallée, individualisée par son nom et celui des petites villes qui s'égrènent sur sa longueur n'a d'existence que comme somme de tous ces éléments, eux-mêmes sommes d'éléments constitutifs plus petits, briques, panneaux, surfaces de ciment, herbe, arbres, qui eux mêmes sont un assemblages de parcelles plus élémentaires encore.
Vertigineuse reductio ad infinitum.
Dès lors, envisagée de la sorte, l'individualité de cette vallée banale et de sa rivière ne peut être que contingente, une construction née d'un processus combinatoire. Sa réalité profonde, c'est le processus, une somme de moments, des éléments de temps qui se sont réalisés dans un espace auquel on a affecté un jour un nom durable.
Quelle est la réalité profonde des choses ? Ce processus ? La somme et l'agencement particulier de leurs éléments ? Le regard qu'on porte sur eux, exprimé par le nom, dont la détermination, si l'on en croit les textes, fut la première mission sacrée de l'homme ?
Je suppose que cette intuition, cette interrogation, a déjà, par le passé occupé bien des philosophes antiques ou de facétieux auteurs de koan zen.
Leurs réponses variaient. Pour certains, ces éléments sont le réel. Pour d'autres, le processus. Pour d'autres encore, le seul nom qui conditionne notre rapport aux choses.
Le train continue d'avancer, quitte la vallée. Le voyage lui-même n'est qu'un processus fugace dont ne resteront bientôt que ces quelques lignes jetées à la volée.
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