Comme chaque année, le calendrier entérine le fait curieux que nous avons fait un pas de plus vers le futur, sans tout à fait nous en rendre compte, puisqu'en arrivant, le futur se mue en présent, et notre passé n'est qu'un empilement de futurs usagés. Le futur est un horizon qu'on n'atteint jamais, même en avançant vers lui à marches forcées.
Si l'an 2000 (quand j'étais gamin, il y a un demi-siècle, l'an 2000 c'était un marqueur, une date qui représentait quelque chose) nous laisse le souvenir d'une sorte de vague déception, je me rappelle qu'il a constitué pour moi une forme de soulagement créatif : les éditeurs à qui je présentais mes histoires les balayaient d'un revers de la main en les qualifiant de "fin de siècle", et le compteur permettait enfin de renvoyer cet argument moisi à la décharge pour le laisser se décomposer pendant quelques décennies avant de refleurir après ma mort. Je me mélange peut-être dans mes métaphores, là, c'est sans doute le reste de gueule de bois du réveillon qui me charcute les neurones pas encore tombés au champ d'honneur.
Bref.
L'an 2000, une fois arrivé, n'était plus un marqueur. J'ai commencé l'an 2001 en étrennant un lecteur DVD avec... le 2001 de Kubrick, pour marquer le coup. Encore un futur renvoyé à l'uchronie, comme ces romans de Philip K. Dick censés se passer en 1986 ou 1992, parce qu'ils avaient été écrits dans les années 60.
Et puis on s'habitue. Cet effet "futur non avenu" ne m'a plus vraiment travaillé par la suite, hormis en 2019, parce que les morts de Rutger Hauer et de Syd Mead avaient valeur de symbole, survenant l'année de Blade Runner.
Donc nous entrons chaque année un peu plus dans le futur, dans un monde qui n'est plus celui de mon enfance. Je me refuse à toute nostalgie, les morts sur la route ont été divisées par 5 entre-temps, nous disposons d'outils dont je n'aurais osé rêver à l'époque, dont celui qui me permet de vous présenter ces voeux (oui, ce sont mes voeux de bonnes année, je reconnais qu'ils prennent une forme bizarre, mais qu'est-ce que tu vas faire, hein ?) en temps réel, et les pire trucs qui nous tombent dessus sont déjà arrivés (ce n'est pas la première pandémie, ni la première guerre froide, ni... vous voyez de quoi je veux dire).
Drôle de notion donc que le futur, inscrite sur le sable, mais laissant des traces qui hantent le présent.
2023, va falloir que je m'habitue à ce chiffre qui me semble encore abstrait. Mais qu'il représente donc pour vous quelque chose de doux.
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