Accéder au contenu principal

Fondé de pouvoirs

 Lorsque Fondation est sorti sous forme de série télé, j'avais été hypé par les images magnifiques des bandes annonces et par le casting : Jared Harris était par exemple épatant en Hari Seldon.



Fondation, c'est un pan important de la culture SF en général et de la mienne avec. J'avais lu très tôt le cycle des Robots, d'Asimov, et j'étais tombé sur le premier tome de Fondation dans une bibliothèque municipale. C'était à un moment où j'avais été malade, la maison où je vivais était en travaux, et on m'avait envoyé chez une de mes tantes pour m'épargner les poussières de plâtre et les vapeurs de solvants. Plutôt que de rester devant la télé, ce qui était tentant (on captait correctement la 5, c'était magique), j'ai pris l'habitude de squatter la bibliothèque toute proche. C'est ainsi que j'ai lu les deux premiers romans de la série, par tranches de deux heures, alors qu'il neigeait dehors, et c'était bien. Je garde un bon souvenir de ces moments tranquilles de lecture, avec papy Asimov qui me faisait voyager par delà des gouffres d'espace et de temps.

Le "plan Seldon", extrapolation statistique détaillée permettant de prévoir les lignes de forces du futur et de dévier la marche de l'histoire, m'a fait rêver. Autant par son ampleur que par l'honnêteté épistémique avec laquelle il est présenté : travaillant sur des grands nombres, il donne des tendances, des points de rupture, mais ne peut traiter de destins individuels. L'antithèse des surhommes de la SF de l'époque, mis en scène notamment par Van Vogt, capables d'infléchir le cours des événements.

 

J'attendais donc de pied ferme cette série. Nous semblons être entré dans une espèce d'âge d'or à ce niveau, avec énormément de classiques qui se trouvent adaptés et réadaptés. La télé s'est intéressée de près à l'oeuvre de Philip K. Dick, Game of Thrones a posé une espèce de nouveau standard de l'heroïc fantasy télévisuelle, on voit des producteurs renifler du côté de Moorcock ou Le Guin... Tout cela peut présager de bonnes choses.

J'ai cru un temps que Ronald D. Moore était de la partie, je ne sais pas ce qui m'a mis cette idée en tête. En fait, on a David S. Goyer aux commandes, capable du meilleur (The Dark Knight) comme du... moins bon, on va dire (rappelez-vous le Nick Fury avec David Hasselhoff, pétri de bonnes intentions, mais qu'on ne saurait qualifier de réussi).

Fondation, c'est de la SF à grand-papa, très intellectualisante, et le cycle principal se déroule sur plusieurs siècles, avec des sauts entre partie se comptant en décennies, et donc aucun personnage pour faire le lien. Histoire de compliquer les choses, même si la toile de fond est l'effondrement d'un empire, le style cérébral d'Asimov le conduit à laisser l'action hors champ. L'adapter au format d'une série grand public implique donc de détailler cette toile de fond pour en tirer des choses spectaculaires.

De ce point de vue, la mission est accomplie. Les premiers épisodes (j'en ai vu 6 au moment où j'écris) en mettent plein la vue quand il le faut. La modernisation passe par un travail sur la diversité. La SF des années 40 était très "mâle blanc hétéro" centrée, et certains personnages prennent des couleurs, deviennent des femmes, etc. Cela permet de donner de l'épaisseur à Gaal Dornick (Lou Llobell) qui dans les romans a surtout un rôle de candide interchangeable.

Plein d'idées m'ont botté : la "dynastie génétique", avec cette triade d'empereurs tous clonés est un concept hyper chouette, et le renouvellement des générations impériales est bien traité. Lee Pace est à son aise dans un rôle de monarque (triarque, en l'espèce?) un peu connard sur les bords, en tout cas dans sa première incarnation, rôle qu'il a déjà joué ailleurs avec brio. Il tire d'ailleurs bien parti des changements de génération, modifiant son jeu en fonction de la version du personnage qu'il reprend à son compte. C'est brillant. Dermerzel, l'âme damnée apparue dans les prequels est féminisée, et raccroche à un concept apparu beaucoup plus tard (dans Terre et Fondation) de contrôle diffus par les robots.

Je n'étais pas parti à jouer les puristes en abordant la série. Ça n'aurait eu aucun sens. Les premiers épisodes m'ont enthousiasmé, même.

La manière dont meurt Seldon n'est pas celle du roman, mais c'est fait de manière à ne pas influer a priori sur la suite et à ménager une surprise au lecteur. C'est de bonne guerre. L'installation de la Fondation sur Terminus est un enjeu intéressant, qui permet de belles scènes et montre l'aspect bricolage et cannibalisation technologique de la chose, raccord avec le thème, et l'abandon par l'Empire de dissidents gênants, qui s'épargne ainsi les tracas d'une exécution en bonne et due forme.

Là où j'ai un gros souci, c'est sur un personnage qui m'avait profondément marqué en mon temps : Salvor Hardin. Il a été féminisé, et est joué par une actrice de couleur, et ça ne me pose pas de souci. Cela permet d'approfondir le personnage.

Le traitement me gêne beaucoup plus. Dès le début, on voit Salvor crapahuter avec un fusil. Pour un personnage dont la devise "la violence est le dernier refuge de l'incompétence" m'avait profondément marqué à ma lecture, ça pose question sur l'adaptation et le sens qu'y donnent les auteurs. Et plus on avance, pire c'est. Le personnage cristallise et prend sur lui toute les dérives : il semble détenteur de pouvoirs de clairvoyance et jouir d'un lien fort avec le "caveau", élément très important du matériau source. Pourquoi est-ce un problème ? Parce que cela fait de Salvor un élément qui devrait contrarier le "plan" statistique de Seldon, comme le fera le Mulet dans Fondation et Empire.

Et donc, voir Salvor faire des cartons sur des soldats ennemis me gêne. J'ai cru que la présentation qui en était faite au départ serait le prétexte d'une évolution en profondeur, mais au point ou j'en suis de la série, ça ne semble pas en prendre le chemin. Tout ce qui tourne autour de Gaal Dornick et de Salvor contredit le côté "le plan s'occupe de grandes masses, pas d'individus" au coeur des romans, mais qui a été explicité par Seldon lui-même dans la série.

Si en cours de première saison, elle contredit les règles qu'elle a elle-même établies, je risque de ne pas suivre très longtemps, malgré une production et une direction artistique aux petits oignons. C'est dommage. Ça m'embêterait que Fondation s'empêtre dans les mêmes problèmes que le Nightflyers d'il y a quelques années et tourne en eau de boudin à force de trop tirer sur un matériau source qui n'est pas fait pour.

Commentaires

Uriel a dit…
http://www.comicsplace.net/wp-content/uploads/2011/09/Alex.jpg
Alex Nikolavitch a dit…
tu es vilain.

tu le sais, ça, que tu es vilain.
Uriel a dit…
Oh oui, punis-moi grand fou !

Posts les plus consultés de ce blog

Bonneteau sémantique

Bon, même si j'ai pas vraiment d'éditeur en ce moment, pour les raisons que vous savez (si vous êtes éditeur et que je vous ai pas encore embêté en vous envoyant mes trucs, manifestez-vous), je continue à écrire.   Avec le temps, j'en ai déjà causé, je suis devenu de plus en plus "jardinier", en ce sens que quand je commence à écrire, je n'ai plus qu'un plan très succinct, indiquant juste la direction du récit et ses grosses balises et je me laisse porter par les situations et les personnages. Bon, une des raisons, c'est que quand je faisais des plans détaillés, j'en foutais la moitié au panier en cours de route. Une autre, c'est que je me fais plus confiance, à force. Là où j'ai changé mon fusil d'épaule, c'est que le truc sur lequel je bosse en ce moment est un roman d'anticipation (développant l'univers posé dans quelques unes de mes nouvelles, on retrouve d'ailleurs un personnage) et pas de fantasy. Mon plan se rédui...

Causes, toujours

 Dans la mesure où j'ai un peu de boulot, mais que ce n'est pas du tout intense comme ça a pu l'être cette année, j'en profite pour tomber dans des trous du lapin de documentation, qui vont de la ville engloutie de Kitej (pour une idée de roman avec laquelle je joue depuis l'an passé mais que je ne mettrai pas en oeuvre avant de l'avoir bien fait mûrir) à des considérations sur les influences platoniciennes sur le christianisme et le gnosticisme primitifs (pour me tenir à jour sur des sujets qui m'intéressent de façon personnelle) à des trucs de physiques fondamentale pour essayer des comprendre des choses sans doute trop pointues pour moi.     Là, ce soir, c'étaient des conversations entre physiciens et un truc m'a fait vriller. L'un d'entre eux expliquait que la causalité est une notion trop mal définie pour être encore pertinente en physique. Selon lui, soit on la repense, soit on la vire. Il cite un de ses collègues britanniques qui disai...

Sur la route encore

 Longtemps que je n'avais pas rêvé d'un voyage linguistique. Ça m'arrive de temps en temps, je ne sais pas pourquoi. Là j'étais en Norvège, je me retrouve à devoir aller dans le nord du pays pour accompagner un groupe, je prends un ferry puis une sorte de car pour y aller. Une fois sur place, on se fait une forteresse de bois surplombant un fjord, c'est féérique et grandiose. Pour le retour, pas de car. On me propose un camion qui redescend par la Suède, j'accepte le deal. Je me retrouve à voyager à l'arrière d'abord puis, après la douane, je passe devant avec le conducteur qui parle un français bancal et son collègue co-pilote qui cause un anglais foireux. Bon baragouine en suivant des routes tortueuses entre des pins gigantesques. Y a des étapes dans des trucs paumés où on s'arrête pour manger, un début de bagarre qu'on calme en payant une bouffe à tout le monde. Des paysages chouettes. Je suis jamais arrivé à destination, le réveil a sonné, ma...

Rebooteux

 Bon, on a profité de l'été pour se faire des sorties cinés avec la tribu Lavitch. Et comme il y a un tropisme comics par ici, ça a été Superman et Fantastic Four.     Pas grand-chose à dire sur le FF , qui est dans la moyenne des films Marvel en termes de scénar, mais bénéficie d'une belle direction artistique et d'un ton qui, pour le coup, colle assez avec ce qu'on était en droit d'attendre d'un film sur le quatuor le plus emblématique des comics, et qu'aucun des films précédents qui leur étaient consacrés n'arrivait à approcher (à part peut-être un peu le Corman, mais on reconnaîtra que c'est un cas particulier). Pas le film de l'année, mais un moment fun et coloré. On notera que prendre une actrice qui s'appelle Kirby pour faire le personnage le plus stanleesque de la bande ne manque pas d'ironie, mais elle fait bien le job, donc...  Fun et coloré, ce sont aussi des mots qui viennent à l'esprit en voyant le Superman , James Gunn ...

Romulus et Rémus sont dans un vaisseau

 Comme il y a des domaines sur lesquels je suis toujours un poil à la bourre, j'ai enfin vu Alien : Romulus . J'avais eu l'intention d'y aller en salle, mais pour des problèmes d'emploi du temps, ça ne s'était pas fait. Et de toute façon, vous le savez si vous me lisez depuis longtemps, j'avais signé l'avis de décès de la licence Alien il y a déjà quelques années. Bon, hier soir, après avoir passé quelques heures en recherches perso sur des sujets obscurs (le proto-canon paulinien de Marcion, ça vous parle ? Probablement pas), je me suis calé devant la télé, et en fouillant dans les menus des plateformes, je suis tombé sur Romulus et je me suis dit : allez. Y a quinze jours, en faisant la même démarche, j'étais tombé sur le documentaire de Werner Herzog sur Bokassa. Pas exactement le même délire. Je ne m'attendais pas à grand-chose. J'avais vu passer des critiques pas très sympa. Ceci dit, les bandes annonces m'avaient fait envie : décor...

Boy-scouts go home !

 Bon, je suis plus débordé que je ne l'aurais cru en cette période. Du coup, une autre rediff, un article datant d'il y a cinq ans. Au moment où Superman se retrouve à faire équipe avec Guy Gardner à l'écran, c'est peut-être le moment de ressorti celui-ci. Les super-héros sont des gentils propres sur eux affrontant des méchants ridicules, avec une dialectique générale qui est, selon le cas, celle du match de catch ou de la cour de récré. C’est en tout cas l’image qu’en a une large partie du grand public. Certains, notamment Superman, correspondent assez à ce cliché. D’autres héros s’avèrent moins lisses, et contre toute attente, ça ne date pas d’hier : aux origines des super-héros, dans les années 1930-40, on est même très loin de cette image de boy-scouts. Les héros de pulps, ancêtres directs des super-héros, boivent et courent la gueuse comme Conan, massacrent à tour de bras, comme le Shadow ou lavent le cerveau de leurs adversaires comme Doc Savage. Superman, tel que...

La pataphysique, science ultime

 Bon, c'est l'été. Un peu claqué pour trop mettre à jour ce blog, mais si j'en aurais un peu plus le temps que les mois précédents, mais là, justement, je souffle un peu (enfin presque, y a encore des petites urgences qui popent ici et là, mais j'y consacre pas plus de deux heures par jour, le reste c'est me remettre à écrire, bouger, faire mon ménage, etc.) Bref, je me suis dit que j'allais fouiller dans les étagères surchargées voir s'il y avait pas des trucs sympas que vous auriez peut-être loupés. Ici, un papier d'il y a déjà huit ans sur... la pataphysique.     Le geek, et plus encore son frère le nerd, a parfois une affinité avec la technologie, et assez souvent avec les sciences. Le personnage du nerd fort en science (alors que le « jock », son ennemi héréditaire, est fort en sport) est depuis longtemps un habitué de nos productions pop-culturelles préférées. Et, tout comme l’obsession du geek face à ses univers préféré, la démarche de la science ...

Fils de...

Une petite note sur une de ces questions de mythologie qui me travaillent parfois. Je ne sais pas si je vais éclairer le sujet ou encore plus l'embrouiller, vous me direz. Mon sujet du jour, c'est Loki.  Loki, c'est canoniquement (si l'on peut dire vu la complexité des sources) le fils de Laufey. Et, mine de rien, c'est un truc à creuser. Chez Marvel, Laufey est représenté comme un Jotun, un géant. Et, dans la mythologie nordique, le père de Loki est bien un géant. Sauf que... Sauf que le père de Loki, en vrai, c'est un certain Farbauti, en effet géant de son état. Un Jotun, un des terribles géants du gel. Et, dans la poésie scaldique la plus ancienne, le dieu de la malice est généralement appelé fils de Farbauti. Laufey, c'est sa mère. Et, dans des textes un peu plus tardifs comme les Eddas, il est plus souvent appelé fils de Laufey. Alors, pourquoi ? En vrai, je n'en sais rien. Cette notule n'est qu'un moyen de réfléchir à haute voix, ou plutôt...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...