Bon, je suis le nez dans le guidon jusqu'à la fin du mois. Outre une très grosse traduction, je dois boucler un bouquin qui sortira au printemps prochain, une espèce de roman à clés / recueil de nouvelles en mode fix-up dans un univers lovecraftien mais pas que (c'est mon "Projet Tentacules 2" dont je causais dernièrement. le "projet Péniche" avance, mais je ne le bouclerai que vers Noël, tel que c'est parti).
En attendant, un petit extrait :
De nos jours, la Frontière a disparu, balayée par la marche conjointe de l’histoire et du progrès. Cette ligne mouvante, qui structurait du temps de nos pères tout l’imaginaire de la Conquête de l’Ouest, marquait la limite entre les territoires civilisés et des régions sans lois, celles où sévissaient les frères Dalton ou Liberty Valance. Sur la Frontière fleurissaient comptoirs commerciaux, villes de mineurs exploitant des filons parfois vite taris, et troupeaux de bestiaux laissés à paître sur des étendues encore sauvages.
Et parfois l’avancée rapide et inexorable de la Frontière, puis sa dissolution finale, a laissé derrière elle des territoires figés dans leur passé, où le progrès ne parvient que de façon sporadique. Il en va ainsi de la petite ville de Binger, dans l’Oklahoma. Si on peut la rejoindre par le train, l’électricité n’y est pas encore parvenue, et l’on s’y éclaire encore à la lampe à pétrole comme du temps des fondateurs.
Ne serait la ligne ferrée qui, deux fois la semaine, fait parvenir le rare courrier, l’endroit serait totalement coupé du monde. Et il semble hors du temps. On pourrait se croire revenus à l’époque des cow-boys faisant halte avec leurs bêtes promises aux grands abattoirs de Chicago, sur cette petite étape entre les grandes plaines et la gare de triage la plus proche, à encore une semaine de chevauchée.
Quand je descends de mon wagon, je suis prise d’une envie furieuse de porter une robe à crinoline. Mais je découvre vite que mon strict tailleur de citadine n’est guère adapté au climat et à la poussière des grandes plaines. Je file donc au magasin général pour m’y procurer un de ces pantalons de toile de Nîmes que tout le monde semble porter dans la région et une chemise plus pratique, qui a de surcroît l’avantage de me mettre en valeur. Ces stratagèmes sont un moyen efficace de se mettre ses interlocuteurs dans la poche.
Ici aussi, l’on se croirait au siècle précédent. Ce genre de boutique où l’on trouve tout le nécessaire à la vie campagnarde, du pétrole lampant aux outils de jardinage en passant par les semences et les bracelets de caoutchouc permettant de sceller les bocaux de conserves est l’endroit idéal par lequel commencer à tâter le terrain. Tous les habitants s’y retrouvent pour y échanger ragots, potins et commérages. En payant mes achats, je me présente et j’explique l’objet de ma démarche, suscitant un intérêt immédiat.
L’épicier me conseille d’aller à Mamie Compton, doyenne de la région, dont il m’indique l’adresse.
Quand je m’y rends, je découvre une petite bonne femme toute ridée au visage rieur. Elle m’accueille avec jovialité, me servant un café horriblement fort, et s’enquiert des raisons de mon voyage. Je lui explique que je travaille sur une série d’articles consacrés aux curiosités et au folklore de l’Amérique profonde, et qu’un de mes collègues originaire de la région m’avait mis sur la piste des légendes indiennes concernant un dieu serpent qui semble n’exister que dans le folklore local.
« Ah, vous travaillez donc avec le jeune Clark ? s’esclaffe-t-elle. Il est bien sage, au moins ? Parce que la grande ville, ce sont des tas de tentations, n’est-ce pas ? »
Commentaires
« Je m'avançais vers l'inconnu et personne au monde ne pouvait me dire ce que j'allais y rencontrer. Je n'avais pas de mode d’emploi. C'était la première fois. Mais je savais que cela devait être fait [...]. Je grimpai hors de l’écoutille sans me presser et m'en extirpai délicatement. Je m'éloignais peu à peu du vaisseau [...]. C'est surtout le silence qui me frappa le plus. C'était un silence impressionnant, comme je n'en ai jamais rencontré sur Terre, si lourd et si profond que je commençais à entendre le bruit de mon propre corps [...]. Il y avait plus d’étoiles dans le ciel que je ne m’y étais attendu. Le ciel était d’un noir profond, mais en même temps, il brillait de la lueur du Soleil… La Terre paraissait petite, bleue, claire, si attendrissante, si esseulée. C'était notre demeure, et il fallait que je la défende comme une sainte relique. Elle était absolument ronde. Je crois que je n'ai jamais su ce que signifiait « rond » avant d'avoir vu la Terre depuis l'espace. »