Pour diverses raisons, personnelles, je n'ai pas trop mis à jour cet espace. Mais, hier, alors que j'avais passé la soirée à être l'interprète de Guy Gavriel Kay lors d'une rencontre en librairie, et c'est un homme tout à fait charmant, en plus d'être un auteur dont certaines préoccupations recoupent dangereusement les miennes, une conversation sans rapport avec des lecteurs est tombée sur mon boulot dans Le château des étoiles.
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, j'accompagne depuis l'origine l'excellente série d'Alex Alice, consacrée à la conquête des espaces éthériques sous le Second Empire. Alex m'a demandé de rédiger les bonus de la Gazette des étoiles, une prépublication au format journal (on retrouve désormais ces textes également dans l'intégrale débutée cet automne), puis ceux de l'édition grand format des albums, et enfin les textes de l'artbook sorti l'an passé. J'accompagne également le spin-off Les chimères de Vénus, ce qui me donne l'occasion de bosser avec un confrère que j'admire depuis longtemps, Alain Ayrolles.
La question qu'on m'a posée hier, c'est comment je fais pour produire tous ces textes additionnels sans jamais être redondant avec les albums. Eh bien c'est tout un processus.
Généralement, j'ai accès au contenu des albums assez tôt, sous forme de story-boards. À ce stade, tout peut encore évoluer pas mal, mais ça me donne une idée claire de ce qui arrive dans chaque épisode. Une fois que c'est digéré, on se fait généralement soit une bouffe, soit une réunion dans les bureaux de l'éditeur, soit on se pose au bar à Angoulème, avec Alex et, lorsqu'il s'agit de ses albums des Chimères de Vénus, avec Alain aussi.
Là, c'est une étape de brainstorming. Chacun fait fuser des idées, et j'ai toujours un calepin sous la main pour les noter. Ça nous permet d'avoir un plan : on conceptualise les gazettes en général par saisons de 3 (y a eu une exception avec le début des Chimères, où on a eu une saison de 5). Et c'est là que ça devient technique. Dans les idées proposées par les uns ou les autres, il y a des choses à développement lent, comme tout ce qui concernait la journaliste J.D. Elle apparaît dès les premiers numéros de la gazette, mais le personnage doit rester mystérieux. Surtout, on sait déjà que ce sera une femme, mais qu'elle apparaîtra plus tard dans la série. Donc, dès le départ, je dois écrire de manière à accorder de façon totalement neutre en genre, de manière à ce que la surprise fonctionne.
Parfois, les "feuilletons" relèvent du gag, comme le parc animalier de la plaine des Sablons, dont on développe l'histoire sur 2 ou 3 numéros, mais qui n'a aucun impact sur les récits de la BD. D'autre fois, c'est à l'usage : le Herr Doktor Professor von Flammkuesch n'était qu'un gag dans des fausses pubs, mais on l'aimait tellement qu'il est devenu récurrent, et qu'il vit sa saga à bas bruit. On apprend à un moment qu'il a été arrêté pour ses réclames mensongères, le directeur de publication s'excuse de les avoir imprimées, etc. On n'a pas fini d'en entendre parler.
Et puis, d'autres fois, on prépare les tomes suivants. Tandis que nos héros étaient sur Mars, comme en toute logique, les journalistes sur Terre ne pouvaient pas encore le savoir, la Gazette a annoncé les premiers pas de l'homme sur Vénus, ce qui permettait de teaser les Chimères prévues pour l'année suivante.
C'est donc beaucoup d'échanges. On me laisse une grande liberté dans l'affaire, mais Alain, Alex ou l'éditrice ont toute latitude pour me demander de supprimer un truc qui marche pas, corriger un spoil, virer une vanne exagérée (en fait, en général, ils les virent pas, ils lèvent les yeux au ciel, puis me dise finalement "en vrai, c'est marrant, laisse" comme pour ma vilenie sur Moebius et la pluie d'acide) ou au contraire remettent deux pièces dans la machine, ce qui s'est passé avec le personnage de Joseph Conrad que j'introduis sur Vénus pour rigoler, puis qui devient récurrent au point que tout le bonus du grand format des Chimères tome 2 est signé de sa plume, usurpée par moi sans la moindre vergogne (mais avec beaucoup de respect, parce que Conrad, quoi, merde, ça c'était un bonhomme quand même). Dans le bonus en question, une partie des détails est venu d'Alain, qui m'a explicité tout l'itinéraire suivi par le personnage, puis ajouté les trucs truculents sur les légionnaires démoralisés, etc.
De même, tout le texte de l'artbook devait venir en plus des bonus précédents et, de même, éviter les redondances, accompagner les illustrations, et là aussi, ça a été beaucoup de doutes, d'essais et de discussions.
En fait, si ça marche si bien, c'est que c'est un boulot collectif, fait d'un ping-pong permanent jusqu'à ce que tout le monde soit satisfait du résultat. Et c'est hyper bon enfant, très marrant à faire. Je crois que la bonne humeur qui préside a l'exercice se voit dans ces pages que je produis depuis... plus d'une dizaine d'années déjà !!!
Commentaires