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Sacrées sorcières

En cette période vouée à la paix sur terre aux hommes de bonne volonté, ça peut être marrant de revenir sur le cas des sorcières. Car, dès que l'on se penche sur les traditions liées à la sorcellerie (et certaines de ces traditions impliquent des rituels de solstice, donc on est en plein dedans, mine de rien), se pose encore plus qu'ailleurs le problème des sources.


Allez dans n'importe quelle librairie ayant un rayon "ésotérisme" fourni, et faites une pile de bouquins sur les secrets des sorcières. Et, à partir de cette littérature, essayez de vous faire une idée claire de ce que pouvait être LA sorcière au, mettons, 14ème siècle.

Je relève les copies dans deux heures.

Bon, plus sérieusement, l'image de la sorcière telle qu'on se la traîne de nos jours s'abreuve à plusieurs sources. Les vieux contes populaires, avec des Baba Yaga et autres qui sont autant des esprits des bois que des personnages, et… Et les bouquins d'inquisiteurs, manuels de détection des sorcières et autres minutes de procès. S'y ajoutent pour diverses raisons des manuels d'alchimie et de kabbale qui contribuent à brouiller encore plus les pistes.

Car dans les procès de sorcière, comme dans ceux des Templiers ou de Gilles de Rais, on voit surgir tout un tas de trucs qui relèvent fort probablement des fantasmes glauques de leurs accusateurs, ou parfois de la volonté de ceux-ci de bien noircir les accusé.e.s. Même chose dans les manuels, comme par exemple le tristement célèbre Malleus Malleficarum qui ajoute à ces fantaisies judiciaires une bonne couche de misogynie bien crasse.

Histoire de bien brouiller les pistes par là-dessus, on a ajouté au mix des trucs comme les démonologies médiévales, souvent mais pas toujours issues des hiérarchies cosmiques de la kabbale et de l'alchimie, dont les praticiens auraient été bien surpris de voir leur travail assimilé à ces pauvres femmes accusées de tous les maux (sachant au passage que l'on projette en plus sur les rebouteuses du Moyen-âge tout un appareil théorique et inquisitorial qui relève plutôt des Temps Modernes et de la Contre Réforme, et qu'au Moyen-âge même, la traque se concentrait sur un autre bestiau, l'hérétique, considéré comme bien plus dangereux). Pensez-vous vraiment qu'une sorcière, même se livrant à des rituels de fertilité un peu inquiétants, en a quoi que ce soit à faire des démons tels que décrits dans ces pesants grimoires ? Connaissait-elle au moins les noms de Nergal et Astaroth ? (sachant que le premier était une divinité akkadienne effectivement un peu démoniaque, et que le deuxième… est le démarquage de l'une ou l'autre version de la grande déesse Ishtar, alias Astarté). Le vieux trope judéo-chrétien consistant à réinventer en démons les dieux des voisins s'est toujours bien porté.

Qui plus est, en mettant en avant les Molech et autres Adramelech, les inquisiteurs pouvaient taper en prime dans la littérature antisémite de l'époque pour ajouter au pot les rituels attribués aux Juifs, ce qui était un plus quand il s'agissait de noircir le tableau. Combo, quoi.

Et une fois qu'on a patiemment dégagé notre sorcière de sa gangue d'interprétations ennemies, d'affabulations à charge, que trouve-t-on ? Parfois la rebouteuse que j'évoquais plus haut, parfois une prêtresse païenne protégeant d'anciennes formes religieuses (mais ça disparaît aux alentours de l'An Mille), c'est à dire pas grand-chose, le Gargamel dans son petit manoir au fond des bois n'a jamais existé. Du vieux paganisme, il ne reste pour ainsi dire rien, et les rebouteux et rebouteuses ont continué d'exister obscurément, professant des conceptions simples, pas forcément bien cosmiques, loin des délires réinterprétatifs de type Wicca.

Que reste-t-il de nos sorcières ?

Commentaires

Geoffrey a dit…
http://www.hors-serie.net/Dans-Le-Mythe/2015-02-20/Les-Sorcieres-id64


;-)

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