Accéder au contenu principal

Tricky Snake

Vous me connaissez, depuis le temps, vous savez sans doute que j'accumule des notes sur des tas de sujets farfelus, et que je mène des recherches poussées dans des directions parfois bizarroïdes.

Dernièrement, à l'occasion de ma conférence sur le Roman de Renart, j'ai remis en ordre des notes concernant la figure du "trickster", ce personnage mythologique qu'on retrouve dans pas mal de cultures sous diverses formes, et qui est le Coyote d'Amérique du Nord, l'Anansi d'Afrique, Renart le Goupil par chez nous, Loki plus au Nord, etc.

Mais il y a aussi un trickster dans la Bible, à un endroit où l'on ne s'y attend pas. Je vous livre, brutes de décoffrage, mes notes sur le sujet que j'ai remises à jour suite à une conversation avec un de mes frangins.

---

Le récit du Serpent d’Airain (Nombres, ch 10), pose question. La représentation la plus ancienne du serpent, dans la Bible, est celle du serpent d’Eden, le tentateur qui entraîne la chute de l’homme. Les textes plus tardifs finissent par l’assimiler au Diable, mais ce concept d’Adversaire n’existe pas à l’époque des transmissions orales de ce récit de création (il n'arrive qu'à l'époque de l'exil à Babylone, quand les Hébreux sont mis en contact avec les Perses, des dualistes dont la religion suppose un dieu de la lumière et un dieu des ténèbres). Le serpent du jardin n’est pas le Diable, et surtout, il ne ment pas : l’Homme a effectivement accès, après avoir mangé le fruit, à un niveau de connaissance plus élevé. Et la mort, qui accompagne cette connaissance, n’est pas contenue dans le fruit : elle ne résulte que du bannissement par Yahweh, qui prend dès lors la responsabilité de la mortalité de l'homme (en étant chassé du Jardin, l'homme n'a plus accès à "l'arbre de vie" qui n'est pas l'arbre de la connaissance, mais un autre) (on peut rapprocher ce serpent, toujours dans le Croissant Fertile, de celui qui vole l'herbe d'immortalité à Gilgamesh).

En dispensant de la connaissance (fut-ce au prix fort), le serpent se comporte donc non pas comme un adversaire, mais comme un personnage civilisateur, dont les caractéristiques sont celles du « trickster », le « fripon divin » dont les mauvaises farces sont compensées par les astuces et pouvoirs qu’il révèle à l’Homme (Prométhée donnant le feu, Loki inventant le filet de pêche, etc.).

L’histoire du Serpent d’Airain semble confirmer cette hypothèse. Pour punir le peuple qui se plaignait d’être confiné au désert, Yaweh lui envoie une « plaie de serpents brûlants ». Quand il s’agit d’enfin lever la punition, Moïse dresse un poteau autour duquel est enroulé un serpent d’airain. Poser le regard sur ce serpent, c’est être guéri.

L’histoire pose un sérieux problème. Si l’interdiction des idoles et des images tailées est en vigueur, d’où Moïse tient-il le droit de dresser son serpent ?

Si l’on part du principe que les fulminations contre les idoles sont beaucoup plus tardives (datant de l'époque des rois de Juda), alors Moïse est dans son rôle de guide spirituel, et pioche dans l’arsenal symbolique de son temps.

Utiliser l’image d’un serpent pour guérir une morsure de serpent relève des bases de la « magie sympathique », reposant sur des analogies de cette sorte (guérir l’impuissance avec la corne dressée du rhinocéros, l’ictère par une plante à la même couleur jaune, etc.). Mais si le serpent, dans l’ancien folklore hébraïque, est un trickster, qu’il doive réparer ce qu’il a produit est dans la pure logique des mythes impliquant ce genre de personnage. Car le trickster est ambivalent. S’il interroge les limites et viole les règles, c’est aussi pour mieux les renforcer. Dans la hiérarchie des panthéons, le trickster est toujours présenté comme un personnage assez mineur, un serviteur, par exemple (c’est le cas de Loki, dans les mythes nordiques) ou un être en marge. Un trickster a-t-il pu exister dans l’ancien panthéon des hébreux polythéistes ? A-t-il fait l’objet d’un culte quelconque ?

Peut-on retrouver des traces matérielles de ce serpent trickster vénéré dans la région ?

Si l’on repart sur les terres de l’Exode, on peut découvrir un endroit curieux à Timna, ancien centre minier où l’on extrayait le cuivre, à 20 km au Nord d'Eilat. Il s’agit d’un temple égyptien abandonné vers le 12ème siècle AvJc, puis occupé par les Midianites (les initiateurs de Moïse, puisque c’est chez eux qu’il a trouvé non seulement sa femme, mais aussi le Buisson Ardent). Le temple midianite était sous une tente (comme le tabernacle hébraïque) et on y a retrouvé un serpent de cuivre, qui était l’idole vénérée en ces lieux. Ce lieu, dans le désert, était situé en pleine zone d'errance des nomades décrits dans l'Exode. Coïncidence ?

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'éternel retour

 Bon, c'est l"heure de notre traditionnelle minute d'expression gueuledeboitesque de fin janvier début février. Mon ressenti (page de Marvano à l'expo SF) (c'est toujours un moment fort de voir les originaux de pages tellement frappantes qu'elles se sont gravées à vie dans votre tête) Jeudi : Je n'avais pas prévu d'arriver le jeudi, au départ. Après cinq mois de boulot ultra-intense, déjà à genoux avant même le festival, je me disais qu'une édition plus ramassée à mon niveau serait plus appropriée. Divers événements en amont m'amènent à avancer largement mon arrivée. Il y a une réunion de calage sur un projet qui doit se faire là-bas, plutôt en début de festival. Dont acte. Ça m'amène à prendre les billets un peu au dernier moment, de prendre les billets qui restent en fonction du tarif aussi, donc là j'ai un changement, ça cavale, et je suis en décalé, ça aura son importance. Quand j'avais commencé à préparer mon planning, j'ava...

Reconnaissance

 Tout récemment, pour deux boulots distincts, il a fallu que j'apprenne à me servir d'un OCR, d'un logiciel de reconnaissance de caractères. Au départ, ça a eu un côté antichambre de l'enfer. J'ai hésité à me retaper des kilomètres de texte à la main. Et puis finalement j'ai insisté. C'est technique, l'OCR, surtout quand on n'est pas formidablement équipé. J'avais un vieux texte à récupérer pour un boulot de direction d'ouvrage, écrit petit, dont n'existait aucune version numérique nulle part, ni en VO, ni en VF. Il a fallu que j'emprunte la seule édition française (merci encore, Bruno, t'es un chef), que je photographie tout avec mon téléphone, et que je bidouille. Inutile de dire que ça a été long. Et qu'au départ, toutes mes tentatives de reconnaissances de caractères m'arrivaient en bouillie. Ce truc n'est pas une science exacte. Mais, à l'usage, j'ai trouvé quelques astuces. D'abord, éclairer à balles....

Par là où tu as pêché

 Ma lecture du moment, hors comics et trucs pour le boulot (et y en a des palanquées, de ça), ça aura été The Fisherman , de John Langan, apparemment la grosse sensation de cet hiver. Un roman épais à la jolie couverture, dont le pitch est simple : c'est l'histoire d'un mec qui va à la pêche pour oublier ses soucis personnels. Bon, en vrai, c'est sa manière de gérer le deuil, et le vrai thème, il est là. Notre protagoniste a perdu sa femme d'un cancer et en reste inconsolable. La pêche, c'est son moyen de ventiler tout ça, sans pour autant régler le problème. Il écume les rivières de la région, les Catskills, une zone montagneuse dans l'arrière-pays de New York. Un beau jour, il embarque avec lui un collègue qui a perdu sa famille dans un accident de voiture et le vit encore plus mal. J'en dis pas plus pour l'instant. John Langan, l'auteur, est assez inconnu par chez nous. C'est son deuxième roman, il a par contre écrit une palanquée de nouve...

La fille-araignée

Tiens, ça fait une paye que j'avais pas balancé une nouvelle inédite... Voilà un truc que j'ai écrit y a 6 mois de ça, suite à une espèce de cauchemar fiévreux. J'en ai conservé certaines ambiances, j'en ai bouché les trous, j'ai lié la sauce. Et donc, la voilà... (et à ce propos, dites-moi si ça vous dirait que je fasse des mini-éditions de certains de ces textes, je me tâte là-dessus) Elle m’est tombée dessus dans un couloir sombre de la maison abandonnée. Il s’agissait d’une vieille villa de maître, au milieu d’un parc retourné à l’état sauvage, jouxtant le canal. Nul n’y avait plus vécu depuis des décennies et elle m’avait tapé dans l’œil un jour que je promenais après le travail, un chantier que j’avais accepté pour le vieil épicier du coin. J’en avais pour quelques semaines et j’en avais profité pour visiter les alentours. Après avoir regardé autour de moi si personne ne m'observait, je m’étais glissé dans une section effondrée du mur d’enceinte, j’...

Le grand méchoui

 Bon, l'info est tombée officiellement en début de semaine : Les Moutons électriques, c'est fini. Ça aura été une belle aventure, mais les événements ont usé et ruiné peu à peu une belle maison dans laquelle j'avais quand même publié dix bouquins et un paquet d'articles et de notules ainsi qu'une nouvelle. J'ai un pincement au coeur en voyant disparaître cet éditeur et j'ai une pensée pour toute l'équipe.   Bref. Plein de gens me demandent si ça va. En fait, oui, ça va, je ne suis pas sous le choc ni rien, on savait depuis longtemps que ça n'allait pas, j'avais régulièrement des discussions avec eux à ce sujet, je ne suis pas tombé des nues devant le communiqué final. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Que les dix bouquins que j'évoquais plus haut vont quitter les rayonnages des libraires. Si vous êtes en retard sur Cosmonautes ! ou sur Le garçon avait grandi en un gast pay s, notamment, c'est maintenant qu'il faut aller le...

Au ban de la société

 Tiens, je sais pas pourquoi (peut-être un trop plein de lectures faites pour le boulot, sur des textes ardus, avec prise de note) j'ai remis le nez dans les Justice Society of America de Geoff Johns, période Black Reign . J'avais sans doute besoin d'un fix de super-héros classique, avec plein de persos et de pouvoirs dans tous les sens, de gros enjeux, etc. Et pour ça, y a pas à dire JSA ça fait très bien le job. La JSA, c'est un peu la grand-mère des groupes super-héroïques, fondée dans les années 40, puis réactivée dans les années 60 avec les histoires JLA/JSA su multivers. C'étaient les vieux héros patrimoniaux, une époque un peu plus simple et innocente. Dans les années 80, on leur avait donné une descendance avec la série Infinity Inc . et dans les années 90, on les avait réintégrés au prix de bricolages divers à la continuité principale de DC Comics, via la série The Golden Age , de James Robinson et Paul Smith, qui interprétait la fin de cette époque en la...

À la Dune again

 Bon, je viens de finir Dune Prophecy, la série télé dans l'univers de Dune , conçue pour être raccord avec les films de Villeneuve. Et, forcément, je suis partagé. Comme toujours avec ce genre de projets, on peut y trouver autant de qualités que de défauts. La production value est chouette, ça essaie de coller à l'esthétique des films, le casting est plutôt bien, c'est pas mal mené, distillant du mystère retors et du plan dans le plan. De ce point de vue, mission accomplie. Après, c'est assez malin pour s'insérer dans la continuité des bouquins de Brian Herbert et Kevin J. En Personne sans les adapter directement, histoire de pouvoir inventorier les trucs moisis. Ça n'y arrive pas toujours, et ça rajoute des idées à la con (des scènes de bar, franchement, dans Dune , quelle faute de goût) et ça reste prisonnier de ce cadre. Mais ça essaie de gérer et de ce point de vue, c'est plutôt habile. Où est le problème ? me direz-vous ? Bon, on en a déjà causé, mais...

Writever janvier, part 1

 Tiens, ça faisait longtemps que j'avais pas participé au Writever. J'avais lâché l'affaire au moment où la connexion internet était devenue un enfer. Comme c'est un exercice marrant, et qui m'a bien aidé à des moments où j'avais des pannes d'écriture, c'est pas plus mal de m'y remettre. Le thème, "fucking tech!", à un moment où Musk est sur les rangs pour devenir maître du monde, c'est peut-être de saison. 1- Réaliste "Soyez réaliste, on ne peut pas avoir cette option, c'est trop de complications et de risques." C'est comme une âme en peine qu'il ressorti de la boutique PinApple. Ce n'était pas encore avec cette génération-là qu'il pourrait faire de l'irish coffee avec son smartphone. 2- Accessoire On a accessoirisé les machines, on passe aux utilisateurs. Les écouteurs et la montre turboconnectés? Ringard. Maintenant il y a le contrôleur dentaire, trois dents sur pivots qu'on titille de la langu...

Executors

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais avec un groupe d'amis dans un café, quand un bus scolaire s'est rangé devant. En descend une espèce de proviseur aux faux airs de Trump, et une cohorte de mômes en uniforme scolaire à la con, type anglais ou japonais, ou école catho peut-être : blasers, jupes plissées, écussons. Le proviseur fait "allez-y, faites le ménage" et les mômes sortent des Uzi et des fusils à pompe. Ils défoncent tous ceux qui sont attablés en terrasse. On arrive à se planquer sous les tables avec mon groupe, et on s'enfuit par la porte de derrière sans demander notre reste. Pas question de jouer les héros face à ces écoliers au regard vide. On zigzague dans des ruelles, mais chaque fois qu'on retombe sur une avenue, des bus scolaires s'arrêtent et vomissent leur contenu de gamins en uniforme. L'accès à la gare du métro aérien est coupé. On voit des cadavres ensanglantés dévaler les marches. En haut, c'est la fusillade. Dans les ru...

Qu'ils sont vilains !

En théorie de la narration existe un concept important qui est celui d'antagoniste. L'antagoniste est un des moteurs essentiels de l'histoire, il est à la fois le mur qui bloque le héros dans sa progression, et l'aiguillon qui l'oblige à avancer. L'antagoniste peut être externe, c'est l'adversaire, le cas le plus évident, mais il peut aussi être interne : c'est le manque de confiance en lui-même de Dumbo qui est son pire ennemi, et pas forcément les moqueurs du cirque, et le plus grand ennemi de Tony Stark, tous les lecteurs de comics le savent, ce n'est pas le Mandarin, c'est lui même. Après, l'ennemi est à la fois un ennemi extérieur et intérieur tout en même temps, mais ça c'est l'histoire de Superior Spider-man et c'est de la triche.  Tout est une question de ne pas miser sur le mauvais cheval Mais revoyons l'action au ralenti. L'antagoniste a toujours existé, dans tous les récits du monde. Comme le s...