Vous me connaissez, depuis le temps, vous savez sans doute que j'accumule des notes sur des tas de sujets farfelus, et que je mène des recherches poussées dans des directions parfois bizarroïdes.
L’histoire du Serpent d’Airain semble confirmer cette hypothèse. Pour punir le peuple qui se plaignait d’être confiné au désert, Yaweh lui envoie une « plaie de serpents brûlants ». Quand il s’agit d’enfin lever la punition, Moïse dresse un poteau autour duquel est enroulé un serpent d’airain. Poser le regard sur ce serpent, c’est être guéri.
L’histoire pose un sérieux problème. Si l’interdiction des idoles et des images tailées est en vigueur, d’où Moïse tient-il le droit de dresser son serpent ?
Si l’on part du principe que les fulminations contre les idoles sont beaucoup plus tardives (datant de l'époque des rois de Juda), alors Moïse est dans son rôle de guide spirituel, et pioche dans l’arsenal symbolique de son temps.
Utiliser l’image d’un serpent pour guérir une morsure de serpent relève des bases de la « magie sympathique », reposant sur des analogies de cette sorte (guérir l’impuissance avec la corne dressée du rhinocéros, l’ictère par une plante à la même couleur jaune, etc.). Mais si le serpent, dans l’ancien folklore hébraïque, est un trickster, qu’il doive réparer ce qu’il a produit est dans la pure logique des mythes impliquant ce genre de personnage. Car le trickster est ambivalent. S’il interroge les limites et viole les règles, c’est aussi pour mieux les renforcer. Dans la hiérarchie des panthéons, le trickster est toujours présenté comme un personnage assez mineur, un serviteur, par exemple (c’est le cas de Loki, dans les mythes nordiques) ou un être en marge. Un trickster a-t-il pu exister dans l’ancien panthéon des hébreux polythéistes ? A-t-il fait l’objet d’un culte quelconque ?
Peut-on retrouver des traces matérielles de ce serpent trickster vénéré dans la région ?
Si l’on repart sur les terres de l’Exode, on peut découvrir un endroit curieux à Timna, ancien centre minier où l’on extrayait le cuivre, à 20 km au Nord d'Eilat. Il s’agit d’un temple égyptien abandonné vers le 12ème siècle AvJc, puis occupé par les Midianites (les initiateurs de Moïse, puisque c’est chez eux qu’il a trouvé non seulement sa femme, mais aussi le Buisson Ardent). Le temple midianite était sous une tente (comme le tabernacle hébraïque) et on y a retrouvé un serpent de cuivre, qui était l’idole vénérée en ces lieux. Ce lieu, dans le désert, était situé en pleine zone d'errance des nomades décrits dans l'Exode. Coïncidence ?
Dernièrement, à l'occasion de ma conférence sur le Roman de Renart, j'ai remis en ordre des notes concernant la figure du "trickster", ce personnage mythologique qu'on retrouve dans pas mal de cultures sous diverses formes, et qui est le Coyote d'Amérique du Nord, l'Anansi d'Afrique, Renart le Goupil par chez nous, Loki plus au Nord, etc.
Mais il y a aussi un trickster dans la Bible, à un endroit où l'on ne s'y attend pas. Je vous livre, brutes de décoffrage, mes notes sur le sujet que j'ai remises à jour suite à une conversation avec un de mes frangins.
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Le récit du Serpent d’Airain (Nombres, ch 10), pose question. La représentation la plus ancienne du serpent, dans la Bible, est celle du serpent d’Eden, le tentateur qui entraîne la chute de l’homme. Les textes plus tardifs finissent par l’assimiler au Diable, mais ce concept d’Adversaire n’existe pas à l’époque des transmissions orales de ce récit de création (il n'arrive qu'à l'époque de l'exil à Babylone, quand les Hébreux sont mis en contact avec les Perses, des dualistes dont la religion suppose un dieu de la lumière et un dieu des ténèbres). Le serpent du jardin n’est pas le Diable, et surtout, il ne ment pas : l’Homme a effectivement accès, après avoir mangé le fruit, à un niveau de connaissance plus élevé. Et la mort, qui accompagne cette connaissance, n’est pas contenue dans le fruit : elle ne résulte que du bannissement par Yahweh, qui prend dès lors la responsabilité de la mortalité de l'homme (en étant chassé du Jardin, l'homme n'a plus accès à "l'arbre de vie" qui n'est pas l'arbre de la connaissance, mais un autre) (on peut rapprocher ce serpent, toujours dans le Croissant Fertile, de celui qui vole l'herbe d'immortalité à Gilgamesh).
En dispensant de la connaissance (fut-ce au prix fort), le serpent se comporte donc non pas comme un adversaire, mais comme un personnage civilisateur, dont les caractéristiques sont celles du « trickster », le « fripon divin » dont les mauvaises farces sont compensées par les astuces et pouvoirs qu’il révèle à l’Homme (Prométhée donnant le feu, Loki inventant le filet de pêche, etc.).
Le récit du Serpent d’Airain (Nombres, ch 10), pose question. La représentation la plus ancienne du serpent, dans la Bible, est celle du serpent d’Eden, le tentateur qui entraîne la chute de l’homme. Les textes plus tardifs finissent par l’assimiler au Diable, mais ce concept d’Adversaire n’existe pas à l’époque des transmissions orales de ce récit de création (il n'arrive qu'à l'époque de l'exil à Babylone, quand les Hébreux sont mis en contact avec les Perses, des dualistes dont la religion suppose un dieu de la lumière et un dieu des ténèbres). Le serpent du jardin n’est pas le Diable, et surtout, il ne ment pas : l’Homme a effectivement accès, après avoir mangé le fruit, à un niveau de connaissance plus élevé. Et la mort, qui accompagne cette connaissance, n’est pas contenue dans le fruit : elle ne résulte que du bannissement par Yahweh, qui prend dès lors la responsabilité de la mortalité de l'homme (en étant chassé du Jardin, l'homme n'a plus accès à "l'arbre de vie" qui n'est pas l'arbre de la connaissance, mais un autre) (on peut rapprocher ce serpent, toujours dans le Croissant Fertile, de celui qui vole l'herbe d'immortalité à Gilgamesh).
En dispensant de la connaissance (fut-ce au prix fort), le serpent se comporte donc non pas comme un adversaire, mais comme un personnage civilisateur, dont les caractéristiques sont celles du « trickster », le « fripon divin » dont les mauvaises farces sont compensées par les astuces et pouvoirs qu’il révèle à l’Homme (Prométhée donnant le feu, Loki inventant le filet de pêche, etc.).
L’histoire du Serpent d’Airain semble confirmer cette hypothèse. Pour punir le peuple qui se plaignait d’être confiné au désert, Yaweh lui envoie une « plaie de serpents brûlants ». Quand il s’agit d’enfin lever la punition, Moïse dresse un poteau autour duquel est enroulé un serpent d’airain. Poser le regard sur ce serpent, c’est être guéri.
L’histoire pose un sérieux problème. Si l’interdiction des idoles et des images tailées est en vigueur, d’où Moïse tient-il le droit de dresser son serpent ?
Si l’on part du principe que les fulminations contre les idoles sont beaucoup plus tardives (datant de l'époque des rois de Juda), alors Moïse est dans son rôle de guide spirituel, et pioche dans l’arsenal symbolique de son temps.
Utiliser l’image d’un serpent pour guérir une morsure de serpent relève des bases de la « magie sympathique », reposant sur des analogies de cette sorte (guérir l’impuissance avec la corne dressée du rhinocéros, l’ictère par une plante à la même couleur jaune, etc.). Mais si le serpent, dans l’ancien folklore hébraïque, est un trickster, qu’il doive réparer ce qu’il a produit est dans la pure logique des mythes impliquant ce genre de personnage. Car le trickster est ambivalent. S’il interroge les limites et viole les règles, c’est aussi pour mieux les renforcer. Dans la hiérarchie des panthéons, le trickster est toujours présenté comme un personnage assez mineur, un serviteur, par exemple (c’est le cas de Loki, dans les mythes nordiques) ou un être en marge. Un trickster a-t-il pu exister dans l’ancien panthéon des hébreux polythéistes ? A-t-il fait l’objet d’un culte quelconque ?
Peut-on retrouver des traces matérielles de ce serpent trickster vénéré dans la région ?
Si l’on repart sur les terres de l’Exode, on peut découvrir un endroit curieux à Timna, ancien centre minier où l’on extrayait le cuivre, à 20 km au Nord d'Eilat. Il s’agit d’un temple égyptien abandonné vers le 12ème siècle AvJc, puis occupé par les Midianites (les initiateurs de Moïse, puisque c’est chez eux qu’il a trouvé non seulement sa femme, mais aussi le Buisson Ardent). Le temple midianite était sous une tente (comme le tabernacle hébraïque) et on y a retrouvé un serpent de cuivre, qui était l’idole vénérée en ces lieux. Ce lieu, dans le désert, était situé en pleine zone d'errance des nomades décrits dans l'Exode. Coïncidence ?
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