Du coup, je remets en ordre des notes sur le Trickster. En voilà une autre volée (revenant sur une histoire dont je suis loin d'avoir fait le tour) :
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Loki est généralement considéré comme un trickster, un dieu fripon, à la fois malicieux qui joue des tours, héros civilisateur qui apporte des innovations, mais aussi fauteur de troubles et de catastrophes. Le personnage est dès l'origines porteur de cette double nature, c'est un dieu ambigu, mais pas dieu du mal en soi, ce qu'il ne deviendra que plus tard, peut-être sous l'influence culturelle du monde chrétien.
Mais il n'est pas porteur initialement de la caractéristique eschatologique du "dieu du mal". Par contre, un de ses avatars la contient peut-être en germes :
S'il est un personnage très mystérieux et très mal connu du panthéon nordique, c'est Utgarda Loki. Dans le mythe qui nous est conservé dans la Gylfaginning (La Mystification de Gylfi, une section de l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson, dans laquelle des dieux déguisés racontent un certain nombre de mythes à un roi de Suède, Gylfi. C'est pour l'auteur un prétexte à dresser un panorama de mythes qui sinon seraient perdus du fait de la christianisation).
Dans celui qui m'intéresse là, Thor, Loki et Thjalfi voyagent jusqu'aux confins de la terre des géants et sont reçus dans le château du plus grand de tous, Utgarda Loki, ou Loki « Hors-les-murs ». D'emblée, l'homonymie entre le maitre des lieux et son invité dérange. Qui est qui ? D'autant que Loki lui-même est fils de géants, et qu'Utgarda Loki s'avère être un maitre de l'illusion, comme sait l'être Loki lui-même à l'occasion. Mais tout, chez le maitre d'hors-les-murs semble être démesuré, y compris ses pouvoirs. Il semble être un Loki libéré de toute contrainte, un reflet gigantesque. Mieux encore, dans les épreuves qu'il impose à ses hôtes, Utgarda Loki oppose Loki à une personnification du feu, la flamme Logi. Si l'on considère que Loki, le rouquin ourdisseur de pièges et de tours, le trickster, a une affinité forte avec l'imagerie du feu, condition nécessaire de toute industrie, cela fait donc trois avatars d'un même personnage qui se rencontrent. Voilà qui semble curieux, et même vertigineux. Si Odin s'offre en sacrifice à Odin, Loki se met lui-même à l'épreuve en s'opposant à Loki. Et c'est Loki qui perd.
Par ailleurs, Loki est un personnage porteur de caractères eschatologiques. C'est lui qui déclenche le Ragnarok à la fin de l'âge héroïque des dieux vikings. Mais par son qualificatif même, Utgarda Loki est lui aussi une créature eschatologique, au sens le plus pur : il est aux confins, au bord du monde, là où le monde se dilue dans le chaos. Si l'on imagine le monde des dieux comme une série de cercles concentriques, Asgard, le clos des dieux est le centre autour duquel tourne le reste, Midgard, terre des hommes et « du milieu » est la bande médiane encerclant les terres divines, et Utgard, c'est l'outback, c'est ce qui est au-delà des lieux bornés et reconnus. C'est un lieu inquiétant et fuyant, chaotique, où les apparences sont trompeuses, et où les archétypes s'incarnent : chacune des épreuves imposées par Utgarda Loki oppose nos héros à une personnification à taille humaine d'un concept ou d'une entité qui échappe à l'échelle humaine : le feu, l'océan (et une deuxième fois sous la forme du serpent du monde Iormungandr, créature aquatique eschatologique, image classique du chaos primordial et créateur), l'esprit, et enfin la vieillesse elle-même, limite absolue que l'homme est incapable de franchir et que même les dieux craignent. Par l'exemple, Utgarda-Loki démontre au dieux qu'ils sont soumis à des lois universelles, à des forces fondamentales qu'il maitrise, lui, et dont il est donc affranchi.
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Loki est généralement considéré comme un trickster, un dieu fripon, à la fois malicieux qui joue des tours, héros civilisateur qui apporte des innovations, mais aussi fauteur de troubles et de catastrophes. Le personnage est dès l'origines porteur de cette double nature, c'est un dieu ambigu, mais pas dieu du mal en soi, ce qu'il ne deviendra que plus tard, peut-être sous l'influence culturelle du monde chrétien.
Mais il n'est pas porteur initialement de la caractéristique eschatologique du "dieu du mal". Par contre, un de ses avatars la contient peut-être en germes :
S'il est un personnage très mystérieux et très mal connu du panthéon nordique, c'est Utgarda Loki. Dans le mythe qui nous est conservé dans la Gylfaginning (La Mystification de Gylfi, une section de l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson, dans laquelle des dieux déguisés racontent un certain nombre de mythes à un roi de Suède, Gylfi. C'est pour l'auteur un prétexte à dresser un panorama de mythes qui sinon seraient perdus du fait de la christianisation).
Dans celui qui m'intéresse là, Thor, Loki et Thjalfi voyagent jusqu'aux confins de la terre des géants et sont reçus dans le château du plus grand de tous, Utgarda Loki, ou Loki « Hors-les-murs ». D'emblée, l'homonymie entre le maitre des lieux et son invité dérange. Qui est qui ? D'autant que Loki lui-même est fils de géants, et qu'Utgarda Loki s'avère être un maitre de l'illusion, comme sait l'être Loki lui-même à l'occasion. Mais tout, chez le maitre d'hors-les-murs semble être démesuré, y compris ses pouvoirs. Il semble être un Loki libéré de toute contrainte, un reflet gigantesque. Mieux encore, dans les épreuves qu'il impose à ses hôtes, Utgarda Loki oppose Loki à une personnification du feu, la flamme Logi. Si l'on considère que Loki, le rouquin ourdisseur de pièges et de tours, le trickster, a une affinité forte avec l'imagerie du feu, condition nécessaire de toute industrie, cela fait donc trois avatars d'un même personnage qui se rencontrent. Voilà qui semble curieux, et même vertigineux. Si Odin s'offre en sacrifice à Odin, Loki se met lui-même à l'épreuve en s'opposant à Loki. Et c'est Loki qui perd.
Par ailleurs, Loki est un personnage porteur de caractères eschatologiques. C'est lui qui déclenche le Ragnarok à la fin de l'âge héroïque des dieux vikings. Mais par son qualificatif même, Utgarda Loki est lui aussi une créature eschatologique, au sens le plus pur : il est aux confins, au bord du monde, là où le monde se dilue dans le chaos. Si l'on imagine le monde des dieux comme une série de cercles concentriques, Asgard, le clos des dieux est le centre autour duquel tourne le reste, Midgard, terre des hommes et « du milieu » est la bande médiane encerclant les terres divines, et Utgard, c'est l'outback, c'est ce qui est au-delà des lieux bornés et reconnus. C'est un lieu inquiétant et fuyant, chaotique, où les apparences sont trompeuses, et où les archétypes s'incarnent : chacune des épreuves imposées par Utgarda Loki oppose nos héros à une personnification à taille humaine d'un concept ou d'une entité qui échappe à l'échelle humaine : le feu, l'océan (et une deuxième fois sous la forme du serpent du monde Iormungandr, créature aquatique eschatologique, image classique du chaos primordial et créateur), l'esprit, et enfin la vieillesse elle-même, limite absolue que l'homme est incapable de franchir et que même les dieux craignent. Par l'exemple, Utgarda-Loki démontre au dieux qu'ils sont soumis à des lois universelles, à des forces fondamentales qu'il maitrise, lui, et dont il est donc affranchi.
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