Accéder au contenu principal

Insérez ici en guise de bande-son un peu de krakapoum à la Richard Strauss puis enchainez sur du György Ligeti pour faire bonne mesure

Tous les quelques temps, j'éprouve le besoin de me faire une piqûre de rappel de 2001. Non, pas comme celle de la semaine dernière où l'on nous passait en boucle l'image des tours qui tombent. Je veux dire le vrai 2001, cette vision prophétique d'un avenir qui aurait pu ou dû advenir et puis qui s'est retrouvée annulée par un présent décevant. Le 2001. Celui de Kubrick.


Un film qui touche l'infini du doigt


Ma dernière giclée remontait pourtant à il n'y a pas si longtemps, quand je me l'étais revu en entier pour participer à un petit documentaire sur le sujet à l'occasion duquel, sur la foi de mes analyses dans Cosmonautes !, le journaliste avait souhaité m'interviewer. Je ne sais pas quand sort ce truc, ni s'il sortira, mais c'était sympa et ça m'avait fait plaisir.

Là, du coup, plutôt qu'une projection intégrale, je me suis offert une petite promenade d'une demi-heure dans ce métrage que je vénère particulièrement, m'arrêtant sur des séquences qui me faisaient envie, me parlaient, me faisaient rêver. Des moments qui, à l'instar de la traversée de la Porte des Etoiles se passaient de mots pour balancer de façon purement visuelle, presque à un niveau abstrait, des concepts bruts.

L'un de ces moments a attiré mon attention.

Précisément, celui-ci :

"Oh mon Dieu, la radio passe du Maître Gims !"

Il y a quelque chose de profondément absurde et de très fort dans cette image. Contextualisons : quand le professeur Floyd touche le monolithe fraîchement excavé sur la Lune et que le soleil touche la pierre pour la première fois depuis des milliers d'années, elle émet un cri, une fréquence radio vrillante, un signal à sa grande sœur qui l'attend en orbite autour de Jupiter.

Et là, les astronautes ont une réaction complètement absurde : ils portent leurs mains à leurs oreilles pour se protéger du son. C'est absurde parce que ce son n'existe qu'à l'intérieur de leurs casques (vu qu'il est transmis par radio), casques qui de toute façon empêchent que le geste serve à quoi que ce soit.

Je trouve ça profondément génial de la part de Kubrick. Cette image répond à plusieurs impératifs.

Le premier est d'ordre complètement pratique : vu que la bande-son du film fait la part belle à des choses parfois un peu expérimentales, il est bien utile de montrer de façon claire que cette fréquence est intradiégétique, qu'elle fait partie du récit contrairement aux valses qui se surimposent à lui. Le réflexe humain de porter la main à ses oreilles véhicule de façon immédiate le concept "bruit insupportable" et le corrèle à la fréquence émise par le monolithe.

Le deuxième est philosophique. Il montre des humains très humains. Trop humains. Qui même dans le vide et sur un monde étranger, continuent à avoir des réflexes et des réactions humaines devenues absurdes parce que déconnectées des conditions d'origine. Sous leurs scaphandres métallisés qui leur donnent l'allure de robots, ils restent des hommes.

Je crois que c'est Chris Hadfield qui expliquait à quoi visait précisément l'entraînement des astronautes : à s'affranchir autant que possible de ce genre de réactions qui, dans l'environnement infiniment hostile de l'espace, peuvent mener à la panique (il donnait l'exemple de gouttes de sueur qui, flottant en apesanteur dans son casque, avaient fini par l'aveugler en venant se coller à sa cornée), et la façon dont la panique a vite fait de mener à la mort.

Floyd et ses petits camarades ne sont pas des astronautes surentraînés, mais des scientifiques dépêchés sur la Lune et vivant essentiellement sous dôme. Tout le contraire de David Bowman, qu'on voit réagir à tout, dans la suite du métrage, comme s'il avait de l'azote liquide dans les veines.

C'est la force d'un film comme 2001. Même une petite giclée d'une demi-heure oblige à cogiter. Ça fait du bien.

Yeah !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chronique des années de Peste, livre 15

 Normalement, on arrive à cette période de l'année où mes aventures absurdes en Charente alimentent la War Zone. Pas cette fois-ci, vu que le festival est reporté en juin. Et vu l'ambiance, pas sûr que j'y aille, ne serait-ce que pour soutenir le mouvement des collègues appelant au boycott du festival tant que certaines choses n'auront pas été revues au niveau du statut des auteurs, notamment au niveau des conditions de venue en festival. On échange donc avec les copains des messages gag nous donnant rendez-vous à tel ou tel bar d'Angoulème, et c'est quand même bien grinçant. On rit tellement jaune qu'on s'interroge sur l'état de notre foie, ou qu'on se croit dans les Simpsons. Alors qu'en vrai, nos gouvernants fonctionnent comme dans un épisode de South Park. Bref, tenez pas compte, je suis aigri et grognon, là, entre ces confinements qui devraient en être mais n'en sont pas, et ont tous les inconvénients des vrais sans en avoir l'ef...

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d...

C Jérôme

 Ah, on me souffle dans l'oreillette que c'est la Saint Jérôme, en l'hommage au patron des traducteurs, et plus précisément des traducteurs qui se fâchent avec tout le monde, parce qu'il était très doué dans ce second domaine, le gaillard.   Jéjé par Léonard   Bon, après, et à sa décharge, c'est une époque où le dogme est pas totalement fixé et où tout le monde s'engueule en s'envoyant des accusations d'hérésie à la figure. À cette occasion, le Jéjé se montre plus polémique que traducteur et doit se défendre parce qu'il a aussi traduit des types convaincus ensuite d'hérésie. De nos jours, son grand oeuvre c'est la traduction latine de la Bible. Ce n'est pas la première du genre, mais c'est la plus précise de l'époque. Il s'est fondé notamment sur une version d'Origène (un des hérétiques qui lui vaudront des problèmes) qui mettait en colonnes six versions du texte, deux en hébreu et quatre en grec et fait des recherches de ...

Dans l'abîme du confinement

Ah, encore une petite interview, donnée cette fois-ci à la Miskatonic Asso , chez qui je devais intervenir en octobre prochain pour une conférence et un atelier, sauf que la désorganisation liée au confinement a conduit a reporter l'évènement (et j'en suis malade, y avait plein de gens que j'apprécie qui devaient être là) (tout comme le Salon de l'Ivre, prévu hier soir à la Brasserie de l'Être, lieu où je finis par avoir mes habitudes, a été par la force des choses annulé aussi). Bref. On  y cause essentiellement Lovecraft, mes publications sur le sujet et autres projets en cours (le roman chez Leha, la traduction chez Mnemos).

Dune saga l'autre

Encore une rediff du vieux Superpouvoir. Cette fois-ci : Dune, premier article d'une série qui s'est poursuivie quelques temps. Il est à noter que, lors de la rédaction de cet article-ci, il y avait longtemps que je n'avais pas relu les romans d'origine. J'ai du coup corrigé certaines petites imprécisions présentes dans l'article initial. Décidément, je l'aime pas, Kevin J. Anderson. Son boulot sur Star Wars, roman et comics, m'avait emmerdé chaque fois que j'avais mis le nez dedans. Ou tenté de le mettre, d'ailleurs, je ne m'accrochais jamais très longtemps. J'avais essayé un de ses préquelles à Dune, et ça avait été pire : j'avais dû tenir à peine deux chapitres tellement j'avais trouvé ça hors sujet dans l'écriture comme dans ce qu'elle racontait. C'était il y a longtemps. Et puis j'étais passé à autre chose, parce que j'ai passé l'âge de beugler comme un fanboy qui se sent trahi. M...

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...

Général Jean-Joseph-Amable Humbert

" - Mais que comptiez-vous faire avec si peu de monde? -Aller à Dublin et libérer une nation qui souffre sous votre joug. - Voilà bien une idée qui ne pouvait germer que dans une tête française. " (Général Jean-Joseph-Amable Humbert, 1767-1823, dialogue avec le général Lake) Il y a des gens qui ont la poisse. Ils accomplissent des exploits incroyables, et sont néanmoins disgraciés et oubliés. Le général Humbert est de cette sorte : héros des Révolutions Française et Irlandaise, de la défense de la Louisiane et de la flibuste, il est mort en exil, renié par sa patrie. Avant de devenir général, l'homme avait été tanneur de peau de lapin. La Patrie étant en danger, il fut promu capitaine de la garde nationale de Lyon, participa au siège de Mayence puis à la guerre en Vendée, et fut nommé général de brigade à 26 ans. Devenu second de Lazare Hoche, il l'accompagna lors de la première opération (ratée) de soutien à la révolution en Irlande. Après une deuxième tentative, Hum...

Aïe glandeur

Ça faisait bien longtemps que je ne m'étais pas fendu d'un bon décorticage en règle d'une bonne bousasse filmique bien foireuse. Il faut dire que, parfois, pour protéger ce qu'il peut me rester de santé mentale, et pour le repos de mon âme flétrie, je m'abstiens pendant de longues périodes de me vautrer dans cette fange nanardesque que le cinéma de genre sait nous livrer par pleins tombereaux. Et puis parfois, je replonge. Je repique au truc. De malencontreux enchaînements de circonstances conspirent à me mettre le nez dedans. Là, cette fois-ci, c'est la faute à un copain que je ne nommerai pas parce que c'est un traducteur "just wow", comme on dit, qui m'avait mis sur la piste d'une édition plus complète de la musique du film Highlander . Et qu'en effet, la galette était bien, avec de chouettes morceaux qui fatalement mettent en route la machine à nostalgie. "Fais pas le con, Niko ! Tu sais que tu te fais du mal !" ...

Si tu ne viens pas à Cthulhu, Cthulhu viendra à toi !

Ça ne change pas, je vais encore passer du temps et noircir du papier à cause de Lovecraft. Il ne me lâchera jamais. Ou je ne le lâcherai pas, c'est comme une valse indicible.    Bref, dans les semaines à venir, il va encore y avoir du tentacule, c'est moi qui vous le dis. Jeudi 9  octobre à 18h30 je donnerai une conférence sur Lovecraft à la Bibliothèque Francophone Multimédia (non, je ne suis pas invité sur BFM, je me respecte, un peu, quand même) de Limoges. Si vous avez des bouquins à signer, amenez-les, c'est prévu.   Vendredi 21 et samedi 22 novembre je serai au Campus Miskatonic de Verdun comme tous les ans, et cette année, en partenariat avec Actu-SF il y aura une anthologie thématique, Pixels Hallucinés, à laquelle je participe. Par ailleurs, le samedi 3 octobre je serai à Marmande pour le petit salon des Ukronies du Val, dans un joli cadre et avec une organisation très sympathique.