Accéder au contenu principal

Bal tragique à Charlie

C'est toujours délicat de réagir à chaud sur un truc pareil.

Mais au moment où j'écris ces lignes, on parle de douze morts dans l'attaque de Charlie Hebdo à l'arme lourde. Dont Charb, Wolinski, Cabu et Tignous.

Il est encore difficile de savoir exactement ce qui s'est passé, ni pourquoi. Mais il y a néanmoins, selon l'expression consacrée, un fort faisceau de présomptions.

Le nœud de l'affaire, c'étaient ces histoires répétées de caricatures liées à l'Islam, dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elles avaient été très mal prises. La rédaction avait déjà subi des menaces, et l'une d'entre elles avait même été mise à exécution il n'y a pas si longtemps, quand les locaux furent incendiés de nuit.

Là, on est passé à autre chose, à une autre échelle, à une autre catégorie : à une action commando avec des armes de guerre, dont le bilan est lourd et pas encore définitif. Tout donne à croire à ce stade (selon les premiers fragments de témoignages) que cette opération était liée elle aussi aux positions tranchées du journal quant à l'islamisme, et qu'il s'agissait de "venger le Prophète".

Et là, il me semble qu'une petite mise au point s'impose. Parce que le problème, à ce stade, dépasse la seule religion, et le seul fanatisme.

On sort des armes de guerre pour se "venger" de... De quoi ? De quelques dessins. De quelques vacheries. Au nom du respect, et d'une certaine conception de l'image, liée à "l'interdiction de représentation"*.

Et le problème de la sacralisation d'un texte et des tabous sur l'image, c'est que leur corolaire immédiat est l'impossibilité dès lors de se former à la culture du texte et de l'image. L'impossibilité complète de toute espèce de forme de recul quand à l'expression.

Si l'on essaie de résumer en termes simples la dialectique à la clé, ça revient à : "il m'a mal parlé, et mal regardé, et dit des trucs qui m'ont pas plu sur ma mère, alors je le tue". L'escalade directe.

Ce qui est une dialectique de cour de récré, grosso modo.

Alors oui, les gens de Charlie avaient une démarche de sales gosses, à ce moquer de tout et de tout le monde, et surtout de ceux qui se prenaient au sérieux. Mais ce n'est pas de ça que je parle en évoquant une cour de récré.

Parce que la réaction en face n'est pas du même ordre, la preuve, c'est qu'elle est complètement disproportionnée dans sa nature même. Et qu'elle révèle la vraie nature de ce genre de fanatisme : son infantilisme foncier. Son incapacité à surmonter une insulte, réelle ou vécue comme telle. Sa volonté de faire taire à tout prix toute voix qui lui déplaît, et par la violence par manque de capacité d'articuler une réponse se situant sur le même plan, et en se croyant courageux en prime, après avoir buté deux vieux de près de 80 ans.

Nous vivons dans une société de l'image, qui s'avère désormais incapable d'assurer l'éducation de base à l'image, de permettre aux gens qui sont dedans de se forger un rapport sain et adulte à l'image**. Ça dépasse le simple problème de la liberté d'expression, parce que la liberté d'expression suppose quelques outils conceptuels pour gérer les expressions dissonantes. Notre société a œuvré pendant des siècles pour se doter de ces outils précieux, qui sont la condition préliminaire d'un débat appaisé.

Alors voilà, je n'étais même pas particulièrement amateur de Charlie, à la base (et la période Val avait de toute façon suffi à m'éloigner définitivement de la lecture de ce journal), mais ce qui vient de se passer démontre s'il en était besoin l'importance de l'existence de ce genre de voix. Ce sont elles qui prouvent que nous pouvons gérer de l'image, même dérangeante, des avis grinçants, des vacheries, et qu'ils ne sont que ça, des images, des avis et des vacheries et qu'on n'en meurt pas.

Ou qu'en tout cas, on ne devrait pas en mourir.







*Cette même question de l'interdiction de représentation a conduit plusieurs pays à faire interdire le film Exodus, de Ridley Scott. C'est ballot, c'est l'arbre qui cache la forêt. Les problèmes que pose Ridley Scott, depuis quelques années, sont d'une autre nature, notamment le fait qu'il soit incapable de voir quand un scénario est stupide ou creux, et que du coup il ne filme plus que des trucs que même Michael Bay trouverait débiles.

**Et ce n'est pas un problème spécifique à l'Islam, on voit bien que la liberté d'expression est attaquée de tous les côtés, de nos jours, que ce soit de façon frontale, notamment par des organisations catholiques ou par les anti Zemmour, ou par les Nord Coréens, qui pour le coup sont tous à mettre dans le même sac, ou beaucoup plus insidieuse, voir les révélations Snowden.

Commentaires

Odrade a dit…
Merci Alex, un message très juste.
Moi non plus je ne lis pas Charlie Hebdo depuis longtemps.
Chuis encore sous le coup. C'est horrible.
Mais effectivement, il faut se rappeler la raison pour laquelle ils sont morts et continuer leur combat contre l'intolérance et le fanatisme.
O.
Gewll a dit…
Salut Niko
Tout est dit ,le silence et sidération.
Je suis Charlie
Tonton Rag a dit…
1) les grands esprits se rencontrent : je voulais titrer mon commentaire presque comme tu as titré ton titre (que je ne connaissais pas quand tu m'en a parlé au téléphone) mais je l'aurais écris différemment : "balles tragiques à Charlie".

2) La presse donne déjà les noms des tueurs : on aurait trouvé une carte d'identité dans la voiture. Après tout, pourquoi pas? On a bien trouvé un passeport dans les heures ayant suivies le 11 septembre 2001. Même Bigard trouve cela normal, alors...

3) La vraie question que personne ne pose c'est : quels sont les VRAIS soutiens aux terroristes ? Il y a un an ou un peu plus, Laurent Fabius disait d'un groupe terroriste en Syrie qu'il faisait du bon boulot... A force de jouer avec des grenades dégoupillées, il est normal que l'une d'elle nous explose à la gueule. La réalité, c'est que l'occident, quand il doit choisir entre un régime arabe nationaliste et un régime islamiste, il choisit le régime islamiste, et cela depuis au moins les années 70, quand les États-Unis finançaient Ben Laden en Afghanistan, mais aussi en Bosnie, en Lybie (certains dans ce blog avaient approuvé à l'époque), en Irak, en Syrie ...
Le coup de l'union sacré, on me l'a déjà fait en 1914. Ne nous laissons plus avoir. Tant que Sarkozy, Hollande et Fabius (et d'autres) ne sont pas poursuivi pour crime contre la Paix, il n'y a pas lieu de faire une union sacrée.
Alex Nikolavitch a dit…
Tout dépend aussi de ce qu'on met dans l'union sacrée.

Si c'est "allons vaillamment assurer les dividendes de Dassault et Lagardère", je suis bien d'accord que c'est à côté de la plaque.

Ce que je vois pour l'instant, c'est une union sacrée de la presse qui propose de fournir une logistique pour que Charlie sorte la semaine prochaine. Parce que le vrai enjeu il est là : si Charlie s'arrête, alors qu'on qu'on fasse ensuite, même en panpan à grande échelle, alors ses assassins ont gagné.

Le truc qui me chiffonne, c'est que les types étaient repérés et surveillés, et qu'ils ont réussi quand même ce coup-là, alors qu'en parallèle, on s'inquiète depuis longtemps des dérives potentielles de la DGSI, réputée avoir une grosse puissance d'écoute. Valls a beau dire que le risque zéro n'existe pas, et dans ces affaires, c'est bien évidemment vrai, ça n'exonère en aucun cas les responsables du suivi des "revenus de Syrie".

Sur le double langage des politiques, il est évident que tant qu'on jouera la politique extérieure pour des raisons de politique intérieure (syndrome dit "de Clinton", mais la Lybie en était en effet une illustration claire), ça ne pourra que sauter à la figure des apprentis sorciers, et du corps électoral qu'ils prétendent rassurer.

Posts les plus consultés de ce blog

My mama said to get things done...

Je suis passé à Aurore Système, petit salon de SF organisé à Ground Control, à Paris, par la librairie Charybde. Je ne connaissais pas le lieu, que j'ai découvert et qui est très chouette. Je venais surtout pour une table ronde sur l'IA, qui est un des sujet importants de nos jours et déchaîne les passions, surtout sous sa forme "générative", les chat GPT, Midjourney et autres. Je me suis tenu un peu à l'écart de ces trucs-là, pour ma part. Je suis très méfiant (même s'il m'est arrivé d'employer Deep-L professionnellement pour dégrossir des traductions du français vers l'anglais, que je retravaillais en profondeur ensuite), parce que l'ai bien conscience du processus et des arrières pensées derrière. J'en ai déjà causé sur ce blog, ici et ici .  La table ronde réunissait trois pointures, Olivier Paquet, Catherine Dufour et Saul Pandelakis, qui ont écrit sur le sujet, et pas mal réfléchi. Lors des questions qui ont suivi, on a eu aussi une...

Un bouquin pour les gouverner tous

  Tiens, j'en avais pas encore causé parce que j'attendais que ce soit officialisé, mais le prochain Pop Icons portera ma signature et sur J.R.R. Tolkien (oui, je tente le zeugme acrobatique, je suis comme ça). Comme pour mon précédent, consacré à H.P. Lovecraft, il y aura une campagne de financement participatif , mais  on pourra aussi le trouver en kiosque et en librairie d'ici la fin du mois prochain. Je suis un peu moins pointu à la base en Tolkien qu'en Lovecraft, mais j'ai fait mes devoirs pour l'occasion, découvrant pas mal de trucs que je n'avais pas lus jusqu'alors, notamment ses correspondances. Voilà, foncez, pour Eorlingas, la Comté et tout le reste !    

De géants guerriers celtes

Avec la fin des Moutons, je m'aperçois que certains textes publiés en anthologies deviennent indisponibles. J'aimais bien celui-ci, que j'ai sérieusement galéré à écrire à l'époque. Le sujet, c'est notre vision de l'héroïsme à l'aune de l'histoire de Cúchulainn, le "chien du forgeron". J'avais par ailleurs parlé du personnage ici, à l'occasion du roman que Camille Leboulanger avait consacré au personnage . C'est une lecture hautement recommandable.     Cúchulainn, modèle de héros ? Guerrier mythique ayant vécu, selon la légende, aux premiers temps de l’Empire Romain et du Christianisme, mais aux franges du monde connu de l’époque, Cúchulainn a, à nos yeux, quelque chose de profondément exotique. En effet, le « Chien du forgeron » ne semble ni lancé dans une quête initiatique, ni porteur des valeurs que nous associons désormais à l’héroïsme. Et pourtant, sa nature de grand héros épique demeure indiscutable, ou en tout cas...

Le grand livre des songes

 Encore un rêve où je passais voir un de mes éditeurs. Et bien sûr, celui que j'allais voir n'existe pas à l'état de veille, on sent dans la disposition des locaux, dans les gens présents, dans le type de bouquins un mix de six ou sept maisons avec lesquelles j'ai pu travailler à des titres divers (et même un peu d'une agence de presse où j'avais bossé du temps de ma jeunesse folle). Et, bien sûr, je ne repars pas sans que des gars bossant là-bas ne me filent une poignée de bouquins à emporter. Y avait des comics de Green Lantern, un roman, un truc sur Nightwing, un roman graphique à l'ambiance bizarre mettant en parallèle diverses guerres. Je repars, je m'aperçois que j'ai oublié de demander une nouveauté qui m'intéressait particulièrement, un autre roman graphique. Ça vient de fermer, mais la porte principale n'a pas encore été verrouillée. Je passe la tête, j'appelle. J'ai ma lourde pile de bouquins sous le bras. Clic. C'était ...

Medium

 Un truc que je fais de temps en temps, c'est de la médiation culturelle. Ce n'est pas mon métier, mais je connais suffisamment bien un certain nombre de sujets pour qu'on fasse appel à moi, parfois, pour accompagner des groupes scolaires dans des expos, des trucs comme ça. Là, on m'a appelé un peu à l'arrache pour accompagner une animation interactive sur les mangas, et notamment les mangas de sport, avec des groupes de centres de loisirs. Bon, c'est pas ma discipline de prédilection, j'ai révisé un peu vite fait. Le truc, c'est qu'on m'en a causé la semaine passée. La personne qui devait s'en charger était pas trop sur d'elle. La mairie du coin (dans une banlieue un poil sensible) voyait pas le truc bien s'emmancher, la patronne d'une asso où je donne des cours l'a su, a balancé mon nom, m'a prévenu... Et c'en était resté là. Je restais à dispo au cas où. On m'a rappelé ce matin "bon, on va avoir besoin de t...

Sweet sixteen

Bon, ayé, nous voilà en 2016, donc tous mes vœux à tous. Et comme bonne résolution de nouvel an, et comme les années précédente, j'ai pris la résolution de ne pas prendre de bonnes résolutions. Parce que primo on ne les tient pas, et secundo on a mauvaise conscience de ne pas les tenir, donc c'est doublement contre-productif. Hier soir, pour le réveillon, il a fallu que je me démerde pour servir un truc sympa un peu au débotté, à l'arrache, avec ce que j'ai pu dénicher à la supérette du coin, préalablement pillée par d'autres retardataires juste un peu moins retardataires que moi. Déjà qu'ils n'ont pas des masses de choix en temps normal, là c'était un peu le Sud Soudan. Donc outre les entrées basiques, petits canapés agrémentés de garnitures sympas, j'ai préparé un truc un peu nouvelle cuisine, dont l'idée mes venue en furetant dans le rayon (bon, si ça se trouve, ça existe déjà, mais j'ai trouvé le truc, de mon côté, en faisant un jeu...

Unions, ré-unions, il en restera toujours quelque chose si on s'y prend pas comme des chancres

 Bon, j'en ai jamais fait mystère, mais j'ai tendance à faire savoir autour de moi que la réunionite est un peu le cancer de notre société moderne. Je supporte pas les grandes tablées où, passé l'ordre du jour ça oscille entre le concours de bite et la branlette en rond, pour des résultats concerts qui seraient obtenus en règle générale avec un mail de dix lignes.   éviter la Cogip   Quoi ? Oui, je suis inapte au simagrées du monde de l'entreprise moderne, chacun de mes passages dans des grands groupes m'a convaincu que c'étaient des carnavals de... non, aucun mot utilisable en public ne me vient. Et mes passages aux conseils d'administrations d'associations n'ont pas été mieux. Le problème, ce n'est même pas la structure, qu'elle soit filiale d'un truc caquaranqué ou petit truc local tenu avec des bouts de ficelle. Et pourtant, des fois, faut bien en passer par là, j'en ai conscience. Voir les gens en vrai, se poser autour d'une ...

Le diable dans les détails

 La nouvelle série Daredevil, Born Again vient de commencer chez Disney, reprenant les mêmes acteurs que l'ancienne et développant des choses intéressantes, pour ce qu'on en voit jusqu'ici, faisant évoluer la relation entre Fisk et Murdock, le Kingpin étant désormais traité sous un angle plus politique, avec quelques coups de pieds de l'âne envers Trump et ses thuriféraires, ce qui après tout est de bonne guerre. J'étais un peu passé à côté de la vieille série, dont je n'avais pas vu grand-chose, mais je j'ai tranquillement rattrapé ces derniers temps, la réévaluant à la hausse.   Du coup, ça m'a surtout donné envie de me remettre aux comics. Daredevil, c'est un personnage que j'ai toujours bien aimé. Je me suis donc refait tous les Miller en une petite semaine. Hormis quelques épisodes, je n'avais pas relu ça d'un bloc depuis une bonne dizaine d'années. Ça reste un des runs fondamentaux sur le personnage, et tout ce qui vient après...

Numérologie

Tous les auteurs, je crois, ont leur petites coquetteries et afféteries d'écriture, des trucs auxquels ils tiennent et qui ne fascinent généralement qu'eux, et que personne ne remarque vraiment.   Bon, tout le monde a remarqué mes titres alambiquées sur la trilogie du Chien Noir , en allitération, reprenant la première phrase de chaque roman. C'était pour moi un moyen de me glisser dans des formes très anciennes, des codes de l'épopée, même si, fondamentalement, je ne sais pas si ces textes constituent en soi des épopées. Ils ont quelques moments épiques, je crois, mais ce n'en est pas la clé principale. Plus discret, il y a un jeu numérologique qui a émergé en cours de route. Mais reprenons : Trois Coracles, au départ, était conçu comme un one shot . Ce qui m'avait motivé, je l'ai déjà raconté, c'était l'histoire d'Uther, j'avais l'idée de transformer cette note en bas de page du récit arthurien en intrigue principale. Une fois le roman...

We have ignition !

Ayé, je viens de recevoir au courrier un exemplaire de Cosmonautes ! les Conquerants de l'Espace , mon dernier bouquin en date. L'on y explore deux mille ans et plus de projections vers le firmament, et c'est chez les Moutons électriques, excellent éditeur chez qui j'avais déjà commis Mythe & Super-Héros , Apocalypses ! une brève histoire de la fin des temps ainsi que diverses petites choses dans la revue Fiction .    Le mois prochain, vous pourrez aussi me retrouver dans le Dico des Créatures Oubliées , aux côtés de gens fort estimables comme Patrick Marcel, André-François Ruaud, Xavier Mauméjean ou Richard D. Nolane, et j'en passe. Ça sortira le 2 octobre, toujours chez les Moutons électriques.