Alors que nous tombe du ciel une nouvelle aventure de l'homme dont le nom est Bond, James Bond, on est en droit de se demander comment l'espion, inquiétant personnage de l'ombre et terreur des décideurs, est devenu l'icone pop qu'il est aujourd'hui.
Parce qu'il faut bien le dire, l'espion n'est pas glamour, à la base. De tout temps, il a été le type qui soudoie, qui laisse traîner ses oreilles, qui se fait passer pour ce qu'il n'est pas. Indispensable (et encore, Napoléon a écrit à plusieurs reprises le peu de bien qu'il pensait de la fiabilité de l'espionnage dans le domaine militaire), il est généralement méprisé. Et de par sa fonction, il reste discret et est difficile à starifier. Historiquement, peu d'espions sont vraiment devenu des personnages célèbres. Le Chevalier d'Eon, plus parce que sa capacité à se faire passer pour une dame excitait l'imagination des gens, Mata Hari, que son côté people rendait media-friendly, et puis les transfuges de la Guerre Froide, les Burgess, Philby et autres, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ont rarement obtenu la sympathie du public. Qui plus est, on n'entend généralement parler des espions que quand ils se ratent, comme dans le cas de l'affaire du Raimbow Warrior, qui avait bien fait rire tout le monde.
Dans le monde réel, les espions véhiculent d'autres fantasmes aussi, comment en témoignent l'affaire de l'étudiante chinoise de chez Valéo, puis celle des barbouzeries croisées au techno-centre de Renault. Les vrais espions n'ont pas de Walter PPK, ils s'intéressent plutôt aux prochaines générations de plaquettes de freins.
Pourtant, l'espion, parfois renommé "Agent Secret" pour faire plus classe, est un des héros de notre temps. James Bond est une valeur sûre, déclinée et copiée de partout, Michael Caine a construit sa carrière sur un paquet de films d'espionnage, Monsieur Phelps est passé dans le langage courant sans pour autant s'autodétruire cinq secondes plus tard, et je ne parle même pas des productions plus ou moins inspirées qui inondent nos écrans et les bacs de la Série Noire. Et puis il y aussi ce brave Nick Fury, qui a donné au "secret" d'agent secret un sens pour le moins décalé. En fait, tout se passe comme pour le policier : mal aimé dans la vie, il n'est vraiment apprécié que sur écran ou sur papier.
Mais ces espions de la pop culture, en sont-ils encore vraiment. J'évoquais Nick Fury, et force est de constater que neuf fois sur dix, il se comporte plus en super commando qu'autre chose. James Bond, c'est pareil : peut-on réellement croire à un agent secret qui s'affiche autant et de façon si peu discrète ? D'un autre côté, vous me direz, Fleming s'était inspiré d'un espion yougoslave appelé Dušan Popov qui avait théorisé son propre manque de discrétion, considérant qu'on n'est jamais mieux caché qu'en pleine lumière.
Souvent, l'espion de cinéma est un surhomme qui défie les lois les plus élémentaires de la physique et des probabilités. C'est d'autant plus curieux que le créateur de James Bond, Ian Fleming, a été au service secret de sa Majesté pendant toute la durée de la seconde guerre mondiale, et qu'on imagine qu'il savait comment ça se dansait. Plus amusant encore, James Bond, déjà assez parodique, a fini par être intensivement parodié, via des délires (très jouissifs, ceci dit) comme Austin Powers et autres OSS 117 en version Dujardin. Dernièrement, les amateurs du genre auront pu aussi se mettre sous la dent les exploits kungfutesques de la petite Jennifer Garner, vedette de la série Alias, qui se laisse regarder sans déplaisir.
Mais l'espionnage réaliste sur pellicule existe. Dans le film Les Patriotes, Yvan Attal joue un jeune espion recruté par les services secrets israéliens, qui apprend à la dure les règles psychotiques qui régissent la profession. Hormis un happy end pas vraiment indispensable, le film tient super bien la route et flirte pas mal avec la démonstration de cynisme pur et dur, se refusant aux effets spectaculaires, plongeant plutôt dans les méandres de modes de pensées assez particuliers. Spy Games, avec Robert Redford et Brad Pitt, quoi que plus spectaculaire, montre assez bien le backstage des affaires d'espionnage, les tractations et les magouilles qui ont lieu à l'arrière plan des opérations sur le terrain, avec là aussi des moments d'un cynisme effrayant (et là aussi un happy end, mais plus soft que l'autre).
MI5 (ou Spooks, en VO) est aussi une série hyper bien foutue sur le Renseignement intérieur à la Britannique. Peu d'effets de grand spectacle, mais pas mal de coups de couteau dans le dos au niveau politique, guéguerres entres services, et cas de conscience. De la très bonne came comme seuls les Biflandais savent en faire.
La trilogie (plus un) Jason Bourne, de son côté, renoue avec l'espionnage pas discret et larger than life. Et en plus, c'est tout repompé sur XIII. Non, je déconne. C'est de toute façon moins délirant que les grand guignolesques Mission : Impossible avec Tom Cruise.
Pour les archivistes, Double Trahison, de Terrence Young (qui avait été le réalisateur du premier James Bond, d'ailleurs, et dont un des personnages est joué par un des acteurs ayant incarné Blofeld) est un bon petit film bien ficelé, dans lequel un transfuge passé à l'Est change de visage afin d'accomplir une ultime mission dans son pays natal. Sauf que s'il y a quelqu'un qui a plus de mal à gérer sa double vie que l'agent double, c'est bien... Le transfuge double.
Mais force est de reconnaître que ce genre d'approche passionne moins les foules que la perspective de voir Pierce Brosnan ou Daniel Craig sauter d'un hélicoptère qui part en vrille pour aterrir au volan d'une voiture de luxe à côté d'une créature de rêve qui croise haut les jambes sous sa jupe fendue très haut.
Mais Brosnan a su montrer les aspects troubles de cette fantasmatique en en prenant le contre-pied dans Taylor of Panama, adapté d'un roman de l'ancien barbouze John Le Carré, dans lequel il incarne un fonctionnaire au service secret de Sa Majesté qui tente le coup pour le coup en levant une affaire abracadabrantesque, histoire de se faire passer pour ce qu'il n'est pas du tout, à savoir un super-agent. Voire même un agent raisonnablement compétent. Notre Pierce se fait piercer à jour et rouler dans la farine par quelqu'un qui a bien saisi son délire et l'image démesurée et romantique qu'il tente d'avoir de lui-même.
Plus récemment, la Taupe, adapté là encore d'un roman de John Le Carré (roman lui-même largement inspiré de l'affaire Philby) avec Gary Oldman dans le rôle de l'austère et grisâtre Monsieur Smiley, a réactualisé l'image de l'espion comme fonctionnaire passe-partout et insignifiant, cette insignifiance devenant une grande force.
En comics, on ne peut que recommander l'excellente série Queen and Country, écrite par Greg Rucka, bien ancrée dans l'actualité et dans les travers et détours de la real-politik et de la procédure.
Arrivé à ce stade de mon exposé, il s'avère que je n'ai toujours pas répondu à la question initiale qui était, si je me souviens bien : "comment l'espion est-il devenu l'icone pop qu'il est aujourd'hui ?". Ça tombe mal, je n'ai pas vraiment la réponse. Il y a sans doute à l'oeuvre un processus analogue à celui qui a fait du policier un héros universel, sauf dans la vie réelle. En effet, l'espion comme le flic ont a faire face à des situations extrêmes, que le commun des mortels préfère éviter, mais sur lesquelles il aime bien à fantasmer. Notons que le mafieux semble aussi plus ou moins dans ce cas.
Et puis, dans le cas de l'espion, il doit entrer aussi une part de goût pour la paranoïa, de passion des théories de la conspiration, ce désir d'imaginer que la vraie histoire se déroule de façon sous-jacente, que la vérité est ailleurs. Et des opérations d'espionnage bien réelles, comme Fortitude ou Mincemeat, qui ont lourdement pesé sur la conduite des opérations durant la Seconde Guerre Mondiale, ont tendance à conforter le public dans cette idée.
Mais bon... Je n'ai rien dit, tout ça c'est de l'info sur le manteau, je ne suis même pas là, et si vous étiez capturé ou tué, je nierai bien entendu avoir connaissance de vos activités, voire de votre existence...
Les plus perspicaces d'entre vous auront remarqué que cet article n'est qu'une version légèrement réactualisée de celui que j'avais publié il y a six ou sept ans sur Superpouvoir.com. J'ai déjà tellement de textes qui trainent dans mes tiroirs qu'il faut bien que j'en ressorte de temps en temps...
Parce qu'il faut bien le dire, l'espion n'est pas glamour, à la base. De tout temps, il a été le type qui soudoie, qui laisse traîner ses oreilles, qui se fait passer pour ce qu'il n'est pas. Indispensable (et encore, Napoléon a écrit à plusieurs reprises le peu de bien qu'il pensait de la fiabilité de l'espionnage dans le domaine militaire), il est généralement méprisé. Et de par sa fonction, il reste discret et est difficile à starifier. Historiquement, peu d'espions sont vraiment devenu des personnages célèbres. Le Chevalier d'Eon, plus parce que sa capacité à se faire passer pour une dame excitait l'imagination des gens, Mata Hari, que son côté people rendait media-friendly, et puis les transfuges de la Guerre Froide, les Burgess, Philby et autres, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ont rarement obtenu la sympathie du public. Qui plus est, on n'entend généralement parler des espions que quand ils se ratent, comme dans le cas de l'affaire du Raimbow Warrior, qui avait bien fait rire tout le monde.
Dans le monde réel, les espions véhiculent d'autres fantasmes aussi, comment en témoignent l'affaire de l'étudiante chinoise de chez Valéo, puis celle des barbouzeries croisées au techno-centre de Renault. Les vrais espions n'ont pas de Walter PPK, ils s'intéressent plutôt aux prochaines générations de plaquettes de freins.
Pourtant, l'espion, parfois renommé "Agent Secret" pour faire plus classe, est un des héros de notre temps. James Bond est une valeur sûre, déclinée et copiée de partout, Michael Caine a construit sa carrière sur un paquet de films d'espionnage, Monsieur Phelps est passé dans le langage courant sans pour autant s'autodétruire cinq secondes plus tard, et je ne parle même pas des productions plus ou moins inspirées qui inondent nos écrans et les bacs de la Série Noire. Et puis il y aussi ce brave Nick Fury, qui a donné au "secret" d'agent secret un sens pour le moins décalé. En fait, tout se passe comme pour le policier : mal aimé dans la vie, il n'est vraiment apprécié que sur écran ou sur papier.
Mais ces espions de la pop culture, en sont-ils encore vraiment. J'évoquais Nick Fury, et force est de constater que neuf fois sur dix, il se comporte plus en super commando qu'autre chose. James Bond, c'est pareil : peut-on réellement croire à un agent secret qui s'affiche autant et de façon si peu discrète ? D'un autre côté, vous me direz, Fleming s'était inspiré d'un espion yougoslave appelé Dušan Popov qui avait théorisé son propre manque de discrétion, considérant qu'on n'est jamais mieux caché qu'en pleine lumière.
Souvent, l'espion de cinéma est un surhomme qui défie les lois les plus élémentaires de la physique et des probabilités. C'est d'autant plus curieux que le créateur de James Bond, Ian Fleming, a été au service secret de sa Majesté pendant toute la durée de la seconde guerre mondiale, et qu'on imagine qu'il savait comment ça se dansait. Plus amusant encore, James Bond, déjà assez parodique, a fini par être intensivement parodié, via des délires (très jouissifs, ceci dit) comme Austin Powers et autres OSS 117 en version Dujardin. Dernièrement, les amateurs du genre auront pu aussi se mettre sous la dent les exploits kungfutesques de la petite Jennifer Garner, vedette de la série Alias, qui se laisse regarder sans déplaisir.
Mais l'espionnage réaliste sur pellicule existe. Dans le film Les Patriotes, Yvan Attal joue un jeune espion recruté par les services secrets israéliens, qui apprend à la dure les règles psychotiques qui régissent la profession. Hormis un happy end pas vraiment indispensable, le film tient super bien la route et flirte pas mal avec la démonstration de cynisme pur et dur, se refusant aux effets spectaculaires, plongeant plutôt dans les méandres de modes de pensées assez particuliers. Spy Games, avec Robert Redford et Brad Pitt, quoi que plus spectaculaire, montre assez bien le backstage des affaires d'espionnage, les tractations et les magouilles qui ont lieu à l'arrière plan des opérations sur le terrain, avec là aussi des moments d'un cynisme effrayant (et là aussi un happy end, mais plus soft que l'autre).
MI5 (ou Spooks, en VO) est aussi une série hyper bien foutue sur le Renseignement intérieur à la Britannique. Peu d'effets de grand spectacle, mais pas mal de coups de couteau dans le dos au niveau politique, guéguerres entres services, et cas de conscience. De la très bonne came comme seuls les Biflandais savent en faire.
La trilogie (plus un) Jason Bourne, de son côté, renoue avec l'espionnage pas discret et larger than life. Et en plus, c'est tout repompé sur XIII. Non, je déconne. C'est de toute façon moins délirant que les grand guignolesques Mission : Impossible avec Tom Cruise.
Pour les archivistes, Double Trahison, de Terrence Young (qui avait été le réalisateur du premier James Bond, d'ailleurs, et dont un des personnages est joué par un des acteurs ayant incarné Blofeld) est un bon petit film bien ficelé, dans lequel un transfuge passé à l'Est change de visage afin d'accomplir une ultime mission dans son pays natal. Sauf que s'il y a quelqu'un qui a plus de mal à gérer sa double vie que l'agent double, c'est bien... Le transfuge double.
Mais force est de reconnaître que ce genre d'approche passionne moins les foules que la perspective de voir Pierce Brosnan ou Daniel Craig sauter d'un hélicoptère qui part en vrille pour aterrir au volan d'une voiture de luxe à côté d'une créature de rêve qui croise haut les jambes sous sa jupe fendue très haut.
Mais Brosnan a su montrer les aspects troubles de cette fantasmatique en en prenant le contre-pied dans Taylor of Panama, adapté d'un roman de l'ancien barbouze John Le Carré, dans lequel il incarne un fonctionnaire au service secret de Sa Majesté qui tente le coup pour le coup en levant une affaire abracadabrantesque, histoire de se faire passer pour ce qu'il n'est pas du tout, à savoir un super-agent. Voire même un agent raisonnablement compétent. Notre Pierce se fait piercer à jour et rouler dans la farine par quelqu'un qui a bien saisi son délire et l'image démesurée et romantique qu'il tente d'avoir de lui-même.
Un authentique espion s'est perfidement (et subrepticement)
glissé dans une brochette d'espions d'opérette
Ami lecteur, sauras-tu le reconnaitre ?
En comics, on ne peut que recommander l'excellente série Queen and Country, écrite par Greg Rucka, bien ancrée dans l'actualité et dans les travers et détours de la real-politik et de la procédure.
Arrivé à ce stade de mon exposé, il s'avère que je n'ai toujours pas répondu à la question initiale qui était, si je me souviens bien : "comment l'espion est-il devenu l'icone pop qu'il est aujourd'hui ?". Ça tombe mal, je n'ai pas vraiment la réponse. Il y a sans doute à l'oeuvre un processus analogue à celui qui a fait du policier un héros universel, sauf dans la vie réelle. En effet, l'espion comme le flic ont a faire face à des situations extrêmes, que le commun des mortels préfère éviter, mais sur lesquelles il aime bien à fantasmer. Notons que le mafieux semble aussi plus ou moins dans ce cas.
Et puis, dans le cas de l'espion, il doit entrer aussi une part de goût pour la paranoïa, de passion des théories de la conspiration, ce désir d'imaginer que la vraie histoire se déroule de façon sous-jacente, que la vérité est ailleurs. Et des opérations d'espionnage bien réelles, comme Fortitude ou Mincemeat, qui ont lourdement pesé sur la conduite des opérations durant la Seconde Guerre Mondiale, ont tendance à conforter le public dans cette idée.
Mais bon... Je n'ai rien dit, tout ça c'est de l'info sur le manteau, je ne suis même pas là, et si vous étiez capturé ou tué, je nierai bien entendu avoir connaissance de vos activités, voire de votre existence...
Les plus perspicaces d'entre vous auront remarqué que cet article n'est qu'une version légèrement réactualisée de celui que j'avais publié il y a six ou sept ans sur Superpouvoir.com. J'ai déjà tellement de textes qui trainent dans mes tiroirs qu'il faut bien que j'en ressorte de temps en temps...
Commentaires
Bon complément de l'article de m'sieur Dada sur l'opération Argo.
Sinon, je recommande La Guerre froide dans le roman d'espionnage de Roland Lacourbe, sur le sujet.
http://www.amazon.fr/guerre-froide-dans-cin%C3%A9ma-espionnage/dp/B00393TJ4S