à l'occasion de démarches administratives à Paris, Je suis repassé vite fait à la librairie Regard Moderne, rue Gît le Cœur dans le 6ème, où je n’avais plus remis les pieds depuis cinq ou six ans, en fait depuis que je ne passe plus à St Michel qu’en coup de vent et dans des but précis, genre rendez-vous urgents, courses spécifiques, etc. Pour ceux qui ne connaissent pas, Regard Morderne, c’est une minuscule librairie alternativo underground dans laquelle on trouve de tout, du comics aux études sur les drogues psychédéliques, des trucs sur le SM, le NSK, l’érotisme et les tatouages, Lovecraft, le Kama-sutra et Fantômas, sur la contre culture en général, les pulps, le polar, des artbooks zarbis, des K7 de William Burroughs et des DVD du Jim Rose Circus (ou l'inverse, d'ailleurs, on s'y perd). Regard Moderne, c’est un peu comme si on ouvrait une librairie dans la tête d’Artemus Dada.
Le truc, c’est que ça a toujours été immensément bordélique, mais que le bonhomme qui tient ça a toujours su où était tout. Il a une espèce de mémoire éidétique de son stock, un peu comme un dragon d’heroïc fantasy qui appelle chacune des pièces d’or de son tas par son petit nom. Et une mémoire au long terme, aussi : je lui posai la question à propos d’un vieil artbook que j’avais vu chez lui, il a pu me dire précisément combien il en avait eu et depuis quand il ne l’avait plus (ce qui est fort dommage : j'adore le boulot de Keleck).
Mais le truc terrifiant, c’est que le bordel ambiant a fait des petits. Ça a toujours été capharnaümesque au dernier degré, c'était déjà proverbial pour ça il y a vingt ans, mais là, c’est pire. Pour accéder au fond du magazin, il faut se contorsionner et passer entre les piles instables de bouquins. Son local fait, à vue de pif, 25 ou 30 mètres carrés, mais il y a dedans de quoi remplir ras la gueule une librairie de 100 ou 120 mètres carrés. Et ça aurait l’air bien plein. Là, c’est juste devenu la documentation de Gaston Lagaffe s’il avait bossé dans un asile de fous où l’on aurait fini par enfermer les Freak Brothers, Jacques Bergier et tous les personnages de Hellraiser pour qu’ils y fassent des partouses et des petits. On a peur d’éternuer, parce qu’au moindre geste de traviole, c’est 150 kilos de bouquins qui vous tombent sur la tronche en déclenchant des réactions en chaîne.
C'est la négation totale de la vogue actuelle du flux tendu, selon laquelle "le stock, c'est le mal", celle qui fait que votre supérette du coin n'a plus de frites surgelées quand vous vous déplacez exprès pour aller en acheter, ou que votre pharmacien n'arrive plus à avoir le vaccin dont vous avez besoin pour votre rappel à faire cette semaine, dernier carat. Ce genre de pieds de nez appuyé à l'esprit du temps est aussi salutaire que rafraîchissant.
C’est tentaculaire, foisonnant, étrange et merveilleux tout à la fois. J’avais oublié à quel point j’adore cet endroit.
Commentaires
Je ne peux plus y passer régulièrement, mais ces dernières années les allées sont devenues rigoureusement impraticables, la petite "galerie" ne permet plus d'approcher les bouquins.
D'un côté comme tu dis, il y a du stock mais le plaisir de trouver quelque chose (par soi-même) est pour le moins une belle utopie.
Et merci pour le clin d'oeil.
Pénétrer chez lui est dangereux et, si vous reperez un bouquin, il faut le prendre de suite (sauf si c'est en bas d'une pile de trois metre cinquante de haut...) parce que bientôt, il sera enfouit sous une tonne de volumes. On doit chercher les livres avec une échelle que l'on pose sur des piles instables. La seule comparaison possible est la salle de documentation de chez Dupuis. Par contre je doute qu'il connaisse par coeur ses stocks...