Accéder au contenu principal

Quand on n'a pas de pétrole (et qu'on préfère avoir des idées)

Vous devez, vous aussi, avoir pas loin de chez vous une de ces grandes surfaces pour pauvres qui, dans un cadre assez morne proposent des produits de marques improbables et à bas prix, mis en tas dans le magasin, sans souci d'organiser un linéaire ni d'offrir une quelconque diversité : il y a une marque de raviolis, une marque de yaourts, etc. et des offres ponctuelles dont les catalogues distribués dans les boites aux lettres se font parfois l'écho, genre la plante verte géante en plastique à prix fracassé, le service d'assiettes à soupe en imitation faïence à prix imbattable, et le dérouleur à pécul au prix du rouleau de pécul. En général, le seul bouquin qu'on puisse y trouver est, selon les semaines, un album à colorier Bob l'Eponge ou un album photo d'une quelconque équipe de foot.

Il y a une de ces grandes surfaces dans ma ville, mais à l'autre extrémité, juste au bord du département. Traverser la rue devant cette grosse supérette, c'est changer de territoire administratif. C'est presque la Frontière. Comme la ville est étendue, et que la plupart des bus ne vont pas jusque là, c'est un quartier où je ne mets que rarement les pieds. Mes affaires m'y ont néanmoins appelé aujourd'hui. Juste de l'autre côté de la Frontière, d'ailleurs. Dans l'autre entité administrative, celle dont le numéro est différent. Dans l'ailleurs. Oh, à présent, avec la nouvelle normalisation des plaques, le changement se perçoit moins d'emblée. Mais quand même.

Mes affaires une fois réglées, et revenant sur mes pas pour rentrer dans mes pénates avec la satisfaction du devoir accompli, je suis repassé devant cet endroit, et je me suis avisé que je n'avais plus de biscuits pour le café, et qu'ils devaient bien avoir quelque chose de rigolo qui pourrait faire l'affaire. J'en suis ressorti nanti de toutes sortes de curieux biscuits et nougats grecs, parce qu'ils avaient un plot "semaine grecque" pas loin des caisses. Une semaine grecque avec des biscuits et du nougat grec, mais pas de feta ni de sandwiches. C'est pas mal, d'ailleurs, le nougat grec. Ça vaut bien la vodka irlandaise. Faudra d'ailleurs que je teste le nougat grec trempé dans la vodka irlandaise, un jour, pour voir. Mais ce n'est pas le propos, là.

C'est en ressortant que je me suis avisé de quelque chose. J'étais le seul, visiblement, à être venu à pied. Tout le monde chargeait ses courses (avec une nette sur-représentation des packs de soda) dans des voitures, sur le parking. Sachant que plus aucune des pompes du secteur n'est approvisionnée et qu'ils avaient donc dû passer du temps rien que pour pouvoir remplir le réservoir histoire d'aller chercher leur soda. Une partie des gens étaient de mon quartier. Des gens dont je savais qu'ils n'étaient pas au chômage et gagnaient à peu près correctement leur vie. Que leurs revenus étaient sensiblement les mêmes que les miens. Des gens que je n'ai néanmoins jamais croisés dans les grandes surfaces "normales" où j'ai mes habitudes, ni sur le marché, ni chez les petits commerçants du bout de la rue. La seule différence de train de vie avec moi, c'étaient ces fichues bagnoles. Une voiture, ça représente une sacrée somme d'argent. Au fil du temps, j'ai souvent vu les gens se plaindre du prix de la culture, du prix des bouquins, des disques et des places de ciné. Toutes choses qui sont pourtant naturelles dans mon environnement. Alors que rien qu'un plein, c'est le prix d'un paquet de livres de poche, de quelques BDs, de plusieurs heures de musique. Pour le prix d'une bagnole d'entrée de gamme, je nourris tout à fait convenablement ma famille pendant un an en me fournissant chez des commerçants conventionnels. Le prix annuel de l'assurance permet d'aller au ciné toutes les semaines.

La bagnole est un outil de paupérisation, d'asservissement et d'abêtissement des masses, maintenant, je crois que c'est clair.

Commentaires

El a dit…
C'est complètement mon avis...
Et en plus c'est un outil archaïque qui a à peine évolué depuis sa conception. On a juste rajouté l'airbag et un peu d'électronique...
Devoir encore appuyer sur des pédales à l'ère où les airbus se pilotent presque seuls à l'aide d'un joystick et où même un amateur peut le faire sans encombre tant qu'il n'y a pas de problème mécanique, c'est presque insultant.
Je ne parle même pas de la dépendance aux énergies fossiles, ni, comme disait l'autre en parlant de gens qui le méritaient moins, du bruit et de l'odeur...
En plus, à part à la campagne où c'est indispensable, le réseau de transports en commun des grandes villes d'Europe est plus que suffisant pour se rendre d'un point à un autre, pour peu qu'on ait des pieds ne état de marche (si j'ose dire) en moins de temps qu'il n'en faut pour conduire.
Surtout à Paris.
Anonyme a dit…
Je suis d'accord sur un point : avoir une voiture quand on habite en ville relève de la bêtise pure et simple. Mais quelle autre solution ont ceux qui habitent à la campagne, où même dans des banlieues ? Prendre le train, c'est bien, mais comment faire quand la gare la plus proche se trouve à 25 kilomètres. La voiture est pour trop de gens un mal nécessaire. Mais pour la majorité citadine... Ceux-là n'ont il est vrai aucune excuse.
Alex Nikolavitch a dit…
on est d'accord. mais dans mon patelin, il y a deux gares, et le magasin était à cinq minutes à pinces d'une troisième gare, celle de la ville d'à côté. Plus deux lignes de bus qui ont des arrêts à côté.

et le nombre de gens qui, alors que j'habite pile entre deux gares à dix minutes de chaque, me regardent comme un martien parce que je n'ai ni bagnole, ni l'intention d'en avoir...

Par contre, ouais, à la campagne, d'accord (mais j'aime pas la campagne. je suis un Jack Hawksmoor, il me faut la ville pour survivre. au milieu des vaches, je déprime)

Posts les plus consultés de ce blog

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

L'iron Man de la Cannebière ?

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais en train de participer au tournage d'un film de guerre/catastrophe. Je faisais partie de l'équipage d'un véhicule blindé , bardé de mitrailleuses, opérant sur une côte. On était en ville, zigzaguant entre les voitures du quai, aux aguets. L'ambiance était vaguement post-nucléaire, les conducteurs avaient des gueules d'irradiés ou d'intervenants sur C-News, c'était moche en tout cas, ça puait la dégénérescence à plein nez. "Ça risque encore de péter" nous dit le lieutenant, joué par Matthew McConaughey. Inquiet, je regarde autour de moi, on est sur une voie des quais et soudain je vous l'eau enfler. Quelqu'un a déclenché un tsunami, peut-être à l'aide d'une bombe sous-marine. "Accrochez-vous, il va nous tomber dessus!" je hurle en me disant que ça va être la fin du film et qu'on aura droit à un freeze-frame juste avant que l'eau ne s'abatte sur nous, vaillants soldats al...

Another brick in the wall

Je causais y a quelques semaines de ça, dans une note sur Conan , de l'époque où Walt Simonson, connu notamment pour son excellent passage sur Thor dans les années 80, dont il donne une sorte d'épilogue pirate dans sa récente série Ragnarök, que je recommande assez, était tombé dans une pleine marmite de Druillet, tout comme son pote Jim Starlin (le papa de Thanos). Ça doit correspondre à l'époque où René Goscinny était allé démarcher des éditeurs US avec sous le bras des albums tirés de Pilote. Y avait du Mézières, du Moebius, et du Druillet. Et ça a complètement fait vriller pas mal de gens, même si Goscinny était rentré déçu, sans explosion de la publication d'auteurs franco-belges outre-Atlantique, le format de publication des oeuvres de chez nous n'existant tout simplement pas là-bas dans les années 70 (Starlin, encore lui, sera un peu plus tard un pionner de ce format "graphic novel" avec Death of Captain Marvel).  L'influence de Druillet (qui re...