Hum, j'ai bossé tard, ce soir, du coup on est déjà ce matin.
Pour souffler un peu, j'ai mis de l'ordre dans des fichiers de notes qui trainent. Et j'ai trouvé ce mail, datant d'il y a déjà quelques temps, que j'avais envoyé à des collègues traducteurs lors d'une discussion assez technique déclenchée par la demande d'un de nos éditeurs qui nous demandait de mettre la pédale douce sur les gros mots, même quand on traduisait des expressions imagées comme "motherfucker", "cunts" ou "nigga punk". La conversation tournait, du coup, autour de l'affadissement généralisé de la fiction, sous l'action entre autres des ligues familiales. (Je me rappelle avoir envoyé au responsable éditorial en question un texte où je prenais comme exemple probant le Roi Heenook, c'est dire si je suis suicidaire, parfois) (heureusement, cette personne ne savait pas qui c'était).
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"L'affadissement des fictions, il est lié à un facteur quasi simplissime : l'incapacité des monothéismes à gérer la fiction. Quand on parle de "vérité révélée", toute fiction est par essence un mensonge, et donc un coin planté dans le rocher de la vérité, destiné à l'affaiblir. Et de fait, la fiction, en multipliant les points de vue, atomise la notion de réalité. Sans aller jusqu'à Burroughs ou Dick, toute fiction basée sur le "c'est pas vrai, mais on fait comme si" présente une alternative à la réalité. Or, la nature du monothéisme est de refuser toute alternative, ce qui l'oblige à en nier le principe même. L'auteur qui fait de la fiction pour la fiction (au contraire de l'auteur qui fait de la fiction dans un but d'édification des masses) est un contestataire par essence.
Par ailleurs, à la base de toute bonne fiction, il y a la notion aristotélicienne de catharsis, d'exacerbation des sentiments (désir, amour, peur, haine, etc...) pour pouvoir s'en purger, pour pouvoir les manier, les assumer, les connaître. Les sociétés monothéistes ont toujours tenté d'instrumentaliser les sentiments, les besoins profonds. Créer une soupape, c'est empêcher ce contrôle, ou en amoindrir l'efficacité.
Dans notre société du "choc des civilisations", bien sûr que la fiction est l'ennemi qu'il faut vider de sa substance, et c'est inscrit dans notre "code génétique" culturel, en plus. L'exposition à la fiction et sa compréhension nous permet de nous affranchir de cette limitation de notre civilisation, comme les autres créateurs avant nous, mais une bonne partie de la population n'en sort jamais, principalement les gens éduqués dans des milieux fermés (bourgeoisie Catho, etc...). Les gens se demandent pourquoi les japonais se permettent bien plus de trucs dans leurs fictions. Parce que leur rapport à la fiction est totalement décomplexé, vierge du rapport au "mensonge".
La fiction, la création, c'est le Diable, mes amis, ne l'oubliez jamais."
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Voilà.
Ça fait pas mal de temps que je me dis qu'il faudrait que je développe ce bout de texte pour en faire un vrai article de fond, mais j'ai pas eu le temps. Alors avant que ça se perde dans une panne de disque dur, je fais tourner.
Pour souffler un peu, j'ai mis de l'ordre dans des fichiers de notes qui trainent. Et j'ai trouvé ce mail, datant d'il y a déjà quelques temps, que j'avais envoyé à des collègues traducteurs lors d'une discussion assez technique déclenchée par la demande d'un de nos éditeurs qui nous demandait de mettre la pédale douce sur les gros mots, même quand on traduisait des expressions imagées comme "motherfucker", "cunts" ou "nigga punk". La conversation tournait, du coup, autour de l'affadissement généralisé de la fiction, sous l'action entre autres des ligues familiales. (Je me rappelle avoir envoyé au responsable éditorial en question un texte où je prenais comme exemple probant le Roi Heenook, c'est dire si je suis suicidaire, parfois) (heureusement, cette personne ne savait pas qui c'était).
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"L'affadissement des fictions, il est lié à un facteur quasi simplissime : l'incapacité des monothéismes à gérer la fiction. Quand on parle de "vérité révélée", toute fiction est par essence un mensonge, et donc un coin planté dans le rocher de la vérité, destiné à l'affaiblir. Et de fait, la fiction, en multipliant les points de vue, atomise la notion de réalité. Sans aller jusqu'à Burroughs ou Dick, toute fiction basée sur le "c'est pas vrai, mais on fait comme si" présente une alternative à la réalité. Or, la nature du monothéisme est de refuser toute alternative, ce qui l'oblige à en nier le principe même. L'auteur qui fait de la fiction pour la fiction (au contraire de l'auteur qui fait de la fiction dans un but d'édification des masses) est un contestataire par essence.
Par ailleurs, à la base de toute bonne fiction, il y a la notion aristotélicienne de catharsis, d'exacerbation des sentiments (désir, amour, peur, haine, etc...) pour pouvoir s'en purger, pour pouvoir les manier, les assumer, les connaître. Les sociétés monothéistes ont toujours tenté d'instrumentaliser les sentiments, les besoins profonds. Créer une soupape, c'est empêcher ce contrôle, ou en amoindrir l'efficacité.
Dans notre société du "choc des civilisations", bien sûr que la fiction est l'ennemi qu'il faut vider de sa substance, et c'est inscrit dans notre "code génétique" culturel, en plus. L'exposition à la fiction et sa compréhension nous permet de nous affranchir de cette limitation de notre civilisation, comme les autres créateurs avant nous, mais une bonne partie de la population n'en sort jamais, principalement les gens éduqués dans des milieux fermés (bourgeoisie Catho, etc...). Les gens se demandent pourquoi les japonais se permettent bien plus de trucs dans leurs fictions. Parce que leur rapport à la fiction est totalement décomplexé, vierge du rapport au "mensonge".
La fiction, la création, c'est le Diable, mes amis, ne l'oubliez jamais."
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Voilà.
Ça fait pas mal de temps que je me dis qu'il faudrait que je développe ce bout de texte pour en faire un vrai article de fond, mais j'ai pas eu le temps. Alors avant que ça se perde dans une panne de disque dur, je fais tourner.
Commentaires
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Je veux dire pour un dimanche [o_-].
D'autant plus aujourd'hui que le "geek superficiel" est à la mode, et que les auteurs du Disque monde et de Harry Potter sont parmi les gens les plus riches de leur pays d'origine (l'Angleterre, comme par hasard un pays qui n'est plus très catholique, enfoncé dans un anglicanisme quelque peu expurgé de ferveur quelle qu'elle soit, et qui préfère l'argent à la religion).
Adonc, alors que la fiction tout-court (romans policiers, romans d'amour, romans historiques débiles, espionnage, DaVinciCoderies...) bénéficie d'une certaine tolérance, le fantastique et la SF sont toujours déconsidérés.
Pourquoi ? Eh bien ça, c'est un vrai embryon de piste...
C'est encore pire avec les fausses collaborations ("Light of thy countenance" soi-disant par Alan moore) ou les mauvaises adaptations (les romans graphiques adaptés des bouquins de Pratchett, ou pire, celui du cycle des Princes d'Ambre...).
Le roman graphique, c'est bien quand c'est bien fait... Quand c'est original et qu'on tire parti à plein de cette forme. Mais si c'est pour retranscrire en BD un bouquin ou un film, c'est souvent très moche, parce que c'est un autre médium.
Il n'est pas nécessaire de se dire "roman graphique", d'ailleurs : Il y a de mauvaises BD partout, aussi. A commencer par la pléthore de BD qui suivent la vague Naheulbeuk, WOW, Kaamelott... Souvent mal dessinées ou scénarisées avec les pieds, hélas, ce genre de choses est rarement bon.
Il y a sûrement de bonnes adaptations qui me feront mentir, mais je n'ai pas vu, jusque là, d'adaptations meilleures (ou aussi bonnes) que l'original.
Mais bon, je suppose que c'est comme tout, ça n'a pas vraiment de rapport avec la choucroute : Au bout d'un moment, il y a de la bonne SF et de la mauvaise SF, et ce n'est pas une question de termes ampoulés. Beaucoup de mauvaise SF tente de passer pour bonne en se donnant des airs, mais ces mêmes airs permettent à de la bonne SF de survivre aussi.
Idéalement, une oeuvre géniale se vend par son seul mérite, mais ça n'est pas toujours (voire presque jamais) vrai... Et on le sait tous.